Sawat dee kha Thaïland ! (Bonjour Thaïlande)

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Mai 2020. Crise sanitaire. Un vendredi après-midi en télétravail (oui oui travail !). Le GSM sonne. Un confrère bruxellois souhaite me parler d’un dossier.

Les faits sont, en résumé, les suivants : un belge s’installe en Thaïlande et y fonde, avec deux associés, une société. Quelques années plus tard, il revient en Belgique. Son fils découvre qu’il a vendu, à bas prix, ses parts à ses associés. En raison de son état de santé, un administrateur professionnel est désigné. Après examen de la situation, l’administrateur demande une autorisation au magistrat cantonal pour introduire une action en Justice en Thaïlande, procédure diligentée par l’intermédiaire d’avocats bruxellois et thaïlandais une fois l’autorisation obtenue. Le juge thaïlandais (équivalent d’un juge de paix belge) se demande pourquoi un administrateur introduit cette action au nom et pour le compte d’un tiers, la personne protégée en l’espèce.

Si la réponse à cette question est simple en Belgique, cela n’est pas le cas en droit thaïlandais, qui place la priorité sur la famille. En outre, selon le droit thaïlandais, une personne est « incapable » lorsqu’elle n’est pas « saine d’esprit ». En synthèse, cela signifie que tout le monde doit savoir/percevoir que la personne n’est pas capable de poser des actes (cela doit pouvoir se voir).

J’en reviens au dossier. Notre confrère bruxellois me demande si je peux intervenir en qualité d’« expert » afin d’expliquer le droit belge des personnes majeures protégées.

Précision importante : la procédure judiciaire thaïlandaise impose la comparution personnelle des témoins/experts devant le juge. Le système judiciaire thaïlandais est un système de common law. 

Vous l’aurez compris : la décision est prise, je pars donc en Thaïlande !

Les choses s’accélèrent puisque l’audience est fixée en juillet 2020 (il me faut un passeport, démarche a priori simple … sauf en période de Covid).

Je dois rédiger un témoignage écrit, expliquant le régime belge des majeurs protégés et appliquant les différents principes au cas soumis. A ce témoignage, théorique et pratique, il faut joindre les différentes « pièces », soit les extraits de législations, doctrines et décisions référencées. L’ensemble (plus ou moins 300 pages) doit être cacheté et signé par moi, personnellement, pour ensuite être légalisé par une autorité belge, avant d’être transmis, en original, en Thaïlande, pour une traduction officielle.

Mais voilà… Malheureusement, crise sanitaire oblige, l’audience est reportée. Plusieurs reports vont d’ailleurs intervenir puisque, quand la situation s’améliore en Belgique, c’est en Thaïlande que la situation se détériore. Vives les vagues … mais j’aurais préféré celles de la mer thaïlandaise …

Deux années passent. Juillet 2022. Une date est enfin fixée : comparution prévue le 5 octobre 2022. Je réserve mon vol, tandis que l’hôtel est réservé par le client afin que toute l’équipe soit logée au même endroit.

Quelques jours avant le départ, je me rends à Bruxelles pour un briefing. Il faudra des réponses brèves (liées à la traduction) et précises. Il ne faut pas donner de trop longues explications afin d’éviter pièges ou incompréhensions. Quant à la tenue, dans « un souci de respect », c’est important : costume noir, chemise blanche et cravate noire. 

Finalement, dimanche 2 octobre 2022, 10h, mon avion décolle : direction Bangkok. L’atterrissage se fait à 6h du matin heure locale (+ 5h par rapport à la Belgique). La nuit a été courte. Le climat est tropical. Je prends un taxi qui m’amène à l’hôtel (avec la sensation de me faire avoir quant au prix, mais la fatigue est trop présente). 

