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Le stagiaire 3.0 : chronique d’une (dés)organisation bienveillante
Il est 8h53.
Le rôle n’est pas encore déposé sur les bancs, le greffier n’est pas encore arrivé, tu es le seul avocat dans la salle d’audience, le client te demande si « ça va aller vite ? », l’huissier d’audience t’assure que « le juge arrive », et ton cœur bat plus fort que ta montre connectée.
Tu te dis que cette audience ne devrait pas être bien compliquée. C’était avant de découvrir que ton dossier est le dernier sur la liste, derrière quinze remises, deux plaidoiries « succinctes » et un confrère qui te brûle la priorité en te promettant que son dossier ira vite (c’est cela, oui…).
Bienvenue au tribunal, meilleur terrain d’apprentissage. Temple du désordre organisé.
Episode 1 : les audiences, ces grands terrains d’improvisation
On nous a promis de la rigueur, de la plaidoirie, du prestige… Et puis, on a découvert les couloirs de la Cour d’appel.
L’annexe Nord, ce lieu où tu dois parfois être dans 3 salles d’audience en même temps (voire même dans une salle située au sein de l’annexe Sud) et où les greffiers ont tous la même phrase magique : « Ah, vous êtes là pour le dossier X ? Il a été remis. Vous n’avez pas eu l’info ? ».
C’est ici que naît le vrai apprentissage : savoir improviser quand le rôle change, quand le client veut « juste dire un mot au tribunal », ou quand on découvre à l’audience un dossier jusqu’alors inconnu, qui a dû rester au cabinet.
Et toi, dans cette parade, tu observes, tu patientes, tu fais mine de savoir où aller. Tu découvres que les greffiers connaissent mieux les avocats que les avocats eux-mêmes. Tu comprends que « ça va aller vite » signifie rarement « ça va aller vite ».
Tu apprends surtout l’art subtil de la désinvolture professionnelle. Autrement dit, avoir l’air calme quand ton dossier est au fond du sac, que ton client t’interroge du regard, et que le Juge te demande « Maître, vous plaidez ou pas ? ».
Le stage, c’est ça : une succession de petits chaos, qui finissent par créer une étrange compétence appelée « sang-froid ».
À force d’y retourner, tu cesses d’espérer que le Tribunal soit organisé.
Tu commences à espérer que toi, tu le sois un peu plus que la veille.
Episode 2 : ChatGPT, nouveau maître de stage ?
Et puis, il y a le stagiaire moderne. Celui qui, entre deux audiences, consulte discrètement ChatGPT pour savoir comment formuler une demande au Juge ou vérifier un article du Code civil.
Alors, faut-il craindre le robot ou le copier ? Bonne question.
Parce que oui, la tentation est grande… Une clause à rédiger ? Une requête à amorcer ? Hop, trois lignes dans une boîte magique, et l’intelligence artificielle te pond un texte impeccable (en apparence). Mais plaider n’est pas seulement écrire. C’est penser, choisir, convaincre.
ChatGPT ne transpire pas avant une audience. Il ne sent pas la tension d’un juge sceptique, ni la détresse d’un client qui joue son dernier espoir. Et surtout, il ne connaît pas la nuance, cette zone grise où se niche la véritable éloquence.
L’intelligence artificielle ne remplacera jamais l’intuition et la conviction d’un avocat, ni la subtilité d’une plaidoirie sincère. En revanche, elle nous force à réfléchir à notre propre valeur ajoutée : notre humanité, notre créativité, notre jugement.
Alors non, il ne faut pas craindre le robot, mais il ne faut pas non plus le copier aveuglément.
Cher stagiaire, utilise l’intelligence artificielle comme un outil et pas comme un tuteur.
Episode 3 : l’art de demander de l’aide (et de l’assumer)
Le jeune avocat croit souvent qu’il doit tout savoir. Surtout quand il ne sait rien. Il pense que son maître de stage ne demande jamais, ne doute jamais, ne panique jamais. Erreur. Le secret de survie au stage, c’est précisément l’inverse : savoir demander.
Demander à un confrère ou à ses copains du CAPA comment formuler une clause ou intenter une action dans une situation particulière qu’on n’a jamais rencontrée auparavant. Demander à un greffier où se trouve la salle 3.21 (spoiler : elle n’existe pas). Demander à son maître de stage s’il a déjà perdu un dossier et découvrir qu’il en a perdu vingt, mais qu’il a survécu.
Demander de l’aide n’est pas un aveu de faiblesse. C’est une marque d’intelligence. C’est reconnaître que le droit est un océan, et qu’on ne le traverse pas seul. C’est un geste d’humilité, mais aussi de solidarité.
Au fond, l’art de demander de l’aide, c’est l’art de faire confiance : à la confraternité, à la bienveillance, à l’expérience des autres.
Et à soi-même, un peu.
Episode 4 : ce que j’aurais aimé qu’on me dise en entrant au barreau
On m’a parlé de la robe, du serment, de la dignité. On m’a moins parlé des longues soirées, des clients et confrères injoignables et des juges parfois intransigeants.
J’aurais aimé qu’on me dise que la peur, c’est normal.
Que le doute, c’est sain.
Que la fatigue, ce n’est pas un défaut moral.
Qu’on peut être excellent sans être épuisé.
Qu’on a le droit d’être stressé avant une audience.
J’aurais aimé qu’on me dise qu’on a le droit de ne pas tout comprendre tout de suite.
Que certains confrères impressionnent surtout parce qu’ils parlent fort.
Et que, souvent, les plus brillants sont aussi les plus discrets.
J’aurais aimé qu’on me dise que le barreau n’est pas une compétition, mais une traversée et une école de courage. Qu’on y avance plus vite à plusieurs, qu’on s’y perd parfois, et qu’on y retrouve toujours quelqu’un prêt à tendre la main.
Et surtout, qu’il ne faut pas oublier de lever la tête de temps en temps. Pour regarder le palais autrement, à savoir non pas comme un champ de bataille, mais comme un lieu où chaque jour, malgré la fatigue, malgré le stress, des femmes et des hommes continuent à croire en la Justice et en l’Etat de droit.
Epilogue
Cher stagiaire,
Chère Consœur, Cher Confrère,
Si tu lis ceci entre deux audiences, entre deux mails à 22h ou un contrat à analyser, je ne peux te conseiller qu’une chose : « respire ». Tu fais déjà partie de la grande et belle famille du barreau.
Et si tu as besoin d’un conseil, d’une oreille, d’un café (ou d’un plan d’évacuation du palais), la Conférence libre du Jeune Barreau de Liège et ses commissaires sont là. N’hésite pas !
Marie BOINEM
Commissaire stagiaires

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