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Interview de Mr Xavier Ghuysen, juge de paix du 1er canton de Liège
E.T. : M. le juge de paix, bonjour ; vous avez été avocat, conseiller à la Cour d’appel, vous êtes membre du Conseil supérieur de la justice… Vous êtes féru de vélo, vous avez beaucoup d’humour… Les plus jeunes ne vous connaissent peut-être pas aussi bien que moi. Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
X.G. : Bonjour. J’ai été avocat pendant 10 ans principalement chez Me Drion et Herbiet. Je considère que l’expérience du barreau est fondamentale pour devenir un bon magistrat. Je savais en embrassant l’avocature que je me dirigeais vers la magistrature. J’ai été juge au Tribunal de première instance de Liège de 1999 à 2006 ; j’y ai fait du civil et du correctionnel. Ensuite, j’ai été conseiller à la Cour d’appel de Liège de 2006 à 2014 ; j’y ai pratiqué le droit économique, le droit civil et le droit pénal ; j’ai aussi présidé quelques Cours d’assises. Depuis 2014, je suis le juge de paix du 1er canton de Liège. Je continue à siéger à la Commission de probation de Liège, donc je n’ai pas tout à fait perdu le contact avec le droit pénal même si je suis avant tout un civiliste.
Sur un plan moins professionnel, je suis marié et j’ai quatre enfants. Un seul d’entre eux est juriste et est avocat depuis cette année.
Mes hobbies sont assez classiques : beaucoup de sport (vélo et marche) ; j’aime beaucoup lire : romans, poésie, essais, bref la littérature en général ainsi que l’histoire avec une petite faiblesse pour la période de la renaissance.
J’ai pratiqué la musique à l’académie quand j’étais jeune, mais ce n’est plus d’actualité (note de l’auteur : Mr le Juge de paix a notamment pratiqué le violon et la batterie).
J’écoute en revanche beaucoup de musique, tous les styles, notamment en travaillant. S.I. Même le rap auquel nous sommes souvent mis en contact avec nos enfants.
E.T. : Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à devenir magistrat, et ensuite juge de paix ?
X.G. : J’ai commencé mes études de droit avec l’ambition de devenir journaliste, voire diplomate.
Ensuite au cours des études, la fonction de juger s’est naturellement imposée à moi.
Je suis véritablement entré au barreau pour devenir juge.
Le rapport à la décision, à l’idée de décider me plaît beaucoup plus que la position de défense et d’accompagnement occupée par l’avocat.
L’avocat ne décide finalement pas, il tente d’influencer.
J’aime rechercher la vérité, en étant conscient des limites de cette recherche : la vérité est bien entendu souvent une question de preuve.
J’ai toujours pensé que la fonction de juge « était faite » pour moi… et une fois en place, j’ai su que j’étais parfaitement à ma place.
En 2004, j’avais déjà postulé au 1er canton, mais c’est Mon prédécesseur, M. André LIEVENS, beaucoup plus expérimenté que moi, qui avait obtenu le poste. Il y était pleinement heureux jusqu’à son décès survenu trop tôt. Je le suis autant que lui.
De manière plus précise, le poste du juge de paix permet un contact direct avec la réalité. À la Cour d’appel, les justiciables ne connaissent souvent pas le nom des juges qui vont prendre une décision (les avocats non plus d’ailleurs).
À rebours, la fonction au niveau cantonal est INCARNÉE : les citoyens et les avocats savent qui est « leur » Juge de paix.
J’ai vu des citoyens déménager ou emménager, pour changer de juge de paix.
Les bailleurs de mon canton me connaissent…
Il y a un contact très proche avec les personnes qui se présentent devant moi, et j’ai la chance d’intervenir très tôt dans le conflit pour tenter d’y apporter une solution (contrairement à la Cour d’appel où le magistrat tranche souvent après de longs délais de procédure, bien après le différend).
Le juge de paix est à la tête d’une équipe, de SON équipe, sur son territoire limité ; c’est un rôle particulier.
En outre, il y a une bonne communication entre les juges de paix de l’arrondissement, qui échangent pas mal de réflexions et de questionnements. Nous ne sommes donc pas isolés. J’ai la chance de partager mon bureau avec Mme Isabelle Thomas, nouvelle juge de paix du 3e canton qui veille comme elle peut, par ses conseils, à corriger chez moi les effets de l’obsolescence programmée... J’ai par ailleurs la chance d’être secondé, au niveau du greffe, par une équipe qui est à la fois compétente, dévouée et assez joyeuse.
Aussi bien entouré, je compte rester fidèle au poste le plus longtemps possible.
E.T. : Dans un monde idéal, que faudrait-il changer pour améliorer la Justice ?
X.G. : Spontanément, je répondrais une assurance protection juridique obligatoire.
La Justice est trop onéreuse, notamment pour les classes moyennes.
