Partager sur
Interview de Mme Isabelle THOMAS, Juge de paix du 3ème canton de Liège
E.T. Madame le Juge de paix, bonjour ; pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
I.T. Je m’appelle Isabelle THOMAS, j’ai 42 ans. J’ai prêté serment en 2003 comme avocate, j’ai travaillé 10 ans chez Me Christian BOULANGE qui était mon Maître de stage. Ensuite, de 2013 à 2022, j’ai travaillé chez mon père Me Patrick THOMAS. J’avais donc presque 20 ans de Barreau à mon actif quand je suis devenue la Juge de paix du 3e canton de Liège le 1er juillet 2022, après avoir été Juge de paix suppléante, notamment auprès de la Justice de paix de Visé.
Je n’ai pas de chat ni d’enfant (rires).
E.T. Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir Magistrat ?
I.T. Je n’ai pas ressenti une vocation irrépressible pour la magistrature mais un enchaînement de circonstances m’ont amenée là où je suis. Je crois à ce genre de choses. Il n’y a pas de hasard.
J’ai postulé pour devenir Juge suppléante car je trouvais la fonction intéressante et lorsque j’ai été entendue par le Conseil supérieur de la justice, j’ai signalé notamment que j’envisageais – plus tard – de passer l’examen d’entrée à la magistrature. J’estimais que cette réponse était de nature à marquer ma motivation pour la fonction.
Ceci m’a permis de rencontrer Xavier GHUYSEN, conseiller à la Commission de nomination et de désignation au sein du CSJ, qui m’a convaincue de passer l’examen d’aptitude.
Vu que je m’implique entièrement dans ce que j’entreprends, je me suis préparée assez sérieusement à l’examen qui devait avoir lieu le 18 mars 2020 ; l’examen a finalement été reporté de trois mois à cause du Covid ; le confinement a donc aidé à ce que ma préparation soit optimale.
J’ai reçu l’information de ma réussite fin août 2020, et je me suis préparée encore plus sérieusement à l’oral.
Même si j’ai apprécié cette étude forcée, en ce qu’elle m’a permis de revoir certaines matières, j’étais si stressée que si j’avais raté, je n’aurais pas eu le courage de le repasser une deuxième fois.
Entre temps, les remplacements que j’avais effectués en qualité de Juge suppléant ont réellement assis mon désir d’embrasser la fonction.
Lorsque j’ai été informée de ma réussite, j’ai pris le temps de postuler, afin de me réserver pour les places de justices de paix qui allaient s’ouvrir à Spa, Visé et Liège 3. J’étais déterminée à ce que ce soit ça, au détriment d’autres places de juge au tribunal de première instance par exemple, où on aurait peut-être davantage vu un profil débutant comme le mien.
ET : Comment vous sentez-vous après ce début de carrière ?
I.T. Je me sens bien ancrée, bien à ma place.
Le métier de Juge de paix comporte plusieurs facettes, outre évidemment l’aspect juridique du métier.
Il convient d’être réactive ; il faut quelques fois faire du « bricolage juridique », et enfin faire ce qu’on appelle communément du « social ».
Je ressens une véritable utilité sociale en pratiquant ce métier et ça importe beaucoup pour moi.
Au niveau tout à fait pratique, j’éprouve beaucoup moins le stress que je ressentais durant ma carrière d’avocate.
Grâce au greffe, je n’ai plus le stress du téléphone, des mails auxquels je dois répondre, du client… ; J’ai une super équipe derrière moi et ça aide beaucoup.
Les audiences telles qu’on les voit en tant qu’avocat, que ce soit en intro ou en plaidoiries, représentent au final une part marginale de mon travail, puisque je dirais que 60 % de mon temps de travail est consacré aux dossiers d’administration de biens et de la personne.
E.T. Que faudrait-il pour améliorer la Justice ?
I.T. : Il faudrait que mes journées soient plus longues (rires).
Une aide administrative plus complète serait vraiment appréciée car la moindre surcharge de travail et/ou la moindre heure d’absence créée un arriéré qui s’accumule avec souvent des conséquences qui m’inquiètent beaucoup, comme par exemple les taxations des honoraires des administrateurs de biens qui prennent du retard.
