Chronique politico-litteraire : la france n’a pas dit son dernier mot, d’eric zemmour

Article

(Rubempré, 349 p., 22,90 €)

Même si, pour l’essentiel, comme il sera précisé ci-dessous, le livre a un objet politique, il présente également un aspect purement littéraire, telles les descriptions des promenades de l’auteur dans le Paris « confiné » et désert (p. 312 et s., p. 316 et s.),   l’évocation des quartiers  de son enfance (p.369 et s.)…, raison pour laquelle notre chronique est connotée littéraire.

Sous réserve de l’introduction et de la conclusion, le récit constitue un journal  dans lequel certains événements donnent lieu à commentaire ; en cela, il épouse la même technique d’écriture  que dans Le suicide français et le continue chronologiquement, faisant  fond sur l’actualité pour développer la pensée et les convictions  d’Eric Zemmour. Il veut échapper, expose celui-ci, à l’image d’un polémiste d’extrême droite multicondamné (p. 15).

Nuançant sa pensée, il ne se dit pas d’extrême droite, mais d’une droite patriotique en quête d’ordre et d’un légitime conservatisme (p.259) ; s’il condamne les outrances du féminisme et de l’antiracisme (ainsi la « théorie stigmatisant  l’appropriation culturelle »), il se voit bien dans le rôle d’un seigneur paillard médiéval, mettant un genou à terre devant sa Dame, la  France est femme, écrit-il (p.288) ; il distingue les Français de souche et les Français de branche, qui s’approprient « l’histoire, la langue, les mœurs, les goûts, les héros des Français de souche » (p.336), contrairement à ceux qui crachent sur la France et les générations qui l’ont faite, en d’autres termes, il se revendique de la politique d’assimilation, non du multiculturalisme (p. 341) ;  « les musulmans qui veulent s’assimiler à notre civilisation doivent pouvoir le faire sans crainte ni sentiment de culpabilité, sans être harcelés par ceux qui les traitent d’apostats » (p.340) .

Sera-t-il candidat à l’élection présidentielle de 2022 ? Cessera- t-il d’être un simple analyste pour devenir un acteur ? L’introduction permet de douter. Il ne cache pas que Xavier Bertrand lui aurait déclaré que, en 2022, s’il ne gagne pas lui-même, « il ne restera que deux candidats à droite, Marion (Maréchal ?) et toi » (p.21), qu’il est encouragé  par la responsable des sections féminines pour l’élection de Trump, par Nicolas Dupont-Aignan… Il ne répond toutefois pas à la question et laisse seulement entendre quelles seraient les grandes lignes de son programme : fin  du regroupement familial, suppression du droit du sol, encadrement strict du droit d’asile, restriction du pouvoir des juges français et européens et recours, si nécessaire sur ce point, au referendum, présomption de légitime défense en faveur des policiers (p.339), prédominance de la politique sur l’économie et la finance (p.341)...

Ces sujets ne sont abordés que d’une manière marginale. Le livre, comme dit ci-dessus, offre un journal des années 2016 à 2020, contient nombre de saynètes croustillantes, des portraits  (Serge July, Claude Lévi-Strauss, Yann Moix, Giscard, Charles Pasqua, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy…), rapporte des conversations avec Emmanuel Macron, Edouard Balladur, Jean-Louis Borloo…

Si on ne partage pas les idées d’Eric Zemmour, de la même manière que l’on prenait plaisir à voir Georges Marchais débattre avec des journalistes sans partager sa vision du monde, on ne s’ennuie jamais à la lecture. On pourra à tout le moins lui reconnaître une grande culture littéraire  et la maîtrise de l’histoire de France.

 

André TIHON
 

Chères lectrices, chers lecteurs de l'Open-barreau,

Que Eric Zemmour ne qualifie pas son idéologie politique d'extrême droite est évident. Pourtant, cela ne fait aucun doute.

"Pour camoufler leur propos, les alliages récents de l'extrême droite essaient le plus possible d'avancer masqués. (...) C'est ainsi que, subrepticement, ces mouvements sont devenus plus respectables en recourant systématiquement à des mots écrans comme "culture", "arrière-plan migratoire" ou "religion" pour transgresser le tabou social du racisme ou de l'antisémitisme sans toutefois diverger d'un iota de l'idéologie implicite, sans parler du recours aux allusions ne permettant aucune poursuite." (J. DOHET et O. STARQUIT, La bête a-t-elle mué? Les nouveaux visages de l'extrême droite, coll. Liberté j'écris ton nom, Centre d'Action Laïque, 2020, p.57, 10 €). C'est bien la stratégie d'Eric Zemmour, condamné toutefois à deux reprises pour provocation à la discrimination raciale et pour provocation à la haine religieuse envers les musulmans.

"Selon les partisans d'extrême droite, face à cette supposée menace que ferait peser l'immigration musulmane sur la nation chrétienne occidentale, celle-ci doit être protégée. Le contrôle des frontières doit donc être renforcé pour bloquer l'arrivée de nouveaux migrants de confession musulmane. L'argumentation repose sur une représentation doublement fausse : les arrivées massives et totalement incontrôlées des migrants, et les effets positifs du blocage total des frontières sans dire ses effets négatifs puisque fortement préjudiciables à l'activité économique." (dir. B. GIBLIN, L'extrême droite en Europe, La Découverte, 2014, p.12, 12,50 €). Il s'agit bien du thème préférentiel d'Eric Zemmour : le grand remplacement, l'immigration, l'Islam, la restriction du droit d'asile, du regroupement familial...

Quant au culte de la tradition et à la vision arriérée du rôle des femmes, ils n'en sont pas moins des caractéristiques des nouveaux fascistes, à en lire U. ECO qui se remémore habilement avoir remporté le concours d'éloquence des jeunesses fascistes en 1942, répondant par l'affirmative à la question "Faut-il mourir pour la gloire de Mussolini et le destin immortel de l'Italie?" (U. ECO, reconnaître le fascisme, Grasset, 2010, 3,00 €).

Enfin, qu'Eric Zemmour réhabilite Pétain, "sauveur des Juifs de France", invalide copieusement la conclusion de la chronique politico-littéraire selon laquelle il a "la maîtrise de l'histoire de France".

Ainsi, pour 25,50 €, chères lectrices, chers lecteurs de l'Open-barreau, vous pouvez lire les ouvrages précités qui nous rendent plus vigilant(e)s face aux idéologies racistes et misogynes tapies sous les descriptions littéraires de quelques balades à Paris ou conversations avec les grands de ce monde.

Avec ce montant, vous pouvez aussi faire un don à l'association European Lawyers for Lesvos, qui contribue à sauvegarder la dignité des réfugiés en leur prodiguant une assistance juridique, pour sauvegarder les droits fondamentaux garantis par la Convention de Genève de 1951, dont Eric Zemmour réclamait la suspension temporaire il y a peu. https://www.europeanlawyersinlesvos.eu/donate

Avec ce montant, faites ce que vous voulez, mais ne financez pas l'extrême droite. N'achetez pas les livres d'Eric Zemmour.

Bien confraternellement,

Sibylle Gioe

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