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Les "faux-amis" et consorts
Je vous propose une petite balade linguistique :
ARRHES/ACOMPTES :
Vouloir utiliser des mots ronflants, comme arrhes, n’est pas toujours une bonne idée.
En effet, « La vente avec arrhes au sens technique est rare. Il s’agit d’une vente avec faculté de dédit. « Si la promesse (bilatérale) a été faite avec arrhes » précise à cet égard l’article 1590 du Code civil (ancien), « chacun des contractants est maître de s’en départir. Celui qui les a données, en les perdant. Et celui qui les a reçues en restituant le double ».
Cette notion d’arrhes fait polémique.
En matière de vente, elle constitue le plus souvent un acompte ou une garantie si la vente a été conclue sous condition suspensive, ce qui constitue aujourd’hui la plupart des cas.
Associées à une quittance, les arrhes peuvent aussi être associées à un moyen de preuve.
On admet généralement que la faculté de dédit opère comme une condition résolutoire potestative.
Le conseil : compte tenu de l’incertitude de cette terminologie, il est préférable d’être clair dans la convention de vente. Ce type de vente est très rare dans la pratique »[1].
VEHICULAIRE/VERNACULAIRE :
Le mot vernaculaire peut également être source de confusion.
Il s’agit précisément de : « Adj. Paron. – Langue véhiculaire, servant aux communications entre groupes de langues maternelles différentes. En Europe continentale, l’anglais joue le rôle de LANGUE VEHICULAIRE. – Langue vernaculaire, parlée seulement à l’intérieur d’une communauté. En Suisse, le romanche est une langue VERNACULAIRE qui a le statut de langue nationale »[2].
STIPULER / DISPOSER
Comme vous le savez, « c’est une faute grossière de dire qu’une loi, un code, un article, un jugement…stipulent.
Seules les parties à un contrat et, par extension, le contrat ou une clause peuvent stipuler quelque chose. La loi, un code, un article, un jugement disposent, décident, imposent, prévoient…mais ils ne stipulent pas. On parle ainsi de « dispositions législatives » et de « stipulations contractuelles ». Stipuler signifie « convenir de quelque chose dans un contrat »[3].
SUBORDINATION / SUBORNATION
« La subordination désigne la dépendance d’une personne (ou d’une chose) à l’égard d’une autre. Par exemple, la subordination du salarié à l’employeur est un élément caractéristique du contrat de travail »[4].
La subornation est l’action de corrompre quelqu’un. La subornation de témoin (et non la « subordination » de témoin) est un délit puni de trois ans d’emprisonnement et 45.000 € d’amende (C. pén.(français), art 434-15) ».
GARDE/ASTREINTE
Chez nos amis français et luxembourgeois, le travailleur qui est « d’astreinte » est de garde.
ANNULATION/CANCELLATION
Je relève de la lecture des actes du colloque organisé au Sénat par AVOCATS.BE, l’O.V.B. et le barreau de cassation, dans le cadre de la journée européenne de l’avocat sur le thème de la nécessaire indépendance des avocats en page 31, l’intéressant mot cancellation en procédure pénale française.
L’usage de ce mot n’est pas neuf puisqu’il était utilisé par la Cour de cassation française au 19ième siècle.
Mais que veut-il dire exactement ?
Par arrêt du 14 avril 2021, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a, sur sa requête, prononcé la nullité partielle de certains actes de procédure le concernant ainsi que deux autres personnes considérant, que les intéressés ont été entendus en garde à vue sur des faits nouveaux, en violation des dispositions de l'article 80-1 du code de procédure pénale faute de réquisitoire supplétif, et a, en conséquence, ordonné la cancellation de l'ensemble des déclarations irrégulièrement recueillies[5].
Il semble bien que la cancellation corresponde au retrait de l’acte annulé.
Un petit détour par le Québec nous apprend que : « Le mot canceller (parfois écrit avec un seul l) et son dérivé cancellation sont des archaïsmes. La cancellation est un vieux terme de notariat; elle désignait l’action de biffer, de barrer en y apposant un barrement, de raturer tout document (par exemple le banquier cancellant un chèque payé), mais surtout un acte testamentaire, en faisant des croix ou des X tracés côte à côte et superposés sur tout ou partie de l’acte (telle la signature des parties) pour l’annuler; parfois l’atteinte portée au document était matérielle, elle s’effectuait au moyen d’une incision ou d’une lacération et annonçait ainsi l’inutilité ou la fausseté de l’acte. La suppression réalisée, notamment dans le cas de l’acte formaliste ("deed"), par rature, rayure ou biffage des signatures ou par arrachement du sceau, était effectuée, soit par une partie, soit par consentement des parties, soit enfin à la suite d’une décision judiciaire annulant l’acte pour cause de fraude ou d’erreur. Intention de canceller un testament, de le détruire, de le raturer : animus cancellandi en latin.
Canceller et cancellation ont été abandonnés au 19e siècle et ne s’emploient plus, sauf, peut-être, en matière testamentaire. Étant restés dans la langue courante au Canada sous l’influence de l’anglais, on les trouvait encore récemment malgré tout dans nos textes juridiques.
L’anglais a emprunté ces deux mots en les anglicisant ("cancel" et "cancellation"), leur donnant les sens qu’ont aujourd’hui tous les mots français qui désignent les différentes formes d’anéantissement d’un acte juridique. Il est donc important d’énumérer la plupart des équivalents modernes de canceller et cancellation selon les objets auxquels ils s’appliquent généralement »[6].
