Le Cocktail du 17 septembre : compte rendu

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Nous avions presque oublié à quoi ressemblait une réception. A fortiori celle, parmi tant d’autres, d’un Bâtonnier élu. Comme si cette année de vacance contrainte écoulée, entre confinements et couvre-feux avait effacé de nos mémoires la chair de la fête, sa substance, pour n’en laisser que le contour fade du souvenir. Certes, nous n’avions jamais cessé de nous réunir, entre soupers improvisés tentant vaille que vaille de respecter des jauges à géométrie variable et fêtes familiales ou amicales à la dérobée, à l’abri des regards de l’extérieur. Mais subsistait toujours, pour bon nombre d’entre nous, en notre for intérieur, un sentiment de crainte ou de honte de faire la fête alors que l’on ne le pouvait pas. Et voilà qu’il nous était enfin donné en cette fin d’été 2021 de nous réunir de nouveau sans garde-fou, sans police, sans être inquiété. 

Trop beau pour être vrai. Quelques jours avant l’événement un courriel nous était notifié avec, en guise d’avis, une mise en garde sans ambages : « Concrètement, à votre arrivée nous devrons vérifier votre identité et la détention du Covid Safe Ticket. » Tel en sceau de solennité, l’avis insistait en caractères gras : « Les personnes qui ne se ne pourront pas démontrer la détention du Covid Safe Ticket ne pourront pas accéder à l’événement sans aucune dérogation possible. »

De mémoire d’avocat, il n’avait jamais été recouru à un tel vocabulaire pour une simple… réception. Voilà qui était clair et sans discussion possible. A la considérer avec recul, cette injonction contenait en elle toute l’antinomie de ce à quoi elle se référait. Réception : action de recevoir ; étymologiquement : accueil des voyageurs. Une réception, ce n’est ni un recensement, ni un lieu de contrôle médical. Quand bien même le contrôle de votre identité vous était vendu pour vous rendre « l’événement des plus convivial », il demeurait abrupt et posait la question de sa légitimité. 

  
 
Covid Safe Ticket. Une sorte de sésame sous forme QR code censé vous mettre à l’abri d’une maladie. L’illusion d’une logique administrative supposée défier et supplanter la logique virale. Quel leurre ! Quelle aberration ! Quelle abnégation de la réalité ontologique ! Un vocabulaire qui rappelle l’obséquieuse incitation à la bienveillance qui ponctue le vocabulaire médiatique en vogue mais aussi l’invitation de prendre soin de soi et des autres, à laquelle nous sommes soumis depuis des mois, par voie d’écriteaux, de pancartes, d’annonces enregistrées au supermarché et de journaux télévisés biaisés surenchérissant sur la peur, fonds de commerce inépuisable des médias de masse.

Le 17 septembre, il a fait beau. Je me suis retrouvé devant un dilemme : sans être détenteur d’un Covid Safe Ticket, et toujours résolu à ce jour à n’en détenir aucun (il est inefficace, discriminatoire, clivant et confère un faux sentiment de sécurité), fallait-il pour autant ne pas me rendre à ce cocktail alors que l’événement donne corps à notre vie sociale d’avocat et nous réunit ?

A 18 heures, j’ai hésité à me pratiquer un test antigénique qu’il me restait au bureau. J’ai vite écarté cette idée car elle n’avait aucun sens et ai laissé le test emballé sur l’étagère. Je n’étais pas malade, je ne suis pas malade et personne ne peut raisonnablement présumer que je le suis tandis que je n’ai jamais mis personne en danger de l’être de mon fait.  
 
A 19h45, j’ai pénétré dans l’enceinte du Banneway. Je n’ai pas entendu me diriger vers la guérite de contrôle, ne lui reconnaissant aucune autorité et aucune légitimité. Des avocats qui contrôlent l’identité de leurs confrères alors qu’ils la connaissent… quel triste paradoxe interpellant. J’ai préféré passer par la porte de service et les cuisines. Pas par bravade ou par posture égoïste mais par dissidence, par nécessité de faire dissonance. 

A 19h55, j’ai salué des têtes familières. J’ai bu mon premier et mon dernier verre de crémant. A 20h30, j’ai été interpellé par la présidente sortante du Jeune Barreau. Elle n’a vertement morigéné, comme si elle invectivait contre un enfant désobéissant. Je lui ai dit que je la comprenais et j’ai pensé que, si j’avais été à sa place, j’aurais peut-être agi pareillement.

A 20h40, j’ai salué le Bâtonnier élu, le prévenant que je n’étais pas porteur d’un Covid Safe Ticket. Il m’a signifié que j’aurais dû avoir le courage de mes actes et passer par la porte d’entrée. Je n’ai pas trouvé de réplique à lui rétorquer, il avait de toute évidence raison. 

A 20h50, j’ai contemplé au dehors les deniers rayons obliques du soleil, un soleil mordoré annonciateur d’un automne que l’on espérait plus lumineux que l’été. A 21h, j’ai échangé quelques propos amènes avec Me Lespire sur le vin biodynamique. A 21h15, j’ai discuté de musique électronique avec Gilles Genicot. A 22h, j’ai bu encore une bière.

A 23h, j’ai pris conscience que la fête touchait à sa fin. Les verres se sont vidés, les mange-debout repliés, les dernières grappes de convives démembrées. A 23h10, j’ai éprouvé ce sentiment étrange mêlé d’inquiétude et de perplexité : l’époque avait changé. J’ai pressenti les futures réunions, assemblées, fêtes… dorénavant électroniquement contrôlées pour la plupart d’entre elles. L’intuition que le socialement correct prenait inexorablement le relais du politiquement correct pour céder la place, demain, au médicalement correct avec l’implémentation de règles, parfois ineptes, parfois absurdes, parfois débilitantes.

A 23h20, j’ai quitté le cortège. J’ai franchi l’enceinte. La guérite était vidée de ses vigiles. J’ai regagné mon véhicule. En allumant la radio sur Klara, je me suis promis d’inviter Barbara Stiegler au sein de notre barreau pour une conférence. « Plongés dans ce continent mental de la Pandémie, qui entrave la critique et qui tue le réveil des aspirations démocratiques, nos esprits sont comme occupés. » (1)  

(1) : Barbara Stiegler : ‘De la démocratie en pandémie’, Tracts Gallimard, 2021

 

Eric Therer
 

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