Les Juges suppléants m’apportent une aide précieuse, ils font principalement des audiences et je me vois mal leur demander de traiter les dossiers d’administration car c’est une partie assez ingrate et peu amusante du travail.
Il est dommage que la fonction de juge de paix de complément n’existe plus : lorsque j’ai commencé au Barreau, il s’agissait d’un juge de paix professionnel « volant » entre plusieurs cantons.
E.T. Qu’attendez-vous d’un avocat ?
I.T. Cela semble bête à dire mais j’attends de la rigueur et du professionnalisme, à savoir la base : un dossier de pièces bien monté, des conclusions bien rédigées, un dispositif clair, des chefs de demande cohérents.
J’ai quelques fois l’impression que l’avocat traite son dossier de manière plus légère car le dossier est de moindre valeur.
Il arrive très souvent que je doive investiguer parce que l’avocat n’est pas allé au fond des choses, n’a pas réponse aux questions essentielles à la bonne résolution du litige.
J’ai parfois l’impression de suppléer les carences du travail de l’avocat, ce qui finalement aboutit à une certaine prime à l’incompétence.
Toutefois, je ne peux me passer d’effectuer ce travail pour la bonne résolution du litige au profit de cette idée de justice.
E.T. Qu’attendez-vous d’un administrateur de biens ?
I.T. Principalement de l’honnêteté et de la probité financière, cela va sans dire.
Je dois pouvoir avoir une totale confiance dans l’administrateur que je désigne. Cette confiance se construit autour des relations que j’ai avec eux et de la lecture de leurs rapports qui m’éclairent quant à la façon dont ils remplissent leur mission. J’aime connaître l’administré à travers le rapport, aussi sur un plan humain.
Je souhaite des administrateurs de biens dotés d’un sens social et humain très développés.
Evidemment, chaque administrateur de biens a sa propre personnalité et je tente, comme la plupart de mes collègues, de bien assortir administrateur et administré.
E.T. Ceci me permet d’enchaîner avec 6 petites questions en matière d’administration de biens pour un public un peu plus averti avant de passer à 3 jeux que je vous ai préparés.
Le questionnaire éclair Administrations de biens
1/ E.T. Endéans quel délai pensez-vous qu’un administrateur de biens doit réagir pour payer une facture qui lui est présentée dans le cadre de son administration ?
I.T. Un délai d’un mois me semble tout à fait raisonnable.
2/ E.T. Pensez-vous qu’il soit du rôle de l’administrateur de biens de chercher un logement pour son administré ?
I.T. A priori, cela ne rentre pas dans le cadre de ses fonctions et j’estime par ailleurs qu’il faut responsabiliser les personnes administrées dans cette recherche de logement.
Bien entendu certains ne sont pas capables intellectuellement et émotionnellement d’effectuer cette recherche et, à défaut d’intervenant social dans le dossier, il convient que l’administrateur effectue la recherche.
3/ E.T. Un administrateur doit-il être disponible quotidiennement ?
I.T. Oui c’est une notion qui m’est chère.
Moi-même je suis parfois frustrée lorsque j’essaie de joindre les administrateurs de biens par téléphone et que je tombe sur un répondeur.
Evidemment, je comprends que certains limitent les heures d’appel au sein de leur étude, notamment pour les administrés qui téléphonent 10 fois par jour.
Il me semble cependant que pouvoir joindre son administrateur n’importe quel jour ouvrable de la semaine est raisonnable.
4/ E.T. Croyez-vous qu’il soit compréhensible qu’un administrateur perde patience face à un administré ?
I.T. Oui bien entendu, nous sommes tous humains et dotés de sensibilité. Nous ne gérons pas qu’un dossier et c’est le phénomène de la goutte d’eau. Je peux le comprendre.
5/ E.T. Désigneriez-vous encore à nouveau un administrateur qui a fait une erreur dans un dossier ?
I.T. Une erreur de bonne foi ? Oui bien entendu, c’est la même réponse qu’à la question précédente.
L’erreur est tout à fait humaine et souvent la rédaction des rapports d’administration est l’occasion de refaire un point global de tout le dossier et de se rendre compte de ce qui a pu nous échapper lors de l’administration quotidienne durant l’année.
