Chronique littéraire : Ma vie extraordinaire, de Benoît Duteurtre

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Benoît Duteurtre sentirait-il l’approche de la mort ? Son dernier livre semble, en tout cas, un testament, un livre-bilan, l’auteur faisant le point sur sa famille, son œuvre d’écrivain et de musicologue, ses divagations (homo)sexuelles, son goût des lieux (Paris et  New York, les Vosges), ses amitiés…Il n’est pourtant âgé que d’un peu plus de soixante ans.

Arrière-petit-fils  du dernier président de la IVème République, René Coty, Benoît Duteurtre, c’est la voix que vous entendez chaque année, le jour de l’An, si vous écoutez, sur France 2, la retransmission du concert de Vienne. Il s’est fait connaître du grand public, du moins de moi, en 2001, par Le Voyage en France, récompensé du prix Médicis. Depuis lors, je le suis et ce livre est le vingt et unième de lui que je lis, avec toujours beaucoup de plaisir.

Il explique pourquoi, bien que le livre paraisse plutôt un récit, il le nomme un roman : « J’estimais que l’évolution du genre autorisait à employer  le terme pour divers objets littéraires comportant une part d’imagination, mais pouvant jouer sur différents registres, y compris les souvenirs, l’histoire ou encore l’essai » (p.207), comme c’est le cas ici, le livre étant tantôt des souvenirs d’enfance et familiaux, tantôt une histoire  (Le loup de Belbriette), tantôt un essai (notamment sur l’homosexualité dans son aspect social).

Nous voudrions, à cet égard, évoquer brièvement (il y consacre tout un chapitre) ses idées sur l’homosexualité, dont il parle assez librement, conformément à la loi selon laquelle seul un Juif peut écrire sur les Juifs sans se faire accuser d’antisémitisme, un musulman sur les musulmans, un homosexuel sur les homosexuels… : « Je le proclame sans détour :  l’hétérosexualité, à mon avis, constitue bel et bien la norme, et l’homosexualité  un écart, quoi que dise une propagande désireuse d’entretenir la fiction d’une équivalence entre tout et son contraire.(…) L’hétérosexualité a ses propres fantaisies. Elle demeure cependant plus « normale » parce que plus instinctive et largement majoritaire. Pour ces raisons, un jeune homosexuel sera toujours porté à s’interroger sur les raisons qui ont fait de lui un « minoritaire » - tandis qu’un hétérosexuel échappe à ce genre de question » ( p.184). « J’ai ainsi l’impression que le « lobby gay » , comme on le désigne parfois, avec ses groupuscules militants, regroupe des personnalités foncièrement honteuses. Ceux qui autrefois se dissimulaient s’évertuent, désormais, à nier leur différence par une revendication  sociale toujours insuffisante pour les apaiser » (p.185). A côté de tels propos, il évoque avec sensibilité, délicatesse…, amour la relation « de couple » qu’il entretient depuis vingt ans avec Jean-Sébastien.

Les « romans »  de Benoît Duteurtre contiennent souvent des descriptions satiriques et pleines d’humour de la société dans laquelle nous vivons. Il suffit de citer certains de ses titres : Gaieté parisienne, L’ordinateur du paradis, Chemins de fer, La nostalgie des buffets de gare, Les dents de la Maire (Anne Hidalgo), Le grand embouteillage… Le présent ouvrage n’échappe pas à cette habitude et comprend même un roman d’anticipation  (Le loup de Belbriette) se déroulant aujourd’hui, en 2030 et en 2070. Ce passage est un régal (en 2070, les noirs sont appelés des « clairs » et les blancs des «  foncés », pour « briser les stéréotypes » ; le mot « chef » s’écrit « cheffe », y compris pour les hommes, comme suite à une décision de la commission mise en place pour mettre fin au sexisme inhérent au français etc.).

De formation, comme dit ci-dessus, Benoît Duteurtre est musicologue. L’occasion, pour lui (une de plus), de régler des comptes : « Tel était l’air du temps dans cette seconde moitié du XXème siècle, aussi peu propice à la fantaisie et au divertissement que le début du siècle leur avait été favorable. En France, pays des modes, l’heure était à l’avant-gardisme autoproclamé, radical et destructeur qui a relégué dans l’ombre toute une génération » (p. 175) (celle de Dukas, Poulenc, Milhaud, Honegger, Ravel…) ; « Tout cela s’était vu balayé, dans les années soixante, par Boulez et ses proches qui ne juraient que par Schönberg et l’école de Vienne » (p.160).

Mais toutes ces polémiques ne doivent pas faire oublier le ton général du livre, dominé par les souvenirs d’enfance : « il me suffit d’entendre le ruisseau couler pour que se raniment les sources de mon enfance. Le paradis est là, c’est sûr ; et je l’entrevois encore, au milieu de la nuit, quand, sortant dehors sous le ciel étoilé, je contemple la courbe des montagnes et cette forêt qui abrite mes plus profonds secrets : ceux de l’âge où les premières sensations s’inscrivent si profondément dans notre chair et notre mémoire qu’il suffira de ces mêmes clés pour les ranimer » (p.52).

Un fauteuil quai Conti ne déparerait pas l’illustre compagnie.

André TIHON

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