Littérature et consentement : joindre l’utile à l’agréable ?

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Pourquoi aborder ce thème ? Retombant récemment sur une lecture légère, il s’est avéré qu’elle ne l’était pas tant que cela :

Un jour, Mlle de La Coste, chaperonnée par sa tante, monta dans une voiture et repris la route de Paris. Les deux femmes pleuraient à chaude larme  Chaque tour de roue les éloignait de la fortune qu’elles avaient crues tenir, et l’avenir leur paraissait singulièrement sombre. Fort heureusement, le voyage devait leur apporter une douce consolation. Avant Modane, elles furent violées dans la forêt par des brigands…Elles en conservèrent un souvenir ébloui jusqu’à Paris…[1](…)

A la fin du mois d’août, un drame qui couvait depuis longtemps éclata. Il faut dire que les cent soixante mille hommes du camp hantaient les rêves des dames de la ville, qui toutes ou presque, auraient voulu être victimes des délicieuses brutalités d’un canonnier ou même d’un fantassin[2].

Dans une telle acception, on est très loin du viol comme arme de guerre (confer le récent film L’Empire du silence de  Th. MICHEL relatif aux conflits minant le Congo ou les exactions actuelles en Ukraine).

M. BRETON est un journaliste respectable et certainement de bonne foi en 1965, perdant de vue que toutes les Françaises n’avaient peut-être pas le tempérament de Joséphine de Beauharnais.

Il est assez difficile de nier l’existence d’une certaine culture du viol dans la littérature.  

A ce propose, Roxane Darlot-Harel[3] répondait lors d’une interview :

 « Tout à fait, et j’irais même jusqu’à dire que le XVIIIe siècle a eu un rôle éminent dans l’histoire de la culture du viol. Dans la littérature libertine de ce siècle, très courue et abondante, en particulier : il s’agit de justifier par tous les moyens les violences que l’on fait aux femmes (une résistance qu’on attribue à l’honneur aristocratique et qui cache un désir nymphomane, des normes de séduction où les femmes sont passives et les hommes actifs, pas de fiabilité accordée à la parole féminine qui refuse l’acte sexuel, des femmes qui seraient par nature menteuses et manipulatrices… et j’en passe).  La diffusion des concepts rousseauistes permet un recul de la culture du viol, mais il me semble que si cela se constate dans les représentations sociétales, on ne le voit guère en littérature, avec une certaine homogénéité dans la littérature libertine.» ((De la culture du viol dans la littérature libertine du XVIIIe siècle – Roxane Darlot-Harel – En Marges !)

Le site militant Crêpe Georgette - (crepegeorgette.com) offre un approfondissement des thèmes du consentement. Restons conscients qu’un autre courant que le féminisme existe, telle la professeure de littérature Claude Habid prônant de réapprendre la « mixité » et  qui conclut après étude de la galanterie dans la littérature française : Même à supposer que les femmes abandonnent à la police le soin de leur protection, à qui pourront-elles céder la tâche de civiliser le désir masculin ? Si le féminisme leur promet un monde où tous les hommes seront spontanément humains à leur égard, ce féminisme ment[4] .

En fin de compte, la littérature peut-elle favoriser la prise de conscience d’une nécessité de consentement éclairé ?

Vous aurez déjà remarqué le succès de livres dont le fond n’est autre que la vie privée des auteurs et qui présentent un caractère divertissant  (par exemple les livres d’Edouard Louis, de Justine Levy, de Frédéric Beigbeder en grande partie).

A ce propos on peut penser : « MOI, JE : Dans une période où la société est publicitaire, c’est-à-dire fondée sur le scandale au lieu de la réflexion, le moi sert de déclencheur. Rien n’est plus facile : tout moi exposé choque une coutume. De là ces écriveurs de livres qui sont des phénomènes de foire : la femme racontant ses fausses couches, l’homme débitant ses maladies. Et la coutume, dont c’est la nature, se scandalise ; les réactionnaires aboient ; l’écrivain fait une danse de plaisir devant la cage où, s’étranglant, ils tirent sur leur laisse ; il devient célèbre ; quelques mois plus tard, il est remplacé par un autre phénomène de foire. (…) »[5].

Cependant certains livrent apportent une pierre à l’édifice, tels les très commentés Le Consentement de  Vanessa Spingora[6], (Grasset, 2019) et La Familia grande de  Camille Kouchner, (Seuil 2021). La raison de leur succès ? La médiatisation et le niveau social élevé des protagonistes, peut-être ?

Après ses deux premiers romans "L'Inceste" (1999) et "Une semaine de vacances" (2012), Christine Angot signe un troisième récit sur les épisodes de viols subis par son père. Pour Arnaud Viviant[7], "ce livre redonne toute sa vérité au talent d'écrivain de Christine Angot" AV : "Ce n'est pas Christine Angot qui a changé. Elle n'a absolument pas changé de style. Elle écrit toujours comme elle a toujours écrit. Ce qui est différent aujourd'hui avec ce livre, c'est qu'il montre au contraire que c'est nous qui avons changé, la société a changé, surtout avec le livre de Camille Kouchner. (…) Il faut voir que, depuis "L'inceste" (1999), depuis plus de 20 ans, Christine Angot, parmi tous les écrivains contemporains, est celle qui a subi le plus grand mépris de la critique littéraire. Ce livre n’aura pas du tout le même accueil que les autres car la société n’est plus la même. Je me souviens de critiques littéraires qui disaient même qu'elle avait inventé cet inceste, puisqu'elle fait de l'autofiction.

