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Interview de Mme Sophie Louis
Bonjour Mme la Présidente,
Merci d’avoir accepté de répondre à quelques questions afin que les plus jeunes de nos lecteurs puissent vous découvrir.
1/ Pouvez-vous nous rappeler dans les grandes lignes votre parcours professionnel ?
Je suis Ardennaise. J’ai suivi mes études secondaires à Bastogne.
J’ai étudié le droit à l’Université de Liège et ensuite un D.E.S. en criminologie à Gand.
J’ai été avocate, d’abord stagiaire au sein du Cabinet DEFOURNY (N.A. rue de la Loi pour les plus vieux des lecteurs), et ensuite stagiaire et collaboratrice chez Me Bruno DEPREZ.
J’occupais également en parallèle un poste d’assistante au département de droit familial à l’Université de Liège.
J’ai passé le concours et je l’ai réussi ; la chance fut de mon côté vu que le casus que j’ai dû défendre devant le CSJ était un casus de droit familial.
J’ai choisi le stage court (N.A. ce distinguo stage long/court n’existe plus) et j’ai enchaîné avec 10 ans au Parquet à Verviers et ensuite à Liège.
J’ai principalement traité les matières relatives à l’état civil (mariages blancs, …) et les matières concernant les mineurs (maltraitances, mais aussi le terrorisme impliquant des mineurs ; Rappelons qu’une cellule djihadiste est démantelée en 2015 à Verviers).
Après mon passage au parquet, soit en 2019, je m’oriente vers le siège.
J’ai été Juge d’instruction à Verviers pendant quelques mois.
J’aime les matières techniques, et donc quand Mme Christiane THEYSGENS a pris sa pension, j’ai demandé à reprendre ses matières ; ça tombe bien, personne ne les voulait.
2/ Quel est votre rapport à la fonction de juger ?
En secondaires, j’étais en math fortes ; j’ai même participé aux Olympiades de Mathématiques.
Finalement, j’ai fait des études de droit un peu par hasard, on m’avait dit que ça menait à beaucoup de choses, puis j’ai vraiment accroché.
J’ai vite compris que je voulais devenir Juge.
Je ne suis pas à l’aise avec l’idée de prendre parti ; j’aime rechercher la règle qui s’applique et trancher. Je fais ce qui me paraît équitable tout en restant dans les limites tracées par le droit (N.A. Ius est ars boni et aequi se souviendront les élèves de Mr VIGNERON).
J’ai l’impression de dégager LA solution objective, mais toujours dans l’intérêt de l’enfant, en matière de filiation par exemple, même si l’enfant n’a que quelques mois ; certaines réflexions provoquent des nuits blanches.
Je voulais cependant passer par l’avocature et le parquet pour recueillir de l’expérience de l’autre côté de la barre avant de la franchir ; Aujourd’hui je sais par exemple ce que je peux demander au parquet dans mes dossiers, et comment fonctionne un avocat.
3/ Que fait Sophie LOUIS durant son temps libre ?
Des voyages et des randonnées.
J’ai une passion pour l’Asie ; j’ai fait le Japon, la Corée, Taiwan et je partirai bientôt en Chine.
J’adore les paysages, je ne voyage pas pour aller dans des musées ; je prépare moi-même (avec mon compagnon) mon itinéraire, le plus possible chez l’habitant hors des circuits touristiques car ce que j’aime dans les voyages c’est aussi rencontrer d’autres cultures et vécus.
Je ne suis pas très connectée, et je suis plutôt du genre à plastifier mes cartes IGN sur la table de mon salon plutôt que de fonctionner avec une application et un GPS.
J’ai pas mal visité le Canada aussi : Alberta, Colombie-Britannique, Québec, mais aussi d’autres contrées comme la Tasmanie.
Je randonne également beaucoup en Belgique et en Allemagne.
Par ailleurs, je fais 5-6 heures de sport par semaine pour me défouler, j’en ai besoin : body-combat, kick power. Ça doit bouger !
Enfin, j’adore la lecture et le cinéma ; comme je n’ai ni TV ni plateforme, de préférence le vrai cinéma, à l’ancienne.
4/ Qu’attendez-vous d’un avocat ?
Qu’il connaisse les faits, à savoir son dossier, mais aussi le droit.
Beaucoup ne connaissent même pas l’article sur lequel ils fondent leur procédure.
Il ne s’agit pas juste de raconter une histoire au Juge.
Il faut aussi être précis et clair dans sa demande : il n’y a pas longtemps, un avocat a intitulé sa requête « requête en rectification d’un acte d’état civil », mais ne précisait pas quel acte d’état civil il convenait de modifier (d’ailleurs il ne parlait pas du tout d’acte d’état civil dans le corps de sa requête).
Tout est d’ordre public dans les matières que je pratique ; je dois tout vérifier.
En général, je me sers de la première audience pour faire le tour du dossier avec les avocats et lister sur le p-v d’audience les points qu’il faut checker/sur lesquels il faut me documenter.
Je prends le temps d’aiguiller les avocats.
Il est vrai que si lors de la 2ième audience rien n’a été fait pour faire avancer le dossier, ça a tendance à m’agacer.
Tout le monde perd du temps.
Par ailleurs, il est impossible de travailler correctement dans l’urgence les veilles d’audiences vu qu’à nouveau, la matière étant d’ordre public, je dois vérifier une quantité effarante d’éléments dans le dossier ; si je reçois des conclusions ou des documents la veille de l’audience (voire à l’audience), il m’est impossible de vérifier ce qui doit l’être et je vais de plus en plus remettre les dossiers d’office.
