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Où sont les femmes ?
Compte rendu du colloque de la rentrée du barreau de Liège-Huy du 19 novembre 2021
Quelques dates clés dans l’avancée de l’égalité de genre en droit : 1880, droit d’inscription à l’université ; 1976, égalité entre époux ; 1989, répression du viol entre époux ; 1990, dépénalisation de l’I.V.G ; 2014, choix du nom de famille, …
Le colloque « Où sont les femmes ? » interroge sur l’état de fait actuel des discriminations de genre ainsi que sur l’impact de l’égalité en droit sur l’égalité en fait, notamment dans le monde judiciaire.
C’est au départ de cette réflexion que le barreau de Liège-Huy et, plus particulièrement sa commission genre, a choisi d’interpeler non seulement ses membres mais plus généralement la société civile, largement représentée dans la magnifique salle de bal de l’ancien Hôtel des comtes de Méan, ce 19 novembre 2021.
Après une préface musicale, c’est un homme qui prend la parole. Monsieur le bâtonnier Pascal Bertrand rappelle que le barreau doit faire face à la problématique de l’égalité, loin d’être acquise.
Sibylle Gioé embraie, en citant l’illustre Gisèle Halimi, figure du féminisme, et introduit tour à tour les orateurs qui se succèdent.
Françoise Tulkens et Chloé Harmel ouvrent le bal et nous brossent un regard croisé sur les luttes d’alors et d’aujourd’hui.
Avec sa riche expérience, celle qui fut vice-présidente de la Cour européenne des droits de l’homme, souligne que la fragilité et la faiblesse du statut de la femme persistent au niveau social et économique. Elle explique son combat pour que la Cour rende des arrêts gender sensitvie[1], selon la tendance du gender mainstreaming[2].
Chloé Harmel, cofondatrice de Fem&L.A.W, créé en 2017 par sept avocates bruxelloises pour comprendre le départ en masse à la trentaine des avocates, pose un état des lieux détaillé dans un code du droit des femmes. Le constat ? Le combat n’est pas fini car la loi a tendance à nier la différence liée au genre, ce qui revient à nier que les structures socioculturelles sont androcentrées, et renvoyer la femme dans l’angle mort.
Sous forme de quizz, Sibylle Gioé et Amélie Adam testent l’assemblée sur quelques dates marquantes : 1922, première avocate belge ; 1947, première magistrate ; 1955, première notairesse ; 1958, première bâtonnière. Deux bâtonnières à Liège, deux à Huy. Aucune à Bruxelles… « Nous qui n’avons pas d’histoire », conclut Maître Gioé, avant d’introduire la première table ronde de la matinée.
Marie-Aimée Peyron, ancien bâtonnier de Paris, Laurence Junod-Fanget, ancienne bâtonnière de Lyon, Céline Karugu, conseillère de l’Ordre et présidente de la commission genre du Rwanda, et Joanne Albert, présidente de la commission genre du barreau de Liège-Huy, partagent leurs expériences à travers les questions posées par Amélie Adam.
Trois questions, et le débat est passionnant : quels sont les constats qu’elles ont faits, chacune du haut de leurs fonctions ? Quelles mesures ont été prises ? Et enfin, quelle a été l’efficacité de ces mesures ?
Parmi les constats, il y a l’absence de modèle, l’invisibilisation de la femme, le manque de confiance et de légitimité. Il y a également des chiffres basés sur une étude du barreau de Bruxelles[3]. Les hommes gagnent en moyenne une rémunération double de celle perçue par les femmes. Parce qu’elles font des matières moins rentables ? Oui, mais même dans ces matières, les hommes perçoivent un revenu supérieur. Les avocates sont moins représentées dans les instances supérieures. Les avocates sont moins souvent associées.
Alors que faire ? Quelques pistes sont avancées : organiser des stages de confiance en soi, imposer des binômes aux élections, prévoir des sanctions disciplinaires pour les avocats aux réflexions ou comportements sexistes, repenser les organisations, mieux prendre en compte la maternité et aider les mères, briser les stéréotypes…
Un homme estime tardive la promotion qu’on lui offre, une femme questionne la légitimité de celle qu’on lui accorde. Cet état d’esprit doit changer.
Pendant la pause-café, les participants découvrent les stands des nombreuses associations présentes (Vie féminine, Axelle magazine, Courgette_éditions, Librairie Entre-temps, …), tandis que des témoignages de comportements sexistes au barreau défilent sur écran, au risque pour les organisateurs d’être accusés d’inciter à la délation, accusation classique face à ces initiatives.
On est pourtant 5 ans après #metoo. Libérer la parole force la société civile à regarder en face des réalités ignorées, cachées.
La deuxième table ronde est introduite par une capsule d’Evelyne Renier, députée européenne et présidente de la commission « droit des femmes et égalité des genres » du Parlement européen.
Ensuite, Sarah Ganty, candidate à la Yale Law School et professeur à Gand, Vienne et Bruxelles, et Michel Pasteel, directeur de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, nous exposent les outils au niveau européen et leur application en Belgique.
C’est ensuite au tour d’Isabella Lenarduzzi, fondatrice de JUMP[4] – Solutions for equality at work – de prendre la parole et d’insister sur les bénéfices pour les entreprises de promouvoir une culture plus inclusive.
