Qui a le droit ? Qui a le droit de faire ça ?

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La revue du barreau : le sujet qui divise plus que la guerre dans le croissant israélo-palestinien ou la musique de Patrick Bruel.

Comme dans d’autres corps de métier, le spectacle annuel au barreau de Liège-Huy s’inscrit traditionnellement dans le programme de la journée solennelle de rentrée.
Le show se déclare ouvertement humoristique dans sa succession de chansons et de sketchs.

Des situations sont visées, mais aussi des avocats ou des magistrats entre autres, ad personam.

La salle est pleine.

Après la soirée, certains adorent et fredonnent les chansons de la revue toute l’année, d’autres l’abominent et trouvent ce procédé indigne du barreau.

Aux yeux de certains, la blague est corrosive et celui qui en fait l’objet ne peut que s’en indigner.

 

A travers la revue, c’est la notion d’humour qui est en cause de débat dans ce monde wokiste.

Peut-on rire de tout et de tout le monde ?

L’humour est la mise en exergue d’un élément d’une situation, d’un trait de caractère physique, moral ou émotionnel ; le principe de la caricature est l’exagération.

L’humour a-t-il encore sa place aujourd’hui ? 

Des sketchs et spectacles des années 80 provoquent un scandale en 2024.

On ne peut nier que l’humour est inhérent à l’être humain, qu’il sert de barrière ou de défense pour déminer certaines situations.

Comme beaucoup de mes pairs mammifères, je « ressens » moi-même souvent  l’envie/le besoin de faire de l’humour. Je suppose donc que ce comportement fait « partie » de nous.

Toute forme de plaisanterie pourrait certes trouver sa victime. Sur la planète terre il y aura toujours au moins un humain se sentant choqué, blessé, discrédité par un trait d’humour.

Notre ami Patrick Benguigui précité dans ma première phrase d’article pourrait lui-même se vexer du début de mon texte.

La question deviendrait donc : « peut-on/doit-on se vexer de tout ? ».

La tendance actuelle à la victimisation de chacun ne tend elle pas vers une société dans laquelle on ne dira plus rien ? Dans laquelle on n’osera plus rien dire ? Car de nos jours, même les propos sérieux et réfléchis doivent souvent être retirés, expliqués, excusés ; le législateur et la classe judiciaire emboîtent le pas à ce mouvement. L’auto-censure s’installe petit à petit.

Où cela va-t-il mener ?

Cela va-t-il à l’encontre de certains droits fondamentaux que les avocats défendent au prétoire et pour lesquels nos ancêtres se sont battus tel le droit à la liberté d’expression ?

 

Revenons à notre revue.

Avouons que certaines victimes de notre cabaret offrent généreusement la joue à la caricature : comment se plaindre d’être l’objet d’un pamphlet si un avocat s’est distingué au mess des avocats toute l’année par des propos subversifs, passionnés, voire carrément iconoclastes sur l’ordre établi ?

Comment pleurer à chaudes larmes d’être devenu le sujet d’une chanson après avoir tempêté sur tout et tout le monde durant des heures ?

Il faut rester cohérent : rester discret et raisonnable ou s’exposer à la lumière et prendre le risque d’attraper un coup de soleil.

De la même façon, être l’auteur de comportements dans l’exercice de son métier qui frisent le ridicule, la gêne, ou la mauvaise foi, n’incite guère à la reconnaissance et au respect de ses pairs.

Force cependant est de noter que l’humour reste un art que certains manient avec beaucoup plus de finesse que d’autres : tous les Jean-Marie Bigard n’ont pas l’éloquence d’un Desproges ou d’un Devos.

La censure du Bâtonnier, lecture préalable des textes de la revue avant la représentation, a pour objet d’adoucir une expression trop brute, voire d’interdire certains passages.

Ceci étant dit, il ne m’appartient pas de trancher la controverse ici et de prendre position  sur la légitimité du spectacle précité vu qu’il faut respecter l’avis de chacun et sa sensibilité face au sujet, mais nous pouvons attirer l’attention des protagonistes sur la nuance à avoir dans leurs comportements.

La susceptibilité est une question de personne mais être vexé est une chose ; en faire une affaire d’état en est une autre.

Nous demandons souvent à nos clients de ne pas réagir de manière épidermique, il convient de nous appliquer ce conseil. 

De même, faire de l’humour est une chose mais être bêtement méchant à l’encontre d’une personne vulnérable en est une autre.

Dans une profession prônant la défense des plus faibles, il convient de rester cohérent et prudent.

Pif magazine, écho des savanes ou charlie hebdo, chacun doit s’endormir le soir avec le poids de ses propos sur les épaules.

Pas de miracle littéraire donc dans le présent article, le débat présenté est plus vieux que le monde. 

Cette discussion fonde la plupart des règles de nos plus anciens codes légaux ; il s’agit de réguler deux comportements antagonistes de deux êtres humains, différents par essence, aux émotions distinctes.

 

Moi, je n’aime pas trop la musique de Patrick Bruel mais je ne change pas de station de radio pour autant, et je veux bien boire un café (au café des Délices) avec un aficionado du genre sans problème. 

 

In medio stat virtus  

 

Belle journée,

 

Eric Taricco

 

 

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