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Interview François Deguel
Notre confrère Me François DEGUEL vient d’être élu par ses pairs au poste de syndic des administrateurs de biens du Barreau de Liège-Huy.
Une nomination qui intervient au cœur de la réforme législative actuelle ( N.A. : L. du 8/11/2023 - A.R.du 18/05/2024 - entrée en vigueur notamment 01/07/2024).
Calme, posé, confiant, ce scientifique et praticien du droit nous a reçu dans son bureau du quartier des Vennes et a accepté de répondre à quelques-unes de nos questions.
Bonjour Me DEGUEL, pour commencer, pour les plus jeunes qui ne vous connaissent pas, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
J’ai 39 ans ; j’ai prêté serment en 2009 ; j’ai fait mon stage sous le patronat de Me Benoît LESPIRE.
D’emblée, je vous précise que Me LESPIRE fut un patron de stage qui m’a beaucoup appris.
Je ne dis pas cela – seulement – pour le flatter car je crois que nos mentors jouent un rôle important dans nos carrières.
Me LESPIRE et Mr le Professeur Yves-Henri LELEU sont les deux personnes qui ont été déterminantes pour moi.
(Benoît si tu nous lis !)
Ceci me permet d’embrayer.
J’ai été assistant à l’Unité de droit familial de l’ULiège ; J’ai étudié la matière de la protection des personnes notamment à l’époque de la loi de 2013.
Cela m’a donné l’envie d’aller plus loin que la théorie, et naturellement le métier d’avocat m’a donné l’opportunité de passer de la théorie à la pratique.
J’enseigne toujours à l’Université où je suis devenu collaborateur ; une semaine par an, j’enseigne la protection des personnes majeures et mineures au Bloc 3, dans le cadre du cours de droits des personnes et des familles. Je donne également régulièrement des formations et conférences sur le sujet.
Sur un plan privé, je cours beaucoup actuellement ; cela me détend ; je prépare, avec un de nos confrères, le marathon de DIJON ; c’est un petit challenge personnel : courir un marathon avant mes 40 ans. Le courir en moins de 4 h serait satisfaisant.
Qu’est-ce qui vous attire dans cette fonction d’administrateur ?
En tant qu’avocat nous conseillons, nous défendons, mais j’ai souvent été insatisfait, même quand j’obtenais gain de cause ; j’avais besoin d’aller plus loin.
En qualité d’administrateur, je tente de trouver des vraies solutions pratiques pour mon protégé ; je vais plus loin ; on pourrait dire que le rôle social inhérent à la fonction, celui qui dépasse le rôle juridique, m’apporte beaucoup.
Je me sens réellement utile.
J’aide dans ce monde digital, toujours plus complexe face à des personnes déconnectées, au sens propre et figuré.
La difficulté est de trouver la bonne voie, adaptée à la personnalité de l’administré, de manière parfois contraignante, mais toujours avec le minimum de collaboration nécessaire.
On ne peut aider quelqu’un qui ne veut pas être aidé, mais parfois, simplement être là, donner un statut, remplir une demande d’aide au CPAS, une demande d’adresse de référence, est déjà un début de solution que je peux trouver.
Le syndic, kessaco ?
J’ai donc été élu pour deux ans.
Je suis concrètement le Président de la commission « administration de biens » du Barreau de Liège-Huy.
Je devrais plutôt dire « des administrateurs professionnels » vu que la nouvelle loi distinguera prochainement les administrateurs de biens professionnels et les administrateurs familiaux.
Dans le cadre de ma fonction, je travaille sur des sujets divers ; actuellement c’est surtout la matière du nouveau calcul des honoraires décidé par la nouvelle loi, et entrée en vigueur ce 1er juillet 2024, qui retient notre attention ; la création du tableau excel, avec la commission d’Avocats.be et que nous avons fourni aux administrateurs professionnels comme support, a absorbé beaucoup d’énergie ces derniers temps (et c’est loin d’être fini).
Par ailleurs, mon rôle est de faire le lien entre les Juges de paix et le Barreau, sur différents sujets, d’être à l’écoute des attentes de ces deux types d’intervenants aux pratiques souvent différentes. J’informe les uns et les autres.
« Par répercussion », je fais partie de la commission Administration au sein d’ « Avocat.be ».
Là aussi, je tente de réunir des informations, de comprendre, de voir si sur certains points une uniformisation des pratiques serait envisageable. Je ne souhaite pas que les administrateurs de notre barreau soient traités différemment que ceux des autres arrondissements judiciaires.
Quand l’administré déménage de Liège à Tournai, le Juge de paix local devient compétent et il me semble utile que l’administrateur puisse savoir quelles sont les pratiques dans le Tournaisis.
