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Vers une Ecologie judiciaire
Le 15 novembre 2019, le colloque de Rentrée de notre barreau, « Une justice pour le climat ? Right’s now ! », affichait complet. La salle a réuni expert·e·s, students et youth for climate, avocat·e·s, magistrat·e·s, société civile et associations pour une matinée – riche – de réflexion sur les enjeux climatiques actuels. Un tel succès n’avait plus été rencontré depuis quelques années, témoignant de l’importance de la thématique et de l’intérêt suscité par cette dernière aux yeux du public.
La trame du colloque, outre son approche pluridisciplinaire, était la suivante : poser le décor de l’urgence écologique, avant d’aborder le cadre juridique international et national de la justice climatique ainsi que le contentieux qui s’est développé, ces dernières années, autour d’elle. Dans ce cadre, la célèbre « Affaire climat » fut étudiée, pour ensuite mettre en lumière l’important travail de plaidoyer politique des associations. Une initiation à la fiscalité environnementale et le lancement d’une Commission environnement ont clôturé cette matinée d’étude stimulante.
La Commission environnement fut officiellement créée le 26 novembre 2019 par décision du Conseil de l’Ordre des avocats de notre Barreau. Cette Commission, encore unique au sein de l’ensemble des Barreaux belges, présente un caractère hybride en ce qu’elle ambitionne de faire collaborer les acteur·trice·s du monde judiciaire, d’une part, ainsi que les académiques et organisations environnementales, d’autre part.
Ses objectifs sont multiples : sensibiliser le grand public et les professionnel·le·s du droit à la question climatique sous toutes ses facettes (juridique, scientifique, historique, politique, sociologique, genrée, humaine, …), mais aussi former les avocat·e·s, les magistrat·e·s, les greffier·e·s et le personnel des Ordres qui le désirent aux outils disponibles pour adapter nos comportements de travail aux enjeux environnementaux.
C’est précisément dans le cadre de cette seconde mission que la Commission Environnement propose, dans le courant de cette année, bien que bouleversée par une crise d’un autre type, un cycle de formations intitulé « Plaidons pour la planète », lequel vise, entre autres, à permettre à nos Ordres, palais et cabinets de réduire leur impact environnemental[1].
Et si nos palais et cabinets se lançaient dans la réalisation d’un bilan carbone ? Et s’ils devenaient adeptes du « paperless » ou encore prenaient à cœur le tri de leurs déchets et l’aménagement de leurs infrastructures ? Et si les réceptions qu’ils organisaient privilégiaient l’« alimentation agroécologique et locale »[2] ? Et si la mobilité verte de leurs membres devenait un leitmotiv ?
Afin de répondre à ces différentes questions, des orateur·trice·s de renom nous accompagneront tout au long de ces formations, organisées pour certaines en partenariat avec la Commission de l’innovation, tandis que des membres de la Commission environnement témoigneront de leurs expériences « vertes », notamment des processus de décarbonation et de labélisation.
Il semble, en effet, que rien ne fasse obstacle – si ce n’est peut-être le manque de volonté – à l’entrée de tout le système judiciaire et juridique dans une « nouvelle ère pour le climat ».
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Ce 8 avril 2020, 250 scientifiques dont Monsieur Pierre Ozer, Docteur en Sciences géographiques et chargé de recherche à la Faculté des Sciences de l’ULiège ont appelé, dans une carte blanche[3] publiée dans La Libre, à « repenser d’urgence notre mode de développement ».
Ces scientifiques invitent « dès maintenant les citoyens et les autorités politiques qui les représentent mais également toutes les forces vives de Wallonie et des autres entités fédérées, alors même que l’urgence est là, à préserver et à cultiver une vision holistique et systémique à long terme de nos collectifs en faisant entrer concrètement la soutenabilité dans nos pratiques », « au risque de panser durablement ».
Dans la foulée de cette publication, le Docteur Pierre Ozer, accompagné de Monsieur Philippe Caprioli, artisan boulanger au sein de la boulangerie politique Un pain c’est tout nous convainquent de la nécessite de répondre, sans délai, à cet appel.
Ils nous livrent cette nouvelle carte blanche démontrant que l’écologie est l’affaire de toutes et tous :
Déconfinement et désintoxication
A la veille de ce déconfinement se pose la question de savoir si nous allons nous survivre. Cette crise sanitaire ne doit pas occulter les véritables enjeux économico-politiques et écologiques qui la firent surgir. Juste à l’aube de tout reprendre « comme avant », nous sommes certainement la dernière génération à pouvoir vivre dans l’opulence insouciante de l’héritage énergétique inouï qui rythme nos sociétés depuis plusieurs générations. Dans l’histoire de l’humanité, cela ne représente que peu, mais les marques de nos inconséquences sont désormais immédiates : la nature toute entière revêt les marques de l’hostilité.
Mais nous étions déjà malades : trop de gras, trop de sucres, trop de crédits, trop de travail et de fatigue. Notre drogue, c’est la croissance, le trop, une obésité compulsive à tous les étages, jusqu’à la névrose. Une dope permanente qui ruine nos états d’âme sans lendemain. Pour notre came du « toujours plus », on tuerait père et mère, femmes, enfants, vieux, pauvres, sans papier, sans travail, sans argent,… les riens qui encombrent nos ivresses bornées. Et il va bien falloir les déconfiner ces toxicos prédateurs, « un p’tit kayak contre un peu de liberté ». Sans y être préparés, dans la plus grande incohérence, on nous promet de « rattraper le retard », de relancer la machine de la surchauffe. Mais est-ce la faute à la fatalité ? N’y a-t-il pas d’autres voies possibles, d’autres enseignements, d’autres connaissances de soi ?