Je suppose que les avocats peuvent s’organiser pour ne pas systématiquement (il y a des spécialistes) travailler à la dernière minute.
5/ Que pourriez-vous dire aux avocats qui sont impressionnés quand ils viennent devant vous ?
Il n’y a rien de personnel ; je veux juste être efficace, notamment pour les familles, les enfants ; les audiences sont souvent chargées et je fais 6 audiences par mois depuis 5 ans dans mes matières donc je sais ce dont j’ai besoin, je tente de vous aiguiller mais je n’ai malheureusement pas toujours le temps de ménager les susceptibilités de chacun.
Une avocate m’a dit en audience publique « qu’avec moi il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas » ; ce n’est pas sous l’angle de la susceptibilité qu’il faut ressentir ce que je dis mais sous l’angle de l’aide. Mon but est toujours de faire avancer les choses et je comprends que les matières que je pratique étant des matières de niche, tout le monde ne peut pas les maitriser.
6/ Vous avez pris la décision d’arrêter vos audiences à 11H. Vous expliquez à l’audience aux justiciables dont les dossiers sont remis les raisons pour lesquelles vous pratiquez de la sorte, à savoir le sous-financement de la justice ; certains ont considéré que ce n’était pas le moment, le lieu, que la méthode était déplacée ; que pouvez-vous leur rétorquer ?
Nous sommes tous dans le même bateau : justiciables, avocats, juges ; le système risque de s’effondrer et plus personne ne sera alors là pour rendre la justice ; c’est très grave.
J’explique aux gens la raison pour laquelle leur dossier est remis car j’estime qu’ils ont droit à une explication; ils ignorent souvent tout du monde judiciaire, de la procédure, ou même la façon dont leur avocat pro deo est payé. Quand on prend le temps d’expliquer, les justiciables comprennent, et souvent ils me soutiennent et m’encouragent en sortant de la salle d’audience.
Cela n’a aucun lien avec la réduction de la pension des magistrats ; personnellement je suis persuadée que je n’aurai pas de pension légale car le système prend l’eau et j’ai pris mes dispositions. Ce qui me préoccupe c’est vraiment l’avenir de la justice.
Une étude a été réalisée auprès des magistrats, qui recevaient 10 notifications sur leur GSM par jour, et devaient signaler s’ils travaillaient au moment de la réception du pop-up. Cette étude a révélé que les magistrats du TPI travaillaient en moyenne 53 h/semaine au lieu des 40 h prévus par leur statut social.
J’ai fait une règle de trois et j’ai donc réduit mes audiences en proportion.
***
7/ Questions du tac-o-tac
A- Questions inspirées du questionnaire de Marcel PROUST :
Le principal trait de mon caractère : la franchise
La qualité que je désire chez un homme : la fiabilité
La qualité que je préfère chez une femme : la franchise
Ce que j’apprécie le plus chez mes amis : la bienveillance
Mon principal défaut : l’impatience
Mon occupation préférée : la randonnée
Mon rêve au quotidien : être plus dans le lâcher-prise
Quel serait mon plus grand malheur : perdre un proche
Ce que je voudrais être : un oiseau
Le pays où je voudrais vivre : le Canada
La couleur que je préfère : le rose
La fleur que j’aime : la perce-neige
L’oiseau que je préfère : la mésange
Mon auteur favori : Haruki Murakami
Mon héros favori dans la fiction : Phoebe dans la série Friends
Mon peintre favori : Dali
Mes héros dans la vie réelle : mes parents
Mon mot favori : pédalo
Ce que je déteste par-dessus tout : la malhonnêteté
Le trait de caractère que je déteste le plus : la fausseté
Le don de la nature que je voudrais avoir : la patience
Comment j’aimerais mourir : sans souffrir
Etat d’esprit là maintenant (au moment de l’interview) : joyeuse
La faute qui m’inspire le plus d’indulgence : quand on me dit zut je pensais bien faire
Ma devise : carpe diem
B - Quelques questions sorties de l’esprit de votre serviteur :
Votre film préféré : Le cercle des Poètes disparus
Votre chanson préférée : Il en faut peu pour être heureux, tiré du Disney « Le livre de la jungle »
Votre livre préféré : 1Q84 (N.A.2009 – Haruki Murakami)
Votre série préférée : The Big Bang Theory
A quelle époque aimeriez-vous vivre : les années folles (1920-1930)
Votre idéal physique masculin (quelqu’un de célèbre) : Brad Pitt
Votre plat préféré : pâtes (alla) boscaiola (N.A. littéralement « à la façon bucheron » : en général du bacon, des champignons, de la tomate, de la crème et du persil)
Votre plaisir coupable : le chocolat
Votre défi sportif à relever : continuer mes 6 heures de sport par semaine sans me blesser
8/ Pour finir, auriez-vous une blague ou une anecdote à nous raconter ?
J’en ai une mais j’étais toujours avocate.
Je vais plaider en justice de paix (j’ai oublié laquelle) et je demande à un confrère de me présenter ; le Juge me regarde intensément, silence dans la salle, et me dit : « Visiblement Me Louis la première fois je ne vous ai pas fait forte impression » ; j’avais déjà plaidé devant lui il y a peu. Suis-je physionomiste ? Apparemment pas 😊
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Merci beaucoup pour votre temps
De rien belle journée et à bientôt.
Eric Taricco
Liège, 15/10/2025 
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