Mot du bâtonnier

Bâtonnier

Y a-t-il encore un pilote dans l’avion justice ?

BATO-banners-01-291x120Curieuse époque où notre profession et la justice en général sont vampirisées par le ministre de l’économie ou celui du budget.

En France, des avocats se sont chiffonnés à propos de la loi Macron. Emmanuel Macron est le frétillant ministre de l’économie du gouvernement Valls 2 qui a repris à son compte le projet Montebourg, du nom du tout aussi frétillant prédécesseur de Monsieur Macron.

Scène surréaliste à la Rentrée de Paris en la salle de la Mutualité le vendredi 12 décembre 2014 lorsque la garde des Sceaux, Christiane Taubira, témoignant d’une vue très personnelle de la solidarité gouvernementale, sermonnait son auditoire d’avocats de ne pas assez vilipender de nombreux aspects de la loi Macron, dont l’avocat en entreprise[1] qui mettait à mal les principes d’indépendance et de secret professionnel et celui de la postulation qui aurait été de nature à créer des déserts judiciaires.  Elle se délecta de la standing ovation qu’elle avait pris tant plaisir à susciter.

En Belgique, le ministre du budget, un confrère francophone, donne l’impression, avec sa calculette tronçonneuse, de découper la petite part de gâteau qui reviendra à tout un chacun de ses collègues, dont le ministre de la justice.

Le pouvoir judiciaire est l’un des trois pouvoirs constituant l’État démocratique, distinct des deux autres. Selon le rapport sur les « Systèmes judiciaires européens – édition 2014 (2012) : efficacité et qualité de la justice, CEPEJ 2014) », le pouvoir judiciaire en Belgique représentait en termes budgétaires 0,7 % des dépenses publiques en 2012 : je dis bien 2012 !

De 1 856 000 000 en 2014, le budget de la justice en 2015 est réduit à 1 704 000 000.  Nous sommes donc dans la perspective d’un budget équivalent à 0,50 % du montant total des dépenses publiques.  C’est peu dire qu’en termes d’amaigrissement,  nous sommes à l’os pour le troisième pouvoir qu’est le pouvoir judiciaire.

Ce régime d’anorexie budgétaire, pour un service public sans comptabilité probante et en faillite virtuelle, a suscité une réaction vive de la magistrature en des formes et des termes jusque-là inconnus, notamment en ce qu’il prend à partie l’opinion publique sans langue de bois.

Je vous livre le contenu intégral du communiqué de presse du vendredi 6 mars rédigé par l’ensemble des chefs de corps de la juridiction du ressort de la Cour d’appel de Liège :

« La justice du ressort de la Cour d’appel de Liège lance un cri d’alarme » - conférence de presse le vendredi 6 mars 2015 à 9h30, aile Nord, salle Matray.

Les juridictions du ressort de la Cour d’appel de Liège (provinces de Liège, Namur et Luxembourg) sont durement frappées par les mesures d’économie auxquelles la justice est soumise depuis plusieurs mois. 

Le blocage quasi absolu du recrutement des magistrats, des greffiers et du personnel administratif perdure depuis des nombreux mois et pose de plus en plus de problèmes, aigus en certains endroits. A bref délai, si les normes budgétaires sont appliquées tel que prévu, le manque d’effectifs ne permettra plus à la Justice d’assurer un service normal à la population. Les conséquences concrètes pour le citoyen seront un allongement important de la durée des procédures et une augmentation des classements sans suite pour de nombreuses infractions.

La justice contribue à garantir la paix publique et l’équilibre, au sein de la société. En l’amputant  d’une partie substantielle de ses moyens, on fragilise l’état de droit et la démocratie.

Les chefs de corps de l’ensemble des juridictions du ressort de la Cour d’appel de Liège souhaitent attirer l’attention sur cette situation et ses conséquences potentiellement  très préjudiciables. La décision ayant été prise de réaliser des économies, ils revendiquent à tout le moins que celles-ci soient raisonnables, soient réalisées de manière progressive et couplées à  une adaptation des législations et une modernisation des outils, en particulier informatiques, permettant une diminution de la charge de travail.

Ils invitent le monde politique à également explorer d’autres pistes d’économies (suppression de la cour d’assises, regroupement des  lieux de justice, etc.)

Je vous livre également les communiqués de presse du collège (définitivement installé) des cours et tribunaux du 1er décembre 2014 et du 17 février 2015.

