Les prix littéraires 2020

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La grande épreuve, d’Etienne de MONTETY: Grand prix du roman de l’Académie française

Il s’agit de la version romancée de l’assassinat du prêtre Jacques Hamel.

Roman, ne fût-ce que parce que les noms des protagonistes ont été modifiés (ainsi le prêtre se nomme Georges Tellier).

L’auteur décrit la vie de ses personnages en remontant loin dans le passé (la guerre d’Algérie, par exemple) afin de tenter de les comprendre, même les islamistes. Malgré un réel souci d’honnêteté intellectuelle, il échoue ; il fait même répéter à un musulman, à la fin du livre : « Allah ne demande pas ça, Allah ne veut pas ça ». Comme s’écrie Kurtz, à la fin d’Au Cœur des ténèbres (Joseph Conrad) : « L’horreur ! L’horreur ! ». Infandum, disaient les Romains.

« L’islam vient bousculer une société où le christianisme a peu à peu cessé de régner sur les comportements et les consciences. Prend-il le relais ? Ou vient-il défier des siècles durant lesquels l’esprit occidental a progressivement desserré le corset d’une mentalité héritée du jansénisme et se méfiant de la chair ? » (p. 170).Tout n’est donc pas simple.

Etienne de Montety fait du père Hamel (du père Tellier) le héros de son livre, en ne cachant pas ses moments de doute, ses incertitudes : on pense au Journal d’un curé de campagne (Bernanos).

Peut-être, pour apprécier entièrement cette œuvre en toutes ses nuances, faut-il la foi du chrétien, l’auteur l’étant manifestement.

 

L’anomalie, d’Hervé LE TELLIER : prix Goncourt 

Le roman commence comme Manhattan Transfer (en destins croisés), se poursuit comme un discours de rentrée de Me France Lausier et s’achève en abyme : nous n’en dirons pas plus, les coups de théâtre étant voulus par l’auteur.

La quatrième de couverture nous enseigne qu’Hervé Le Tellier est membre de l’Oulipo. Rappelons qu’il s’agit d’un groupe d’écrivains (l’Ouvroir de littérature potentielle), fondé en 1960 par Raymond Queneau, qui cherche à « explorer les pouvoir des règles ou des contraintes dans la création littéraire » (Claude Burgelin). Ainsi Georges Perec écrivit-il La disparition, un roman de plus de trois cents pages, sans employer une seule fois la lettre e. Ici, l’auteur se donne pour but d’associer une forme littéraire relativement classique à de la science-fiction avant de révéler que tout cela n’était qu’une construction en abyme : sur le vu de certains indices, le lecteur  pouvait s’en douter.

« La liberté de pensée sur internet est d’autant plus totale qu’on s’est bien assuré que les gens ont cessé de penser » (p.299), une phrase qui ne peut que réjouir un vieux réactionnaire (sociologiquement) comme moi, qui porte un « vieux prénom qu’on ne donne plus à aucun  enfant » (p.118).

Une œuvre originale.

 

Histoire du fils, de Marie-Hélène LAFON : prix Renaudot

J’ai beaucoup aimé ce livre, essentiellement pour son style : une écriture classique, à l’ancienne, à des lieues (du charabia…) de Véronique Olmi, d’Alice Zeniter, de Laurent Mauvignier…, « proustienne », à la Richard Millet, à la Pierre Michon. La construction du récit est agencée d’une manière originale : l’exposé n’est pas chronologiquement linéaire et les arcanes de l’intrigue sont peu à peu dévoilés au lecteur ; ainsi, l’explication du premier chapitre figure au chapitre final. Mais tout cela avec légèreté, paradoxalement sans volonté apparente d’obscurité, une technique en « puzzle ».

« Deux journées vouées, dévolues, consacrées (…) aux pères absents, à leurs silences » (p.166 et 167), écrit notre auteur, évitant avec soin le contemporain et barbare  « dédiées », donnant de la sorte une leçon : comment échapper à la « dédicace » ? Par quels mots la remplacer ?

Je n’avais jamais lu Marie-Hélène Lafon, j’avais tort.