Ce qu’il faut comprendre, c’est que les logiques générationnelles ne sont plus valides. Nous le savons et c’est là tout l’enjeu du problème. Nous sommes 8 milliards d’humains, et 86 milliards de poules, de bœufs et de cochons. Tous les animaux sauvages de plus de 14 kg de la planète sont menacés d’extinction. Et quand vous aurez lu ce texte, une espèce vivante aura disparu de la surface de la terre. La surexploitation se fait dans un milieu fermé, de ressources limitées. Tout dépassement (overshoot day) entraine un surendettement des ressources ; rappelons-nous l’histoire édifiante de l’île de Pâques ou de celle – plus récente – de Nauru. Donc, il nous faut comprendre les défauts de fabrication de notre propre pensée, car si l’esprit le plus efficace finit par creuser sa propre tombe, il n’y aura personne pour l’en sortir.
Il n’y aura pas d’ailleurs sans une idée de la destination. Il n’y aura pas d’idées sans pensée. La connaissance ne sera jamais aussi addictive que le sexe, la bouffe, ou l’argent, mais, si nous permettons de mettre à l’honneur, dans la société entière, la connaissance et ses corollaires, nous pourrions la rendre aussi attractive et valorisante pour nos cerveaux. Cette perspective ne semble pas utopique mais simplement prématurée : envisager une économie de croissance mentale, capable de modération, de patience, d’intentions, de solidarités, qui valoriserait nos champs de ressources mentales et humaines avec, à la clef, une limitation de la consommation de biens matériels. L’Être contre l’Avoir.
Toutes ces perspectives de changement et de réflexion s’inscrivent dans un champ social complexe, protéiforme, où les vecteurs d’actions individuelles et collectives se construiront dans la « désobéissance civique », car il semble peu probable que les transitions puissent venir des sphères protégées, des élites. C’est l’image du pompier pyromane : nos démocraties endémiques, de plus en plus totalitaires, au point de rupture, ne pourront pas nous emmener à d’autres points que ceux qui les constituent et qui sont ceux-là mêmes que nous combattons de toutes nos forces.
La Commission Environnement (#lawyersforclimate), Philippe Caprioli et Pierre Ozer
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N’hésitez pas à revoir les reportages vidéo et interviews du colloque du 15 novembre « Une justice pour le climat ? Right’s now ! » réalisés par Avocatsnet
Pour un retour général : « Panic and act »: le Barreau de Liège conscient de l’urgence climatique! »
https://www.avocatsnet.be/panic-and-act-le-barreau-de-liege-conscient-de-lurgence-climatique/
Pour (re)découvrir l’interview de :
- Monsieur Olivier De Schutter « Les droits humains : un levier important pour la justice climatique », cliquez
- Monsieur Vincent Sepulchre « Le rôle de la fiscalité environnementale », cliquez
https://www.avocatsnet.be/vincent-sepulchre-le-role-de-la-fiscalite-environnementale/
- Monsieur van Ypersele « L’urgence climatique? Nous pouvons agir! », cliquez
https://www.avocatsnet.be/jean-pascal-van-ypersele-lurgence-climatique-nous-pouvons-agir/
[1] Voyez dans le même sens l’initiative du millier de médecins s’engageant notamment à « participer à la réduction de l’empreinte environnementale du secteur de la santé », Docs for Climate Belgium - un collectif de médecins engagés, « Dérèglement climatique : lettre ouverte d’un millier de médecins face à une urgence de santé publique», LeSoir, 10/10/2019, https://plus.lesoir.be/252606/article/2019-10-10/dereglement-climatique-lettre-ouverte-dun-millier-de-medecins-face-une-urgence?fbclid=IwAR0isZb_tCmIx7Lwk5eiPbTuq_ebdtlCUpff4Z8yAnL9X8kAaiNI0lpJ66Q. Disponible également sur https://www.docsforclimate.be/la-lettre.html
[2] Voyez la carte blanche « Le Covid-19 montre l’urgence de relocaliser dès maintenant les systèmes alimentaires », LeSoir, 12/04/2020, https://plus.lesoir.be/294025/article/2020-04-12/le-covid-19-montre-lurgence-de-relocaliser-des-maintenant-les-systemes
[3] Carte blanche, "L’urgence qui panse… confrontée à l’urgence de penser le long terme". Voyez « Plus de 250 scientifiques appellent à repenser d'urgence notre mode de développement », LaLibre, 8/04/2020, https://www.lalibre.be/debats/opinions/plus-de-250-scientifiques-appellent-a-repenser-d-urgence-notre-mode-de-developpement-5e8dddb99978e2284155a4f0
VERS UNE ECOLOGIE JUDICIAIRE
Ainsi donc, nous sommes « invités à préserver et à cultiver une vision holistique et systémique à long terme de nos collectifs en faisant entrer concrètement la soutenabilité dans nos pratiques » ? Sans rire ? L’écologie est-elle vraiment « un champ social complexe, protéiforme » avec des « vecteurs d’actions » et des « démocraties endémiques » qui « ne pourront pas nous emmener à d’autres points que ceux qui les constituent » ?
Je me demande quand même comment on pourrait « sensibiliser le grand public » avec un charabia aussi pédant. Je croyais que c’était sympathique et utile, moi, l’écologie. C'est quand elle devient "judiciaire" qu'elle vire à dogmatique ?
Amicalement, Jari.
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