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Interview de Mme Anne DEMOULIN, juge de paix du 2ième canton de Liège
Bonjour Mme le Juge de paix,
Merci d’avoir accepté de répondre à quelques questions afin que les plus jeunes de nos lecteurs puissent vous découvrir.
1/ Pouvez-vous nous rappeler dans les grandes lignes votre parcours professionnel ?
Après mes études secondaires, j’ai vécu un an aux Etats-Unis. En rentrant, j’ai passé un test d’orientation qui m’a dirigé vers le droit. Je dois dire que j’étais attirée par le journalisme, et le droit pouvait être une bonne formation. Je ne suis jamais devenue journaliste. Je me suis inscrite au barreau, au début sans conviction. J’ai travaillé 10 ans chez Hannequart et Rasir (Elegis) à mi-temps ; l’autre mi-temps j’étais assistante à l’université au service de droit fiscal. Etant devenue maman (Mme le Juge de paix a 3 filles), il était compliqué de faire progresser ma carrière d’avocat. En 1997-1998, j’ai passé à la fois le concours et l’examen d’aptitude pour devenir magistrat. J’ai réussi les deux. J’ai choisi de ne pas passer par la filière du stage et j’ai postulé dès que j’ai eu 10 ans de barreau. J’ai passé 18 ans à la chambre « construction » du Tribunal de première instance et en appel de justice de paix et de police. Ensuite, quand la place de Mr Waxweiller s’est libérée, j’ai postulé et obtenu le poste de Juge de paix du 2ième canton de Liège.
2/ La fonction de juger s’est-elle imposée à vous naturellement ?
En premier lieu, j’aime beaucoup cette idée de faire partie du service public, d’avoir une fonction dans la société. Je me suis rendue compte que l’idée de trancher un différend, d’écouter les deux versions d’un conflit, me convenait parfaitement. Je suis plus à l’aise dans ce rôle que dans le rôle de défendre un point de vue. Certes, le Juge applique la Loi mais il est aussi guidé par son éthique.
Plus particulièrement, ce qui m’attire comme Juge de paix est la diversité des tâches à accomplir. Il y a beaucoup à faire et le travail social est omniprésent. Le justiciable attend cela du Juge de paix : de l’écoute.
Dans les administrations de biens, nous entrons dans une situation de vie parfois compliquée.
Je suis les situations de près, cela me tient à cœur. Il y a +- 800 dossiers d’administration de biens au 2e canton, cela représente +/- 40 % de mon temps de travail. Je travaille +/- dans 40 dossiers d’administration chaque semaine.
Par ailleurs, le 2e canton couvre le centre-ville avec ses spécificités : la copropriété et le contentieux relatif aux baux commerciaux qui est important. Pendant le covid, cette matière nous a totalement submergé. Il y a 4 audiences par semaine au deuxième canton, outre la gestion des administrations de biens. Je suis aidée 2 X par mois pour les plaidoiries par Mr Firass ABU DALU (N.A. Juge de paix de Huy II). Les juges suppléants me remplacent quand je m’absente ou quand je suis débordée et se chargent des audiences de conciliation. Je peux compter sur le soutien des greffiers et employés du greffe.
J’aime ma fonction.
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3/ Sans dévoiler trop de secrets, accepteriez-vous de nous dire ce qu’Anne Demoulin fait de son temps libre ?
Je suis une hyperactive : je lis beaucoup, en anglais, principalement des romans anglais et américains. Je vais au cinéma environ une fois par semaine. J’assiste à une table de conversation en espagnol deux fois par mois.
Quand je peux, je passe du temps avec ma famille, mes enfants, mon mari.
J’adore voyager, découvrir des nouveaux endroits, de nouvelles choses. Je pourrais en faire mon métier tellement j’aime organiser des voyages.
J’aime le ski, bien que je culpabilise car je suis quelqu’un d’assez écolo. J’essaie d’apporter ma touche à mon niveau : par exemple, je me déplace quasi exclusivement à pied ou à vélo.
Je n’écoute pas énormément de musique ; par contre j’adore l’art moderne.
Je pratique du sport plusieurs fois par semaine, notamment l’aquagym et l’aquabike.
4/ Pouvez-vous me dire ce que vous attendez d’un administrateur de biens ?
Evidemment, une honnêteté sans faille.
Evidemment, que le rapport soit bien fait car j’en ai beaucoup à contrôler donc ça doit être clair, notamment au niveau des chiffres, mais la première qualité c’est qu’il soit « humain ».
Certes c’est un patrimoine, un budget qui est géré, mais c’est le budget de quelqu’un, pour lui, pour qu’il soit bien. Je tiens beaucoup à la visite annuelle des administrés : comment gérer la vie de quelqu’un si on ne le rencontre pas ?
5/ Et d’un avocat ?
De connaître son dossier ? Ça paraît « bateau » mais j’entends toute la semaine « Je ne suis pas le dominus litis »…
Il y a beaucoup de dossiers à l’audience, notamment à l’introduction.