Quels sont vos objectifs pour votre mandat ?
Comme vous le savez, j’ai des idées … (sourire).
Je vais retenir cinq points pour l’article :
1. L’organisation de séances spécifiques d’informations pour les administrateurs de notre Barreau. Des formations juridiques mais aussi non-juridiques ; je pense par exemple à la gestion de la violence verbale (ou autre) que nous pouvons rencontrer dans le métier ; ces formations seraient destinées aux avocats, mais aussi à leur personnel, souvent en première ligne.
2. L’organisation de formations en matière locative, au-delà du simple droit du bail.
3. Asseoir une véritable liaison avec le CPAS de Liège qui est un intervenant essentiel pour nous mais souvent … difficilement cernable.
4. Faire de même avec le service juridique de la Ville de Liège avec qui nous rencontrons souvent des difficultés pratiques.
Par exemple certaines mairies de quartier refusent de délivrer aux administrateurs de biens une composition de ménage car cela empiéterait sur le RGPD, alors que ce document leur est indispensable pour régler des aspects purement patrimoniaux liés à la fonction (N.A. : l’administrateur de biens n’est pas toujours l’administrateur de la personne du protégé (aspects extra-patrimoniaux)).
5. Créer une boîte à outils tout à fait pratique, sous forme écrite, reprenant les premiers réflexes à avoir lors de la désignation, ou reprenant des adresses ou numéros de téléphone utiles ; bref tout ce que Me KELECOM et Me GILLET n’ont pas le temps d’enseigner en quelques heures au CAPA (à l’école du stage).
(J’interromps Me DEGUEL, qui visiblement a encore beaucoup d’idées ... :) ).
Selon vous, quelles seraient les qualités requises pour être un bon administrateur de biens ?
Ecoute, compréhension, patience, et surtout de l’humanité ; il faut être accessible ; je ne parle pas de permanence téléphonique mais de créer une ambiance de confiance où mon protégé comprend que je suis là pour l’aider et où il aurait envie de communiquer et de se confier. Mon trick personnel : rencontrer de manière décontractée au niveau vestimentaire : cela impressionne moins qu’en costume-cravate.
Attention je ne parle pas de devenir copain-copain, il faut rester professionnel ; j’explique par ailleurs toujours à mes protégés qu’être administrateur professionnel est un métier ; pas de réponse le soir, le week-end, ou encore, si nous nous rencontrons fortuitement, je ne gère pas de dossier sur le trottoir.
Quelles sont les limites de la fonction dans une époque où l’administrateur est amené à faire de plus en plus sur un plan social ?
La fonction se veut de plus en plus sociale, c’est incontestable : chaque administrateur doit en avoir conscience et doit en assumer une part.
Certains services sociaux n’assument malheureusement plus leur rôle et sollicitent la désignation d’un administrateur lorsque la communication avec le citoyen s’avère compliquée, afin d’avoir un interlocuteur plus rationnel, alors que le rôle d’un service social est précisément de gérer la personnalité de leur intervenant au-delà de la demande qui leur est adressée.
Sur le plan des principes, notre fonction première est avant tout l’accomplissement de démarches juridiques. Dans la pratique, nous en sommes toutefois très loin et notre mission est/devient de plus en plus large. Il appartient à chaque administrateur de se fixer ses propres limites.
Qu’est-ce qui vous marque le plus humainement dans votre métier ? (N.A. : la question est formulée vaguement à dessein)
Que les abus de personnes faibles, âgées, proviennent souvent de la famille ou des plus proches.
Des enfants qui détournent de l’argent de leurs parents, de leurs conjoints, … que les auteurs le fassent d’ailleurs dans le cadre d’une administration de biens familiale ou en dehors de toute administration.
Ce type de situation arrive de plus en plus fréquemment, et cela m’interpelle beaucoup.
Sans leur trouver d’excuse, c’est aussi lié au système économique dans lequel nous vivons ; de plus en plus de personnes éprouvent des difficultés.
Terminons tout de même sur une note légère ; avez-vous souvenir d’une anecdote qui prête à sourire à l’occasion d’un dossier (sans se moquer évidemment) ?
Un protégé (homme) a une fois contacté mon secrétariat (une femme) pour demander 150 euros. Il refusait d’indiquer la raison de cette demande, sauf à moi. Je l’ai donc appelé. Il souhaitait cette somme, avant d’être interné, afin de se faire plaisir … avec une femme moyennant une relation tarifée. Je ne vous dirai pas ma réponse 12.
Merci beaucoup Me DEGUEL, bonne chance pour le marathon.
Merci à vous. Belle journée.
Eric TARICCO
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