De Karine TUIL, auteure du roman Les Choses Humaines[8] (porté à l’écran par Yvan ATTAL en 221), on entend la critique d’opportunisme ; elle surferait sur la vague de thèmes à la mode[9]. Rappelons qu’elle  s’inspire d’une histoire vraie (étudiante accusant un étudiant de viol lors d’une soirée sur le campus de Standford). Yvan ATTAL est critiqué aussi dans sa communication autour de son film, mais il ouvre le débat sur le consentement.

Qu’en est-il des jeunes adolescents ?

Claire Castillon (qui fut brièvement la compagne de… Patrick Poivre d’Arvor, le monde est petit) dans son roman jeunesse « Les Longueurs »[10], tente de les aider.

Comme le relève le Soir, « Claire Castillon veut croire que Les Longueurs peut aider à prévenir, alerter, repérer les signaux, protéger. Que l’issue, finalement pleine d’espoir, du roman peut convaincre les ados de parler ensemble, de s’entraider, épaulés par des adultes qui peuvent aussi être des alliés. (…) Reste à savoir si ce sujet, d’utilité publique, attirera le jeune public lambda. Spécialiste jeunesse à la librairie Filigranes, Elise Larpent se montre plutôt sceptique : « Les ados n’ont pas du tout envie de ça en ce moment », nous affirme la libraire. « Depuis deux ans, avec la pandémie, ils veulent du fantastique. Il y a un décalage entre ce que proposent les maisons d’édition, qui sortent de plus en plus de livres sur cette thématique, et ce dont les jeunes ont visiblement besoin. Ce sujet manquait très certainement dans la littérature jeunesse, mais ce n’est pas forcément le bon moment pour proposer cela aux ados. On est face à un public fragilisé qui utilise, en ce moment, les livres pour s’échapper. »[11]

La littérature ne peut pas tout, mais elle a eu incontestablement une influence.

Cette actualité coïncide d’ailleurs avec l’adoption de la réforme du droit pénal sexuel en commission de la Chambre le 18 mars 2022.

Incontestablement,  le consentement est reconnu comme une notion centrale puisqu’il est maintenant défini :

Art. 417/5 (nouveau) La définition du consentement en matière de droit à l’autodétermination sexuelle. Le consentement suppose que celui-ci a été donné librement. Ceci est apprécié au regard des circonstances de l'affaire. Le consentement ne peut pas être déduit de la simple absence de résistance de la victime. Le consentement peut être retiré à tout moment avant ou pendant l’acte à caractère sexuel. En tout état de cause, il n’y a pas de consentement si l’acte à caractère sexuel résulte d’une agression, d’une menace, de violence, d’une surprise, d’une ruse, ou d’un autre comportement punissable. Il n’y a pas davantage de consentement lorsque l’acte à caractère sexuel a été  commis au préjudice d’une personne en situation de vulnérabilité due à un état d’inconscience, de sommeil, de peur, à l’influence de l’alcool, de stupéfiants, de substances psychotropes ou de toute autre substance ayant un effet similaire, à une maladie ou à une infirmité ou une déficience physique ou mentale, altérant le libre arbitre.

Art. 417/6 (nouveau) Les restrictions à la faculté de consentir du mineur. § 1er. Sous réserve du paragraphe 2, un mineur qui n’a pas atteint l’âge de seize ans accomplis n’est pas réputé avoir la possibilité d’exprimer librement son consentement. § 2. Un mineur qui a atteint l'âge de quatorze ans accomplis mais pas l'âge de seize ans accomplis, peut consentir librement si la différence d'âge avec l'autre personne n'est pas supérieure à deux ans. § 3. Un mineur n’est jamais réputé avoir la possibilité d’exprimer librement son consentement si : 1° l’auteur est un parent ou un allié en ligne directe ascendante, ou un adoptant, ou un parent ou un allié en ligne collatérale jusqu’au troisième degré, ou toute autre personne qui occupe une position similaire au sein de la famille, ou toute personne cohabitant habituellement ou occasionnellement avec le mineur et qui a autorité sur lui, ou si 2° l’acte a été rendu possible en raison, dans le chef de l’auteur, d’une position reconnue de confiance, d’autorité ou d’influence sur le mineur.

(DOC 55 2141/001 231 CHAMBRE 3 e  SESSION DE LA 55 e  LÉGISLATURE 2020-2021).

Géraldine VERDIN

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[1] Guy BRETON, Histoires d’amour de l’Histoire de France, Napoléon et les femmes, Paris, Press Pocket, 1965, page 216

[2] Guy BRETON, Histoires d’amour de l’Histoire de France, Napoléon et les femmes, Paris, Press Pocket, 1965, page 223

[3] En marges !, la revue en ligne fondée en 2018 par Juliette Lancel, spécialiste de l'histoire des rêves, des genres et des sexualités, explore l'intime et ses enjeux politiques via les sciences humaines et les arts. Le slogan « L'intime est politique » et le logo « anarchoclitoridien » donnent le ton. https://enmarges.fr

[4] Claude HABIB, Galanterie française, 2006, Gallimard, p. 426

[5] Ch. Dantzig, Dictionnaire égoïste de la littérature française, Le livre de poche, p. 640

[6] Il y a du chemin encore puisque Vanessa Spingora ne répondait pas seulement à Gabriel MATZNEFF mais aussi à tous ceux qui lui avaient offert une tribune (Apostrophe…).

[7] "Voyage dans l'est" de Christine Angot : "l'évènement de la rentrée" selon Le Masque & la Plume (franceinter.fr)

[8] Éditions Gallimardcoll. « Blanche », 2019

[9] Pourquoi "Les Choses humaines" de Karine Tuil a-t-il suscité tant de passion au "Masque & la Plume" ? (franceinter.fr)

[10] Les Longueurs. Paris : Gallimard jeunesse, coll. "Scripto", 01/2022, 185 p.

[11] Aborder l’inceste dans les œuvres pour enfants: tabou, mais crucial - Le Soir

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