Nous perdons beaucoup de temps simplement parce que l’avocat ne sait pas répondre à une question simple : garantie locative, type de bail, etc...
La Justice de paix n’est pas une juridiction mineure, moins importante…
C’est une demande générale des magistrats.
Quand je travaillais chez Hannequart, bien avant l’ère des time-sheet, on passait du temps avec les gens, sur les dossiers, sans compter nos heures, mais on connaissait nos dossiers sur le bout des doigts, on accompagnait véritablement les clients. Je sais que la réalité économique ne permet plus de travailler comme ça.
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6/ Vous avez une réputation de Juge inaccessible chez certains avocats, d’être un peu rêche ; Vous le saviez ? A quoi est-ce dû ? Que pourriez-vous dire aux avocats qui sont intimidés par votre personnalité ?
Je le sais, le barreau est un microcosme. La réputation colle à la peau, est-il possible de la renverser ?
Je n’ai pas l’impression d’être intimidante. Cette impression existe principalement dans le chef des gens qui ne me connaissent pas. Les gens qui me connaissent ne me trouvent pas intimidante. C’est peut-être ma façon de m’exprimer, le fait que je sois relativement impatiente, poussée par la nécessité des choses, d’être efficace. Je manque parfois de filtre.
C’est vrai que je pose des questions dans les dossiers, je m’y investis, je vais au fond des choses, ça dérange souvent.
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7/ Je voudrais finir notre entretien par quelques questions du tac au tac…
a. Les premières sont inspirées du fameux questionnaire de Proust.
QUESTIONNAIRE DE MARCEL PROUST
⦁ Le principal trait de mon caractère : La difficulté à lâcher prise
⦁ La qualité que je désire chez un homme : La fidélité
⦁ La qualité que je préfère chez une femme : L’ouverture d’esprit
⦁ Ce que j’apprécie le plus chez mes amis : L’indulgence
⦁ Mon principal défaut : L’impatience
⦁ Mon occupation préférée : Les voyages
⦁ Mon rêve de bonheur : Avoir des petits-enfants
⦁ Quel serait mon plus grand malheur : Perdre un enfant
⦁ Ce que je voudrais être : Zen
⦁ Le pays où je désirerais vivre : Le Portugal
⦁ La couleur que je préfère : Le vert
⦁ La fleur que j’aime : L’orchidée
⦁ L’oiseau que je préfère : La mésange
⦁ Mon auteur favori : Emilie St John Mandel
⦁ Mon héros favori dans la fiction : Comte de Monte-Cristo
⦁ Mon peintre favori : David Hockney
⦁ Mes héros dans la vie réelle : Mes filles
⦁ Mon mot favori : Famille
⦁ Ce que je déteste par-dessus tout : L’injustice
⦁ Caractères que je méprise le plus : La malveillance
⦁ Le don de la nature que je voudrais avoir : Le côté créatif
⦁ Comment j’aimerais mourir : Dans mon lit
⦁ Etat présent de mon esprit : Amusé
⦁ La faute qui m’inspire le plus d’indulgence : La faute involontaire
⦁ Ma devise : « Vite et bien »
b. Quelques questions sorties de l’esprit de votre serviteur.
Votre film préféré : Short cuts (de Robert Altman, 1993).
Votre chanson préférée : Wish you were here (Pink Floyd, 1975, sur l’album éponyme).
Votre livre préféré : Station Eleven (écrit par Emily St. John Mandel, 2014).
Votre série préférée : The Big Bang Theory.
A quelle époque aimeriez-vous vivre : Retourner dans les années 80.
Votre idéal physique masculin (quelqu’un de célèbre) : Outre mon époux, George Clooney est plutôt séduisant.
Votre plat préféré : Pasta a la norma (Recette sicilienne : sauce tomates, aubergines frites, ricotta salée râpée et basilic).
La personne que vous admirez dans le domaine professionnel judiciaire : Albert Fetweiss.
Votre plaisir coupable : me recoucher après avoir pris le petit déjeuner, mais ça n’arrive jamais.
Votre défi sportif à relever : améliorer mon niveau au padel
Votre résolution de bonne année 2024 ? Essayer le wingfoil (sport extrême avec une planche de surf à Foil et une aile légère cerf-volant en forme de deltaplane).
c. Pouvez-vous finir en nous racontant une blague ou une anecdote ?
Je ne retiens pas les blagues.
Je me souviens par contre d’une expertise judiciaire à la 5e chambre en matière de permis de lotir et de troubles de voisinage où un justiciable se plaignait d’entendre dans son appartement le crissement des graviers de l’allée sur laquelle circulait la voiture du voisin (une pauvre dame atteinte d’un cancer à qui il était fait reproche de ne pas avoir installé des clinkers).
Nous étions tous dans l’appartement et l’expert judiciaire faisait des dérapages sur le gravier comme un conducteur de rallye… C’était cocasse.
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Un grand merci Mme le Juge de paix de vous être prêtée au jeu.
A très bientôt.
Merci à vous.
Eric TARICCO
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