Arrivé à l’hôtel, les personnes de l’accueil, masquées, m’indiquent qu’il n’y a pas de réservation à mon nom … De manière générale, il est difficile de comprendre l’anglais des thaïlandais, ce qui ne facilite pas la communication et la compréhension. J’appelle le reste de l’équipe afin de gérer le problème et j’apprends que j’aurai une chambre dans 2h. Eux doivent partir pour une réunion avec les experts financiers thaïlandais. Je me pose alors dans le hall (où je m’endors) et 2h plus tard, je reçois les clés de ma chambre … dans laquelle je dors jusque 16h !

A mon réveil, je pars découvrir la ville, sous une pluie tropicale, avec une circulation digne des embouteillages liés aux travaux du tram … Des rues sont inondées, mais cela semble normal pour tout le monde d’avancer et de marcher dans 20 cm d’eau, je fais donc de même. 

Le mardi, le matin est libre … mais puisque j’ai oublié de changer l’heure de mon réveil, il sonne à 7h30, heure belge, il est donc 12h30 heure locale ! Bref, j’ai perdu la matinée. L’après-midi est consacré à une nouvelle préparation avec les avocats thaïlandais, les auditions commençant le mercredi. 

J’y apprends que, lors du témoignage, il ne faut pas croiser les bras car ce n’est pas respectueux. Il ne faut pas non plus croiser les jambes car cela a pour effet de pointer du pied le juge (et le Roi dont la photo est accrochée derrière). Or les pieds sont « sales », donc cela n’est pas respectueux. Un panneau l’indique même dans la salle d’audience ! Les notes sont interdites avec moi car je dois « relater » ce que je sais. Je peux uniquement demander à ce que les pièces me soient montrées par les avocats. Après quelques hésitations, mon audition est finalement annoncée le jeudi. Je suis donc libre le mercredi.

Mercredi 5 octobre, 8h30, le téléphone de la chambre sonne. Finalement, « pour le cas où, il y aurait de l’avance dans les auditions », je dois venir au tribunal. Je m’habille (en costume il fait déjà étouffant avec la température extérieure) et prends un taxi pour aller au tribunal.

Le bâtiment est classique. Je rentre (avec un masque) et vois un portique de sécurité (qui fait penser à celui de la Cour d’appel quant à son utilité). Je passe d’ailleurs à côté sans que le garde (oui il y a quand même un garde) ne me fasse le moindre signe. J’arrive dans une grande salle d’attente, avec des rangées de chaises fixées au sol. De chaque côté de la salle, il y a 7 comptoirs. Les gens se succèdent aux différents comptoirs, et j’en déduis qu’il s’agit de l’équivalent de nos greffes civil et correctionnel. J’attends là 2h : je ne peux pas aller dans la salle d’audience car je ne peux pas entendre ce que les autres témoins expriment, sous peine de voir mon propre témoignage influencé. 

Finalement, vers 13h, l’audience du matin se clôture. Mais l’administrateur devant encore être interrogé l’après-midi, je ne passerai pas le mercredi. Je peux rentrer à l’hôtel. Un tour pour rien …

Le soir, il y a un petit débriefing de la journée et une nouvelle « préparation » pour me rappeler d’être attentif. Finalement, les 2 médecins qui doivent être entendus le jeudi après-midi, seront entendus le matin car ils doivent prendre leur avion le soir. Je suis donc attendu au tribunal le jeudi après-midi. Il m’est demandé de quand même être là vers 11h « au cas où » une nouvelle fois.

Jeudi 6 octobre. Jour de mon audition. Je ne vais pas directement au tribunal cette fois et vais attendre dans un Café Amazon, sous-équivalent d’un Starbucks … Quitte à attendre, autant le faire avec un café. Vers 13h j’apprends que l’audience du matin se clôture, avec l’audition d’un seul des deux médecins. Je ne serai donc pas entendu jeudi, mais vendredi puisque le second médecin sera entendu dans l’après-midi. Je retourne une nouvelle fois à l’hôtel, avec une chemise blanche de moins en moins clean.