CLAUSE PENALE / CLAUSE INDEMNITAIRE
L’usage d’un mot correct peut refléter une tout autre réalité.
Ainsi que l’expose Madame BIQUET-MATHIEU :
« Alors que le Code civil de 1804 faisait allusion tant à la fonction indemnitaire qu’au rôle coercitif de la clause pénale, la Cour de cassation belge et à sa suite le législateur de 1998 ont fait choix de ne consacrer, avec il est vrai quelque ambiguïté, que le seul caractère indemnitaire de la clause pénale. Son rôle de peine privée est écarté, avec ce paradoxe que « la clause pénale ne peut pas être pénale. ».
A l’occasion de la loi du 23 novembre 1998, l’article 1226 a ainsi été récrit : «La clause pénale est celle par laquelle une personne s’engage à payer, en cas d’inexécution de la convention, une compensation forfaitaire pour le dommage éventuellement subi par suite de ladite inexécution ».
L’exigence de caractère indemnitaire de la clause pénale trouve son prolongement dans les législations belges visant à lutter contre les clauses abusives. Dans ces législations particulières, qu’il s’agisse des contrats de consommation ou des contrats entre entreprises, le juge est invité à comparer le montant de la clause pénale avec le préjudice susceptible d’être subi par le créancier en cas d’inexécution du débiteur.
Le projet de réforme du droit des obligations maintient, du moins en apparence, le seul caractère indemnitaire de la clause pénale. L’article 5.91, paragraphe 1er, énonce : « Les parties peuvent convenir à l’avance qu’en cas d’inexécution imputable, le débiteur est tenu, à titre de réparation, au paiement d’un montant forfaitaire ou à la fourniture d’une prestation déterminée ».
Plus encore, pour échapper au paradoxe que la clause pénale ne peut pas être pénale, le projet de réforme abandonne la dénomination de « clause pénale » pour lui préférer celle de « clause indemnitaire ». Il est carrément prévu que la clause pénale soit rebaptisée « clause indemnitaire » ou « Schadebeding » en néerlandais. Le mot « Schadebeding » est déjà couramment utilisé au nord du pays pour désigner la clause pénale à caractère indemnitaire »[7].
TAXER ET LIQUIDER LES DEPENS
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
« Aucun de ces deux verbes ne figure en ce sens dans les dictionnaires courants. De plus, ce sont de faux amis. Dans le langage courant, liquider signifie « clôturer un compte, en finir avec quelque chose », taxer signifie « soumettre à un impôt, prélever une taxe. »
(…) C’est pourquoi -sauf si une contestation concerne une des étapes-, nous conseillons de ne pas recourir à ces termes, mais de dire concrètement le résultat auquel aboutit le juge :
Les frais s’élèvent à autant.
Ou
Pour les dépens, Tamerlan paiera autant à Genghis Khan »[8].
SOCIETY / BUSINESS-FIRM-COMPANY
L’anglais recèle évidemment de nombreux faux-amis.
Attention par exemple au mot SOCIETY. « Si, dans son acception la plus large, il correspond bien au français société (la société française : French society, la société de consommation : the affluent society, the consumer society), il ne peut s’appliquer à une entreprise de type commercial à but lucratif.
Society implique une activité culturelle ou humanitaire, et correspond en fait au français association (cf. (ancienne) loi de 1901).
Pour traduire le français société (commerciale), utiliser business, firm, business firm, ou company s’il s’agit d’une société par actions »[9].
FACTURATION/FACTORING
Le factoring n’est pas toujours bien compris.
« Le factoring, nom anglais de l’affacturage, est une technique de gestion financière par laquelle une société financière (le factor) gère, dans le cadre d'un contrat (contrat de factoring), le poste clients d'une entreprise en finançant ses factures clients, en recouvrant ses créances, en garantissant les créances sur ses débiteurs, en faisant le lettrage et l’imputation des règlements.
Le service de factoring est rémunéré par une commission sur le montant des factures, commission de service et commission financière.
Le terme de factoring, bien qu’étant un anglicisme, est tout de même employé couramment en France pour désigner les opérations d’affacturage.
La new line factoring regroupe toutes les nouvelles offres dématérialisées d'affacturage»[10].
Terminus, fin de la balade…
Géraldine VERDIN
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[1] A. CULOT, P. CULOT, P. VAN DEN HEYNDE, « Manuel du compromis de vente », Bruxelles, Larcier, 2019, p. 31 et 32.
[2] M. LENOBLE-PINSON, « Dire et écrire le droit en français correct », Bruxelles, Bruylant, 219, p. 817.
[3] S. BISSARDON, « Le droit sans faute ! », Enrick. B. Edition, 2020, p. 223.
[4] S. BISSARDON, « Le droit sans faute ! », Enrick. B. Edition, 2020, p. 223.
[5] https://www.courdecassation.fr/decision/614d6978b1411dbe943e37f6
[7] Chr. BIQUET-MATHIEU, « Quel avenir pour la clause pénale ? », in LIBER AMICORUM PAUL ALAIN FORIERS, Entre tradition et Pragamtisme, Vol.1 Droit des obligations et contrats spéciaux, Bruxelles, larcier, 2021, p. 152 et 153.
[8] A.S.M., « Dire le droit et être compris, Comment rendre le langage judiciaire plus accessible », Limal, Bruylant-Anthemis, 2017, p. 31
[9] M. MARCHETEAU, Business & Economics, L’anglais économique et commercial, Principes, pratiques & vocabulaires des professionnels, BMS., 2003, p. 867.
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