Au préalable, elle s’est attelée à définir les notions basiques mais fondatrices pour appréhender ce travail. « Qu’est-ce le féminisme ? » - « Le féminisme c’est vouloir les mêmes droits mais c’est aussi vouloir la même dignité pour les femmes, les droits sont une condition nécessaire mais malheureusement pas suffisante à l’égalité réelle[5] » - « Qu’est-ce le plafond de verre ? » - le fait que les femmes soient moins nombreuses à occuper les postes à responsabilité surtout quand ils sont liés à une haute reconnaissance sociale. Ne se limitant néanmoins pas à la réflexion théorique, elle nous expose les outils de son entreprise pour passer à l’action.
Des chiffres sont posés : 60 % des personnes diplômées sont des femmes mais 3 % sont PDG, 14% membres d’un comité de direction, rémunération de 40% de moins pour les femmes dans les professions libérales, … Les conseils d’administration comptent 33 % de femmes (loi quota de genre d’application depuis 2017). Face à l’indignation que peuvent soulever ces quotas de genre chez certains, indignons-nous plutôt de la nécessité de devoir légiférer sur des outils pour rendre la société plus inclusive.
Les dernières interventions abordent la violence conjugale dont la majorité écrasante est subie par les femmes. La répartie « #notallmen » n’est pas admise, vous déplaceriez le débat et invisibiliseriez les femmes.
D’abord, Françoise Brier – directrice de la fédération nationale de la solidarité femme – nous entretient de la convention d’Istanbul, traité international visant à protéger les femmes contre toutes les formes de violence, dont le Belgique est signataire. Ce texte reconnaît également que les violences contre les femmes sont structurellement des violences de genre.
Ensuite, le trio, Julie Jodogne, avocate, Adeline Fraipont et Barbara Sneepers, travailleuses au C.V.F.E, éclairent quant au cycle de la violence conjugale, aux mécanismes, aux procédures et moyens légaux pour aider les personnes victimes et les bourreaux.
La violence conjugale n’est pas un conflit entrainant un comportement ponctuel violent, il s’agit d’une violence de genre, un ensemble de comportements, d’actes, d’attitudes de l’un des partenaires ou ex-partenaires qui visent à contrôler et dominer l’autre.
Avec l’évocation de cette problématique, comment faire l’impasse sur un hommage soutenu au professeur Ann Lawrence Durviaux, victime d’un tragique féminicide en août dernier ?
Sarah Schlitz, secrétaire d’État à l’Égalité des genres, à l’Égalité des chances et à la Diversité, clôture ce colloque en maniant tant le sujet que la chanson française : « Aujourd’hui encore le monde est stone, dans les centres d’aide aux victimes le téléphone pleure. Que vous soyez des femmes libérées ou des années 80, que vous soyez libres comme Max ou un chanteur malheureux, je vous dirai, dans les mots de France Gall, résiste, refuse ce monde sexiste, suis ton cœur qui insiste, ce monde n’est pas le tien, viens. Bats-toi, signe et persiste ».
Ce colloque organisé avec brio par la commission genre a le mérite d’aborder une thématique tellement actuelle mais controversée, qui divise l’humanité et dérange les réfractaires au(x) changement(s).
Les intervenants l’ont répété, homme et femme doivent être alliés dans ce combat et prendre conscience de l’innovation et des bénéfices d’une culture plus inclusive.
Les comportements doivent évoluer et non plus être occultés par crainte des dommages collatéraux à toute lutte. Les victimes ne doivent plus avoir peur de parler.
« La honte doit changer de camp », nous a rappelé la bâtonnière Laurence Junod-Fanget.
L’impact de ce colloque est réel. La parole se libère. « 50 € : tu me fais une pipe ? » - Open barreau du 3 février 2022[6]. L’alliance nait et le soutien émane de confrères. « Bravo aux consœurs qui se battent pour mettre fin aux trop nombreuses discriminations de genre qui persistent au sein de notre profession et ailleurs[7] ».
- « Déclarer que les femmes sont les égales des hommes sans reconnaître qu’elles ne sont toujours pas traitées avec égalité, c’est nier la réalité, et donc c’est renforcer cette inégalité systémique universelle des femmes par rapport aux hommes » (I. Lenarduzzi).
Caroline FRANKIGNOUL et Julie HENRY
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[1] La prise en compte systématique de la dimension de genre.
[2] Que le Groupe de spécialistes pour une approche intégrée de l’égalité (EG-S-MS) du Conseil de l’Europe définit comme : « la (ré)organisation, l’amélioration, l’évolution et l’évaluation des processus de prise de décision, aux fins d’incorporer la perspective de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines et à tous les niveaux, par les acteurs généralement impliqués dans la mise en place des politiques ».
[3] Barreau de Bruxelles ordre français, radiographie du barreau de Bruxelles 2017.
[5] Les vidéos sont disponibles sur le compte youtube de JUMP.
[6] https://open.barreaudeliege-huy.be/fr/2022/02/03/50-eu-tu-me-fais-une-pipe
[7] Commentaire d’un confrère sur les réseaux sociaux.
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