6/ E.T. Dernière question ( Un petit casus) : je verse chaque lundi à un administré son « argent de poche ». Le mardi il me téléphone en me disant qu’il a dépensé tout son argent en boissons alcoolisées ; pensez-vous que je doive à nouveau lui verser son viatique ?
I.T. Pour moi non, mais si l’administré est trop envahissant je peux le concevoir pour apaiser la situation, sauf si ce second versement met en péril son budget ; il faut donc trouver un juste équilibre entre la situation dans laquelle il va se trouver, l’envie qu’il aura de recommencer volontairement la manœuvre, et son budget global.
Malheureusement, les avocats doivent de plus en plus accomplir un travail de gendarme dans les administrations ce qui n’est pas leur mission première.
***
Merci beaucoup Madame le Juge de paix. Je souhaitais finir l’interview par 3 petits jeux.
Interview tac-o- tac
E.T. Je vous pose une question et vous répondez du tac au tac.
- Quel est votre mot préféré ? Bégonia (j’aime la sonorité de ce mot)
- Quel est le mot que vous détestez ? Enfoiré (je trouve que c’est quelque chose qui vient de loin)
- Quel est votre son préféré ? Le clocher d’une église
- Quel est le son que vous détestez ? Le son du camion poubelles dans la rue
- Quel est l’autre métier que vous auriez pu faire ? Psychologue
- Quel est l’autre métier que vous n’auriez jamais pu faire ? Professeur de mathématiques
- Outre votre famille et vos amis, quelle est la femme que vous admirez le plus ? Angela Merkel, pour son parcours, sa simplicité, et le respect naturel qu’elle a pu imposer par son travail, notamment dans un monde politique majoritairement composé d’hommes.
- Quel est l’homme que vous admirez le plus ? Monsieur Xavier Ghuysen (Fou rire de Mme le Juge de paix avec votre serviteur, sans offense…)
- Quel livre conseillez-vous à nos lecteurs ? « Testament à l’anglaise » de Jonathan Coe, qui est une satire de l’Angleterre des années 80
- Quel film conseillez-vous à nos lecteurs ? « Reviens-moi » avec Keira Knightley (Note de E.T. « Atonement », film sorti en 2007)
- Quelle chanson conseillez-vous à nos lecteurs ? « Fake empire » du groupe « The national »
E.T. 2e jeu, je vous donne un mot et vous me répondez par oui ou par non rapidement.
Koh-Lanta : Non
Metallica : Oui
Amélie Nothomb : Non
Emmanuel Macron : Non
ChatGPT : Oui
Vaccination : Non
Vélo : Non
Cour d’assises : Oui
Juge suppléant : Oui
Cisgenré : Oui
Viande : Oui
Montre connectée : Non
Evras : Oui
Religion : Oui
Potager : Oui
E.T. Dernier jeu, je vous donne un mot et vous m’en répondrez un autre du tac au tac
Carrière → Retraite
Boisson → Vin
Amitié → Longue
Chocolat → Caramel
Beethoven → Rock
Queen → England
King → Charles III
Avocat → Courage
Chasseur → Pécheur
Secret → Story
E.T. Enfin, pouvons-nous terminer cet agréable entretien par une anecdote marrante sur une situation que vous avez rencontrée dans le cadre de votre carrière de Magistrat ?
I.T. Oui tout à fait : il s’agissait d’une audience par laquelle un administré demandait la levée de la mesure d’administration.
C’était sa maman qui était son administrateur et qui avait parfaitement fait le travail car elle l’avait responsabilisé petit à petit en lui octroyant de plus en plus d’argent de poche et de plus en plus de responsabilités.
Son fils, ancien toxicomane, et c’est ça qui est important dans l’anecdote, s’était vraiment sorti d’affaire et je me suis exclamée afin de clôturer l’audience : « Félicitations Monsieur, maintenant je pense que vous êtes repartis sur de bons rails… ». Tout le monde s’est esclaffé ensemble lors de l’audience.
E.T. Je vous remercie Madame le Juge de paix de vous être prêtée à l’exercice, surtout au niveau de mes jeux qui nous permettent d’entrevoir votre personnalité tout en conservant une part de mystère.
I.T. Merci à vous.
Eric TARICCO
Ajouter un commentaire