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Luc Misson – In memoriam
Ma première rencontre avec Luc Misson eut lieu dans son bureau de la rue de Pitteurs. Ce jour-là, nous avions discuté de littérature, de Camus, de ‘L’Etranger’, du jugement social et d’autres choses dont je ne me souviens plus vraiment. Peu de temps après, je débutai mon stage dans son cabinet. Je n’affectionnais pas la vue du petit bureau qui me fut concédé, elle donnait sur une cour tristounette. J’appréciais les conversations que nous tenions quand l’occasion s’y prêtait et la façon dont il transmettait son amour du métier. Je ne pouvais cependant me résoudre à respecter l’horaire qui m’était imparti : arrivée bureau à 8h30, départ à 18 heures maximum. Cela mettait à mal mon indépendance. Mes retards étaient fréquents. Il s’en offusqua. Il finit par en être agacé. Je le compris. Nous nous quittâmes en bons termes. Je fus un de ses nombreux stagiaires.
Au palais, il ne s’attardait jamais au sortir d’une audience. Le passage à la buvette des avocats (ainsi qu’on la nommait au sein de l’ancien palais) était, pour lui, à éviter. Pour autant, nous parvenions de temps à autre à échanger succinctement sur des faits politiques ou littéraires. Par après, il devint célèbre – et fortement médiatisé – avec l’affaire Bosman qui déboucha sur l’arrêt du même nom rendu par la CJCE en 1995. Un véritable coup de pied dans le monde du football professionnel dont les travers avaient fini par entraver le principe de la libre circulation des travailleurs. Il est vrai que Luc s’était d’abord fait connaître avec une autre décision de principe, tout autant révolutionnaire, celle tenant à la libre circulation des travailleuses du sexe au sein de l’Union européenne.
Un jour, il m’offrit le livre qu’il venait d’écrire : ‘Quelle Justice voulez-vous ?’ ou ‘Comment réformer la Justice, le Barreau et le justiciable ?’ ainsi que le formulait le sous-titre lui aussi libellé en forme d’interrogation. Edité en 1997, il s’inscrivait dans la foulée du bouleversement qui advint l’année précédente dans le sillage de l’affaire ‘Julie et Mélissa’ ou ‘affaire Dutroux’. Le propos était ambitieux. Il partait de remises en question fondamentales et suggérait des propositions innovatrices. Maître Misson appelait de ses vœux une justice autrement structurée, plus rapide et plus proche du citoyen, moins coûteuse pour lui et dotée d’un management moderne. Des thématiques qui demeurent ouvertes et non résolues aujourd’hui.
Il se présenta aux élections du Conseil de l’Ordre mais ne fut pas élu. Sans doute car sa vision apparaissait comme trop audacieuse pour un barreau provincial et timoré comme le nôtre. Sans doute aussi car il estimait l’institution ankylosée, désuète, lui qui rêvait de la remplacer par un syndicat des avocats. Pourtant, le Conseil de l’Ordre ne lui en tint pas rigueur, du moins pas frontalement. Siégeant comme conseiller, j’eus, avec les autres membres du Conseil, l’occasion de le recevoir pour qu’il vienne nous parler de sa conception de la profession et des enjeux qu’elle comportait. Après avoir considéré, avec le regard alerte dont il pouvait parfois se hausser, le fer à cheval que nous formions, il s’adressa à nous à ces termes : « Vous êtes un organe profondément antidémocratique… ». Cette phrase, prononcée sans ménagement, mais sans animosité, introduisit une réflexion réfléchie, charpentée qu’il nous livra avec passion. Je retrouvai là le maître de stage que j’avais connu. Un homme foncièrement indépendant, ne se revendiquant d’aucune obédience, ni politique, ni idéologique ou confessionnelle.
Avec le temps, je le vis de moins en moins. J’eus vent de de ses problèmes de santé. Je demandai parfois de ses nouvelles, notamment auprès d’Aurélie. Et puis je perdis sa trace ces derniers mois.
En feuilletant son livre aujourd’hui, je m’aperçois qu’il avait cité Camus en épigraphe. La première phrase résonne avec urgence au moment même où j’écris ces quelques lignes : « Ce qui nous broie aujourd’hui, c’est une logique historique que nous avons créée de toutes pièces et dont les nœuds finiront pas nous étouffer. » La dernière nous accordait heureusement un espoir : « Mais j’ai toujours pensé que si l’homme qui espérait dans la condition humaine était un fou, celui qui désespérait des événements était un lâche. » Une mise en exergue qui résume peut-être son propre parcours…
Repose en paix mon Cher Luc.
Eric Therer

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