L’heure est semble-t-il à la mobilisation générale contre le carcan judiciaire qui étouffe en moyen et en personnel le pouvoir judiciaire, et ce 20 mars se tiendra à Bruxelles une manifestation de la magistrature à laquelle s’associeront les Ordres communautaires et locaux dont l’objet est de soutenir le ministre de la justice dans la quête et la recherche des moyens nécessaires au fonctionnement du service public de la justice.

C’est un peu comme si un infirmier (notre ministre) s’adressant à un malade placé sous respirateur artificiel (le pouvoir judiciaire) lui disait, sans rire : « On doit faire des économies, avec un peu moins d’oxygène, vous respirez toujours ? ».

Face à l’engagement sans précédent de la magistrature pour un refinancement qualitatif et quantitatif du budget de la justice, il appartient également au barreau de faire entendre sa petite musique et ses nuances.

Le pouvoir judiciaire parle en termes de personnel nécessaire au fonctionnement de l’institution, quitte notamment à réduire les 300 sites judiciaires locaux à un maximum d’environ « 200 bâtiments judiciaires bien équipés » (voir le communiqué de presse du Collège des cours et tribunaux du 17 février 2015 page 5) ou encore invite à explorer d’autres pistes d’économie tel le regroupement des lieux de justice (voir le communiqué de presse du 6 mars 2015 produit supra), tandis que le barreau parle en termes d’accès à la justice, que cela soit pour les plus démunis par l’aide juridique, pour la classe moyenne impactée par la TVA et le renchérissement des droits de mise au rôle.

Le barreau parle en termes de mobilité des magistrats, conformément à la loi, tandis que les chefs de corps, faisant état de la fermeture du tuyau des nominations des magistrats, sont tentés par le regroupement des matières en un seul lieu, et favorisent donc la mobilité des dossiers.

Retenons également, à nouveau, que la valeur du point BAJ qui était en 2014 de 25,76 euros est en 2015, selon le budget de l’Etat dans sa version actuelle, et sauf remise au pot à l’occasion du contrôle budgétaire, de 24,76 euros (voir note de Maître Jean-Marc Picard, administrateur d’AVOCATS.BE « La valeur du point diminuée de 4% »).

Alors que la grogne de la magistrature se fait entendre, sommes-nous, par la longueur du combat, à ce point résignés, démobilisés, indifférents ou découragés ?

De grâce, relevons la tête !

Certes, le nouveau ministre a un dialogue constant avec les présidents des Ordres communautaires mais, à ce jour, les deux thèmes majeurs de l’aide juridique et de l’assurance protection juridique n’ont pas encore fait l’objet d’un débat franc et constructif.

Pris isolément, tous les avocats souffrent. Nous avons le nez dans le guidon. À nous aussi de nous remettre en cause pour, faisant fi de notre isolement, créer une meilleure gouvernance des Ordres pour une meilleure représentativité de notre profession dans ce contexte particulièrement anxiogène et redéfinir notre mission dans un monde qui bouge sans nous attendre.

Faut-il encore que nous prenions conscience des enjeux présents et futurs, et à vrai dire, pour ce qui nous concerne, telle est la question. Nous, pour qui tout changement ou annonce de changement est perçu comme une agression à l’encontre de notre conservatisme.

En effet, je ne suis pas sûr que nous comprenons tous les conséquences sur la vie des Ordres, des barreaux, et sur l’avenir de la profession, de cette pénurie institutionnalisée, alors que l’accès à la justice, qui est à la base de notre gagne-pain, est financièrement mis en péril.

En écrivant ces lignes, je pense aux plus jeunes d’entre nous qui devront trouver leur voie dans cet avenir.   Prenez conscience des défis et affrontez-les.

Aux plus jeunes d’entre nous, et à vous tous, venez en nombre au congrès d’AVOCATS.BE qui se tiendra le 29 mai 2015 (voyez ici le programme et https://twitter.com/tomorrowslawr), on y parlera de vous aujourd’hui et demain, de la nécessaire évolution de la profession.

Venez en nombre !

Les patrons, venez avec vos stagiaires ou libérez-les de leurs audiences afin qu’ils se rendent disponibles.

A tous, effectuez le déplacement en car avec le Conseil de l’ordre qui en a décidé la prise en charge par notre barreau.

Luttons, résistons, agissons, mais gagnons !

André Renette

[1] Pour tout savoir sur ce machin « l’avocat en entreprise », venez au congrès d’AVOCATS.BE du 29 mai 2015.

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