Nous arrivons au vendredi 7 octobre, mon dernier jour à Bangkok, puisque j’ai un vol interne à 19h25 pour partir à la découverte de la Thaïlande. Nous quittons l’hôtel à 7h30 en van privé car il y a des risques d’embouteillages. Nous arrivons sur place à 8h. Nous retournons au Café Amazon, puis arrivons dans la salle d’audience à 9h. Cette fois, c’est la bonne ! La pièce est petite. Il y un banc à l’arrière, 2 rangées qui se font face sur les côtés (une rangée pour chaque partie) et un box au milieu. Devant, il y a une table avec un ordinateur (celui de la greffière) et une très haute estrade, avec des chaises pour les juges. Bien que l’audience commence à 9h, nous attendons jusque 10h30 l’arrivée du magistrat (peu importe le pays, il y a des retards universels). 

Je suis enfin appelé à la barre, avec mon masque. Je prête serment de dire la vérité et rien que la vérité. Le traducteur est à côté de moi et traduit ce que je dis. Le juge prend un dictaphone et synthétise tout ce que je dis. La greffière tape en différé car elle reçoit les dictées au fur et à mesure.

Commence mon « interrogatoire » par l’avocat de la partie adverse. J’ai l’impression d’être dans une série américaine : l’avocat adverse me montre des parties de pièces en me demandant mon avis, me questionne sur le certificat médical déposé, sur mes liens avec les autres intervenants me pose des questions sur ma vie privée, … Cela dure 2h30 et mon audition n’est interrompue que pour faire une pause. Le traducteur n’arrive en effet pas à expliquer le concept de « nullité relative » (oui, j’ai dû parler de ce type de nullité !). Vers 14h, l’audience reprend. Cette fois, j’explique la différence entre l’usufruit et la nue-propriété en cas de décès d’une personne mariée et qui a des enfants. Très loin donc de l’administration de biens …

Vers 15h45, mon audition est finie. Je dois alors attendre que la greffière termine la retranscription de mon audition, pour la relire et ensuite la signer. Finalement, vers 17h20, je reçois le document, que je réexamine avec l’interprète. La suite : le jugement devrait être prononcé fin janvier 2023.

Dernière anecdote : je sors finalement du palais de Justice vers 17h45, avec, je le rappelle, mon vol interne prévu à 19h25. Vous l’imaginez, je suis donc détendu (et frais … nul besoin de poursuivre le récit des aventures de ma chemise). Fort heureusement, j’avais pris mes bagages dans le van. Toutefois, c’était sans compter sur une « drache » phénoménale qui, une nouvelle fois, inonde les rues. Impossible de trouver un taxi. Le conducteur du van accepte de me conduire pour en trouver un, ce qui est fait à une station d’essence. Il est 18h10 quand je monte dans le taxi. Je lance alors waze qui m’annonce une arrivée prévue à 19h10 à l’aéroport. J’arrive à cette heure indiquée (la précision de waze …), je cours vers le guichet d’embarquement, une de mes chaussures se déchire dans l’effort, et tente d’expliquer ma situation avec face à moi un steward dont l’anglais est dans la lignée de celui des autres thaïlandais (sans compter que le mien laisse globalement à désirer également). Fort heureusement, j’apprends que le vol a 30 minutes de retard. Je peux rentrer, et continue ma course jusqu’au guichet d’embarquement, pour m’apercevoir que l’avion n’est pas encore là … J’en profite donc pour me changer (je faisais un peu « tâche » dans mon costume noir trempé par la pluie), et, faute de place dans mon bagage (précipitation = non rangement à la Tetris dans la valise), je décide d’abandonner mes chaussures noires (et respectueuses) dans les toilettes.

A partir de là, les vacances ont commencé !

PS : Je dois m’acheter des nouvelles chaussures.

François DEGUEL
Conseiller de l’Ordre du barreau des avocats de LIEGE-HUY
Past-Président de la Conférence Libre du Jeune Barreau de Liège

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