Chronique de Gaby - Chapitre 3

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Au début de ma carrière (pas au siècle dernier, mais presque…), pour des raisons qu’il serait assez fastidieux d’évoquer longuement ici, j’ai travaillé quelques mois seule.

La collaboration avec mon patron de stage a pris fin de manière assez subite, les opportunités qui se présentaient à moi (plus ou moins aucune) ne me tentaient pas…

Bref, j’ai loué un local pour pas cher, j’y ai transporté un vieux bureau destiné au rebut, fait l’acquisition d’une chaise Huvudspelare et 2 bibliothèques Billy chez un designer suédois, souscrit un abonnement combo fax téléphone chez Belgacom (oui, j’ai quand même quelques heures de vol), déposé mon PC et mes 12 dossiers dans ce bureau que j’ai repeint de frais.

J’étais prête à attendre la sonnerie du téléphone.

Je me suis inscrite à toutes les permanences possibles, j’ai négocié quelques collaborations et c’est ainsi que je suis devenue, sans vraiment l’avoir calculé, chef d’entreprise.

Il y avait quelque chose d’assourdissant dans ce bureau. C’était le silence.

Si ce n’est le facteur qui tenait à chaque fois à m’expliquer pourquoi il ne pouvait pas juste me jeter les recommandés (réponse : parce que je ne lui avais pas encore filé la dringuelle de 50 euros  à la fin de l’année), le voisin du dessus qui venait régulièrement me parler des poubelles, et quand même l’un ou l’autre client une demi-journée par semaine, j’avais assez peu d’interactions sociales.

En matinée, ma foi, je pouvais encore prétendre à un remplacement (le dépôt des conclusions au greffe dernier jour pour 50 balles, franchement, DPA, je ne te remercie pas) pour aller ensuite zoner une heure ou deux au mess (à une époque où il était régulièrement ouvert, et même entre 11h30 et midi) et discuter des derniers potins.

Mais en hiver, fin de journée, par temps de pluie et de vent… On n’était pas loin de l’ambiance Shining.

Personne qui me disait bonjour en arrivant. Personne pour me raconter sa soirée en buvant son café. Personne pour venir râler après une audience foireuse. 

Le silence.

J’aurais pu développer une névrose. (Je l’ai fait d’ailleurs. Mais sur d’autres sujets. Vous n’aurez qu’à lire les prochaines chroniques si ça vous intéresse.) 

C’est vrai, je n’ai jamais été solitaire et les gens qui me connaissent savent que le silence, ce n’est pas ma spécialité.

Dans la mesure où je ne savais trop combien de temps j’allais rester seule dans ce bureau, j’ai pris le taureau par les cornes. J’ai acheté une radio.

 
Ma vie a changé ! Je n’étais plus seule, j’avais toujours quelqu’un qui me parlait, quelqu’un à écouter, quelqu’un qui comblait ce silence.

Cette radio rythmait mes journées. L’allumer en arrivant et l’éteindre en partant est devenu mon rituel, je connaissais le prénom de tous les animateurs et je savais quel jeu passait sur quelle fréquence à quel moment. 

Si j’avais su…

Si j’avais su qu’en devenant maman, le plus beau mot du monde qu’on attend avec impatience (et qui, dans la majorité des cas, est prononcé après Papa, bande d’ingrats) est répété entre 10 et 50 fois quotidiennement. Maman ? Maaaaman ? Mamaaaaan ? MAAAAMAAAAAAAN ! Et dans mon cas, faites fois trois. (Oui, je sais, le vélo, les pédales tout ça. Que voulez-vous que je vous dise ? EVIDEMMENT que, comme tout le monde, j’ai pensé que je m’en sortirais beaucoup mieux. Ahah)

Si j’avais su que dans ma vie d’avocat, je serais interpellée partout, tout le temps. A l’audience. Au bureau. Au match près du bureau. Le téléphone ? N’en parlons même pas, je le brûlerais. Maît’ ? Maîîîît’ ? On peut dire Maîtresse ? Votre honneur ? MAÎÎÎÎT’ !!! Maître Martin, Maître Gabrielle, Maître Marsouin, Maître Garcin, Maître Saint-Marsin, Maître, Maître, Maître.

Si j’avais su qu’au bureau, pas une secrétaire, pas un collaborateur ne pourrait me voir passer sans me harponner d’un « Ah, Maître Marsein, tant que vous êtes là ! », fois deux secrétaires, fois trois collaborateurs.

Je sais que je ne suis pas souvent là. Ce n’est pas que j’aie tant d’autres choses à faire ailleurs, c’est qu’à force, je suis devenue misanthrope. ARRÊTEZ DE M’APPELER.

Au greffe : Maître Marsein, votre dépôt Just Restart là, ça ne va pas, c’est un autre item pour les annexes.

A l’audience : Maître Marsein, êtes-vous d’accord pour opter pour le débat interactif ?

En rendez-vous : Maît’, vous ne voulez pas me donner votre numéro de GSM, ce serait quand même plus simple pour vous appeler.

A l’école : Madame Marsein, vous auriez une minute pour qu’on puisse parler de votre fille ?

Même mon mari et mes copines s’y mettent ! Mon cœur, on pourrait prendre un moment pour discuter de cette nouvelle opportunité professionnelle ? Gaby, tu serais dispo vendredi pour qu’on aille prendre l’apéro, je dois te raconter…

(Bon, ce dernier exemple est teinté d’une certaine mauvaise foi. Je ne dis jamais non à l’apéro, encore moins quand il s’agit d’aller écouter les dernières aventures Tinder de ma meilleure pote célibataire depuis peu et qui profite un max de sa garde alternée).

Hé bien si j’avais su tout ça, j’aurais profité de chaque seconde de chaque minute de chaque heure de chaque jour de ce silence !

Beethoven, Thomas Edison, Ronald Reagan, Emmanuelle Laborit, Pierre de Ronsard. Tous sourds ! Le bol…

Vous qui me lisez aux toilettes : sachez que c’est le seul endroit où je retrouve le silence.

Non, Martine, je ne suis pas constipée chronique. Je suis misophone ! (ndlr : Misophonie : trouble psychique caractérisé par une aversion à certains sons produits par un autre individu. Quand je vous parlais de névrose !)

Inutile de vous dire que sur ma wish list de Noël, je n’y suis pas allée par 4 chemins. Cette année, je me fous éperdument d’une journée au Spa, du magnifique kimono à paillettes des Blondinettes ou d’une dégustation de vins. Non, là, j’ai mis le paquet.

J’ai demandé des bouchons d’oreille.
 

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