 

Nature humaine, de Serge JONCOUR : prix Femina

En 2016, Serge Joncour avait déjà obtenu le prix Interallié. Dans le présent ouvrage, il décrit, par le truchement de l’aventure sentimentale entre Alexandre et Constanza, trente ans d’histoire occidentale, de 1976 à 1999, et évoque, comme autant d’étapes, des catastrophes écologiques. A notre avis, le titre doit s’entendre par opposition à nature inhumaine, telle que peu à peu mise en place à la fin du vingtième siècle et à l’origine desdites catastrophes.

Au centre du récit, une ferme « à l’ancienne », dont la transformation en exploitation industrielle est prévue pour l’an 2000 et qui, à la veille de son inauguration, est presque entièrement détruite par la tempête de la fin de l’année 1999 ; ne subsistera que le « corps de la ferme » ancestral, tout un symbole. De l’écologie intelligente. Un grand roman.

 

Le cœur synthétique, de Chloé DELAUME : prix Médicis

Le livre raconte principalement les mois qui suivent le divorce d’Adélaïde (46 ans) et de son mari, après sept années de vie partagée. Adélaïde est attachée de presse d’une grande maison d’édition, ce qui nous vaut d’être associés aux débats littéraires du temps : comment obtenir un prix en novembre ? La littérature expérimentale est-elle morte ou simplement dans le creux d’un cycle (p.113) ? Faut-il promouvoir la littérature générale ou de « laboratoire » (p.134) ?

Adélaïde va tenter de retrouver un compagnon de vie mais n’y arrivera pas (sinon sa chatte...).

Le livre est drôle et plein d’esprit ; comme nous l’écrivons souvent, on ne s’ennuie pas. A titre personnel, nous formulerons toutefois deux types de réserves.

Tout d’abord, le livre contient moult mots anglais (pas seulement dans le domaine numérique), dont nous ignorons le sens : va-t-on devoir lire de la littérature française avec un dictionnaire anglais sur sa table ? Ensuite, comme Camille Laurens et sa Fille, que nous avons commentée dans notre précédente chronique, cette œuvre est, certes avec beaucoup d’humour, féministe d’une façon caricaturale : tous les personnages masculins sont ridicules ou odieux et l’auteur conclut comme suit : « Adélaïde  Berthel, une femme comme un tas d’autres. Qui n’a pas besoin d’homme pour se sentir exister » (p.192). On est loin des analyses minutieuses des relations de couples, d’André Maurois (Climats) ou Jacques Chardonne (Les destinées sentimentales, Claire…).

 

Un crime sans importance, d’Irène FRAIN : prix Interallié

Irène Frain fait le récit (ce n’est pas un roman) de l’agression dont a été victime sa sœur à la suite d’un cambriolage ( ?) de sa maison et de ses efforts pour relancer l’enquête policière et se constituer partie civile. On notera au passage que la justice pénale française paraît encore plus lente (et désorganisée) que la justice belge, du moins pour une partie préjudiciée. La description de la machine judiciaire n’est pas sans évoquer Kafka et son Procès. Le livre s’achève sur un semi-échec : « qu’on n’imagine pas que j’ai tourné la page : comment le pourrais-je, avec cette justice au point mort ? J’ai simplement tourné une page » (p. 247).

J’ai compté cinq livres de notre auteur dans la partie de ma bibliothèque dont j’ai hérité de mon père. C’est un écrivain prolifique, qui s’est lancé dans le récit policier, dont le modèle est De sang-froid (Truman Capote), récit personnel et autobiographique.

« Le sommeil m’abandonnait toujours vers trois heures du matin, ce moment que les Indiens appellent l’heure de Shiva, « le noir instant » comme ils disent aussi, l’intervalle fatal où la vie et la mort sont mitoyennes, quand le Temps redouble d’acharnement à nous ronger. A ce moment-là de la nuit, assurent-ils, les démons de l’inquiétude s’infiltrent par toutes les fissures des lieux où nous croyons abriter nos existences fragiles, les toits, les planchers, le seuil des portes, les serrures, les plus minces interstices » (p.137).

Un livre plaisant à lire, surtout pour un avocat.

 

André TIHON

Cher André,
Un bon bouquin, bien écrit.
Je l'ai lu juste après le passionnant "Maître du Haut Château", titre d'une autre époque. Deux Uchronies (si l'on veut pour le Goncourt) et deux points de vues.
Louis

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