Frais, avocats, expertise.
Je suis souvent bloqué dans le conflit car le justiciable ne peut pas se permettre de payer un expert pour une vue des lieux, qui me permet de me rendre compte de visu du problème expliqué.
Le bailleur à qui on doit déjà de nombreux mois de loyer est souvent coincé devant la provision demandée par l’huissier de justice qui doit expulser un locataire qui s’incruste.
Le débat de la mutualisation de la justice a déjà été mis sur le tapis par Laurette ONKELINX notamment.
Il faut que la justice soit plus ACCESSIBLE.
E.T. : Vous savez que la loi sur l’administration de biens va changer ; avez-vous des observations notamment sur la priorité de plus en plus donnée à l’administrateur familial, ou encore sur la modification concernant les honoraires de l’administrateur professionnel ?
X.G. : L’administration de biens est une institution promise à un bel avenir, du fait du vieillissement de la population d’une part, et de la fracture numérique d’autre part. Il n’y a plus de banques pour aller faire un virement.
À mon époque, il n’y avait que peu d’avocats qui exerçaient cette fonction. Ils sont aujourd’hui nombreux à se professionnaliser dans cette activité. Ces professionnels sont indispensables quand la désignation d’un administrateur dans l’entourage de la personne protégée n’est pas possible. Dans certaines situations, il n’y a pas de famille en soutien pour exercer cette fonction ; dans d’autres, personne ne souhaite l’exercer à cause des répercussions ou des mésententes dans la famille.
L’avocat doit donc rester présent et être payé correctement.
Le forfait prévu par la loi (N.A. 1.000 € honoraires et frais maximum par an et par dossier, réductibles par le juge) n’est pas forcément une mauvaise chose.
Cela permet une transparence vis-à-vis de la famille ; la famille sait à quoi elle s’attend.
À Liège pour les 4 cantons, il y a +/- 4.000 dossiers d’administration ; au 1er canton, j’ai +/- 1.800 dossiers.
Pour moi, un administrateur de biens doit être humain, rigoureux, disponible et réactif.
L’équipe entourant l’avocat est essentielle, et peut déterminer pour moi le nombre de dossiers que je peux attribuer à un avocat.
Nous sommes très attentifs au greffe quant à nos désignations, en qualité et en nombre de désignations par avocat.
Cependant si les administrés sont trop agressifs, injurieux ou harcelants, ma jurisprudence est constante : je lève la mesure, car il s’agit d’une mesure d’aide qui requiert un minimum de collaboration de la personne à protéger.
E.T. : Merci Mr le juge de paix, d’avoir répondu à quelques questions ; pouvons-nous nous livrer pour clôturer cet interview à quelques petits jeux de mots ?
X.G. : Avec plaisir
1. Oui ou Non : je vous donne un mot et vous me répondez par oui ou par non, sans explication.
Trottinette électrique : NON Lgtb+++++ : OUI
Foie gras : OUI Tomorrowland : NON
Christophe Maé : NON Andouillettes : OUI
Tram : OUI McDonald’s : OUI
Cour d’assises : OUI Range Rover : OUI
2. Tac-o-tac : je vous donne un mot et vous m’en répondez très vite un autre.
Père - Mère Bonheur - Regard en arrière
Amour - Beaucoup Plaisir - Beaucoup
Pape - Femme Musique - Beaucoup
Football - Brésil Juge de paix -Longtemps
Tristesse - Musique Vie - Illimitée
3. Pouvez-vous conseiller un film et un album/musique/cd/chanson à nos lecteurs ?
Pour la musique, les variations Goldberg (N.A. Œuvre pour clavecin de J.S. BACH BWV 988 – 1740 — œuvre utilisée dans de nombreux films… par exemple dans « Le silence des agneaux »)
Pour le film, un Fellini, par exemple « E la nave va » (N.A. « Et vogue le navire », 1983). Les gens ne vont pas assez voir le cinéma italien. Il y a pourtant de bien belles choses.
4. Pouvez-vous nous faire part d’une anecdote marrante d’une audience/descente sur les lieux ?
Lors d’une vue des lieux en matière de bail, concernant de prétendus problèmes d’humidité, l’escalier de la cave s’est littéralement écroulé, emportant le bailleur, qui fort heureusement, ne fut pas blessé. S’est ensuite mise en place une opération de sauvetage du trou avec échelle par toute l’équipe… (N.A. L’histoire ne dit pas quel fut l’impact de la chute sur le procès… J)
E.T. : Je vous laisse le mot/la phrase/le dicton de la fin ?
X.G. La devise de mon grand-père maternel qui était un instituteur ardennais : « Bien faire et laisser dire. »
E.T. Merci beaucoup Mr le juge de paix de vous être prêté au jeu.
X. G. Merci à vous.
Eric TARICCO
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