Il y a quelques semaines...

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Il y a quelques semaines, en bon pénaliste que je ne suis pas, l'opportunité me fut donnée, par des voies détournées, de «  plaider en Cour d'assises »...

Papa a tué maman.....Il n'a pas supporté qu'elle le quitte...4 enfants en bas-âge orphelins...

Rien que l'énoncé du contexte fit surgir en moi un déferlement émotionnel de questions éthiques que je n'avais plus ressenties depuis des lustres, tant mon coeur était matelassé par des décades de plaidoiries locatives cantonales.

Heureusement, j'intervenais à côté du tuteur ad hoc pour représenter les intérêts des enfants, ce qui, me semble-t-il, est une position assez confortable à tous égards.

Cependant....

Je pris de suite la mesure des enjeux quand j'arrivai, robe enfilée, gsm à la main, distrait par les habitudes d'une arrivée classique au travail un lundi matin, dans le couloir du premier étage de l'ancien palais.

A peine eussé-je pris conscience de ce bon vieux parquet grinçant aux effluves de cire que 150 jurés potentiels me dévisageaient, tout en faisant la file devant le détecteur de métal...

Ambiance sérieuse ! Tous les yeux reflétaient la gravité du crime pour lequel chacun d'entre eux pourrait être amené à se positionner…

Seuls 15 furent choisis, traversant l’épreuve des récusations de la défense et du ministère public. 

Ensuite, tout va très vite : la session est une bulle dans laquelle vous êtes totalement immergé. Tous les confrères acceptent vos demandes de remise dans les autres dossiers sans –trop- rechigner. Le secrétariat de votre bureau tente de vous épargner les doléances des autres clients.

Et vous voilà emporté par le tourbillon de 7 jours d'audiences, de 9 heures à 17, 18, voire 20 heures, au rythme des écoles qui se succèdent dans le public, et des délicates attentions des huissiers d'audience.

Je rentre le soir, physiquement et émotionnellement éreinté, et je repense au dossier, à ce qui s'est dit toute la journée, je me repasse les témoignages des proches des protagonistes en fumant sur ma terrasse.

Mes nuits sont bousculées par des images du dossier : procès-verbaux, expertises médico-légales, photos.

Je me remémore les témoignages de la mère de l'accusé, de la mère de la victime, les cris, les pleurs, les appels à l'aide, la détresse, la dignité, la culpabilité, la fraternité, la parentalité.

Chacun prêche pour les siens.

Je regarde autour de moi à l'audience, et je constate que certaines interventions créent un calme religieux, et que beaucoup, professionnels y compris, ont les larmes aux yeux.

L'humanité...

Mon voile émotionnel, le voile de l'avocat, celui pour lequel le client lui demande d'intervenir à sa place, de parler pour lui (ad-vocare), celui qui fait l'efficacité de notre profession, car il permet de distinguer les arguments opportuns et ceux qui effacent l'entendement, est tendu à se rompre.

Néanmoins, fort de la maturité supposée pour laquelle je fus adjoint à l'exercice, les réflexes professionnels reprennent rapidement le dessus : je compare les témoignages, relis le dossier le soir, oppose les thèses en présence, retrace la ligne du temps.

Je regarde surtout les 12 jurés tirés au sort.

Plaider devant un magistrat professionnel n'a aucune commune mesure avec un exposé devant un citoyen peu habitué au prétoire.

Leur expliquer la différence entre homicide, meurtre et assassinat, a déjà mis en exergue certaines incompréhensions.

J'oublie le code un instant et me demande si la Dame de droite, jurée numéro X, la cinquantaine, des yeux cernés, a des enfants en bas-âge. Si elle tombe de fatigue à 21h devant la télévision après avoir mis tout le monde au lit et préparé les tartines du lendemain. Je me demande si elle s’identifie à la victime. Je la regarderai en plaidant...

Juges d'instruction, enquêteurs, voisins, professeurs, pompiers, confidents, frères et sœurs, …Tous défilent à la barre et sont soumis aux questionnements des avocats et du parquet.

Les plaidoiries approchent ensuite : l'accusé présente ses excuses et ses regrets en fin d'instruction d'audience à la famille de la victime. Moment figé… Comment pardonner l'impardonnable ? Et si cependant c'était mon fils dans le box, ou, pire, moi ?

Chacun plaide, parquet compris, avec brio. Je ne peux qu'être admiratif devant le professionnalisme de tout un chacun, avocats et magistrats, qui dominent le volumineux dossier dans les moindres détails.

Pour ma part, je plaide dans un état de conscience altérée, comme lors de mes premières auditions de piano.

Je plaide cependant « vraiment », emporté par l'exercice. Ma tessiture est passée de tenor à basse. Je m'entends mettre de l'effet dans ma voix. Les jurés me regardent avec profondeur.

L'exercice rhétorique est intéressant, voire grisant, le temps de plaidoirie est confortable, et je comprends parfaitement que les avocats à l'aise à la barre s'y épanouissent.

Une vraie plaidoirie à préparer, comme dans les films ! Avec un arc narratif, des moments forts, une citation, une référence, une métaphore. Aucun juge qui ne souffle ou regarde sa montre.

La Cour d'assises remplit parfaitement le phantasme que s'en font les avocats.

Le jury se retire. Commence alors l'attente du verdict ...

L'accusé écope de 30 ans de prison. Plus que la peine requise par le parquet. La thèse de la préméditation que nous défendions a été retenue.

Je ne me réjouis pas autant que prévu du verdict, de cette vérité dite (vere-dictum). Je tente de refréner mon ego juridique pour me rappeler qu'un humain vient d'être jugé.

Nous entamons ensuite la phase de récupération bien connue des sportifs, car phase de récupération il y a. Durant plusieurs jours, je ressors du bathyscaphe par paliers de décompression.

La légende dit qu'il faut faire une justice de paix le lendemain pour retomber. Je la fais donc. J'aime tout autant … Je me rassure  sur mon amour du métier !

Je conserve de cette expérience une grande idée du sérieux du système mis en place et qui nous est imposé. Une idée de grandeur d'âme des différents intervenants du processus. Une humilité vis-à-vis d’un système judiciaire que certains considéreront, à des degrés divers, imparfait ou injuste.

Evidemment, nous les avocats savons très bien que la vérité de l’un n’est pas toujours celle de l’autre, et que les frustrations engendrées par un jugement sont souvent présentes.

Finalement, dans cette salle revêtue d’or et de pourpre, je fus exposé à ce que l'Homme peut commettre de pire, mais c’est à cette occasion que j'y ai à nouveau constaté qu’il peut aussi faire preuve du meilleur.

Eric TARICCO

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