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Mot du Bâtonnier - S.O.S Bonheur
Dernièrement, seul encore éveillé dans la maisonnée, désœuvré et porté sur une certaine introspection, je voyageais dans les vieux livres de ma bibliothèque.
Sur les étagères réservées aux bandes dessinées, j’ai finalement replongé dans la trilogie S.O.S. Bonheur (Griffo et Van Hamme, 1984 – 1988, Collection Air Libre, aux éditions DUPUIS).
Probablement en raison de mon jeune âge (10 ans) lors de leur découverte, ces récits aux tonalités adultes, sombres voire désespérées, dont le caractère visionnaire me frappe encore à chaque relecture, font partie de ceux ayant durablement marqué mon imaginaire et, presque de manière paradoxale, ont contribué à forger mes idéaux d’adulte en devenir.
Imaginés par son scénariste dès le début des années 80, sur base de la question de départ: « Lorsqu’une norme est imposée pour assurer le bonheur théorique du plus grand nombre, qu’advient-il de ceux qui, volontairement ou non, s’en écartent ? », les deux premiers tomes déploient six mini-récits se déroulant dans un futur proche, au sein d’une société occidentale semblable à la nôtre qui continue à se proclamer démocratie.
Les thèmes abordés s’appuient sur un dessin réaliste et portent sur : le sens du métier que l’on exerce dans un univers kafkaïen (« Plan de carrière »), l’Assurance Médicale Unifiée fondée sur le contrôle obligatoire par une police médicale (« à votre santé »), les vacances obligatoires en centres d’état (« Vive les vacances »), la création d’une carte universelle à la fois carte d’identité, carte de mutuelle, moyen de paiement (« Sécurité publique »), le contrôle de la natalité (« Planning familial ») et le contrôle de l’exercice de l’activité d’artiste (« Profession protégée »).
Pour illustrer le caractère visionnaire des sujets, je renvoie aux articles référencés en bas de page – dont le plus ancien remonte au 28 octobre 2010 dans lequel un futur ministre de la justice Vincent Van Quickenborne déclare : « Nous nous approchons de mon rêve ultime de remplacer toutes les cartes présentes dans un portefeuille par une seule carte » et le plus récent, du 28 mars 2025, évoque la loi-programme du ministre de la santé Frank Vandenbroucke qui « prévoit des sanctions pour les malades de longue durée qui ne se présentent pas aux évaluations médicales, avec des réductions d’allocations et des modifications sur le salaire garanti en cas de rechute »*.
Le troisième tome, quant à lui, relie le tout, questionne l’idée même de liberté, suit à la trace un policier (dessiné sous les traits de Lino Ventura) et un avocat (tiens, tiens,…) vieillissants qui croiseront un super ordinateur nommé Thémis, chargé de rendre les décisions de justice (voilà, voilà,…). Il débouche sur un constat global tragique où l’inanité des idéaux détournés ou instrumentalisés rivalise avec l’amoralité régissant les cycles sociétaux.
Pour moi, en dépit de la noirceur du tableau général, c’est la présence d’îlots de rêves de bonheur – on y revient – minuscules et individuels, rares et précieux, arrachés à l’absurdie qui ont nourrit une aspiration intérieure à leur défense.
Chacun(e) porte en soi les œuvres qui l’inspirent mais peu ou prou, pour exercer et surtout continuer à exercer notre métier de défense, il me paraît que, plus que jamais en ces jours incertains, nous devons porter en nous les germes des aspirations innocentes forgées durant notre jeunesse.
Au quotidien, avec lucidité mais détermination, encore et toujours, agissons, plaidons, persuadons de la justesse des causes que nous défendons.
Au travail !
Alexandre Bucco
Un bâtonnier à la fois poète…
Un bâtonnier à la fois poète et lucide : j'adhère !
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