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« Kipjiru 42.195 », le nouvel ouvrage de JEAN-MARC RIGAUX
Interview réalisée par Monsieur le Bâtonnier André RENETTE
Début juillet 1993, rue Paul Devaux, on va courir ensemble. Jean-Marc entre dans mon bureau, curieusement la main droite derrière le dos, me cachant quelque chose. C’est intriguant car j’ai adopté la même posture, je veux lui faire une surprise. Et chacun de tendre à l’autre le formulaire d’inscription du premier Marathon de SPA-LIEGE en septembre. Un moment unique pour nos destins respectifs.
Début juillet 2020, 27 ans après quasi jour pour jour, j’ai convié Jean-Marc à la même adresse pour réaliser l’interview cette fois de l’auteur du roman « Kipjiru 42.195 »[1] ‘(Edition Murmure des Soirs)[2] -
Il a apporté son sac de course, il pleut à verse. Il doit aller courir. Il regarde sa montre. Il est pressé. C’est parti pour 42 minutes et 195 centièmes de secondes d’interview.
On va faire semblant de ne guère se connaître.
- Maître Rigaux, après trois recueils de nouvelles, vous voici avec un roman ?
- Chronologiquement, le troisième recueil de nouvelles a été écrit après ce roman. S’il s’agit bien d’un premier roman publié, il y en a beaucoup d’autres qui attendent dans les tiroirs. Celui-ci a eu une épopée un peu longue puisque je l’ai achevé en 2016. Un peu trop court pour les jeux olympiques de Rio et un peu trop tôt pour les jeux olympiques de Tokyo. L’aléa qui est le fondement de la théorie de l’évolution et de la génétique m’a donc joué avec le Covid-19 un bon tour. Peut-être s’est-il vengé parce qu’il était traité dans le livre.
- Comment le livre a-t-il été conçu ?
- Tout est parti d’une émotion, en 2012 lorsque nous étions côte à côte devant la télévision pour le marathon olympique de Londres. Le vainqueur, un Ougandais, du nom de Kiprotich, dans les minutes qui suivent sa victoire, est interviewé par un journaliste de la BBC qui lui pose la question suivante : « après autant d’années d’entrainements, de privations et d’éloignement de votre famille, que ressentez-vous ? ». Le champion olympique laisse alors un blanc, incapable de répondre. Le journaliste, gêné, passe à autre chose. Cette pudeur extraordinaire dans ce moment d’émotion intense m’a bouleversé. J’ai su que j’allais écrire un livre mais je ne savais pas encore comment.
- Venons-en à la construction de l’intrigue.
- J’avais tout d’abord une sérieuse expérience de l’Afrique avec les nombreuses semaines que j’ai passées en Tanzanie pour le Tribunal Pénal International à Arusha relatif au génocide rwandais. J’ai beaucoup appris, non seulement sur l’Afrique à travers les questions juridiques et les événements du génocide mais aussi sur la vie locale. J’ai surtout eu l’occasion de courir, à une époque où j’avais encore des jambes, avec des athlètes de niveau olympique, tôt le matin, avant les séances de droit international pénal.
Ensuite, j’ai voulu en savoir le plus possible, non seulement sur le champion olympique de Londres mais aussi sur son prédécesseur Kenyan qui a eu une courte gloire puisqu’il a été assassiné dans la région d’Eldoret, au Kenya.
Enfin, je voulais en apprendre un maximum sur la culture et les rites de la tribu du champion olympique Ougandais. J’ai découvert énormément de choses passionnantes. J’ai fait venir des livres d’ethnologues américains de la moitié du vingtième siècle pour m’informer davantage et j’ai fait un voyage fondateur en Ouganda pour assister à ces rites, pour rencontrer les parents du champion olympique dans leur village, à 2000 mètres d’altitude, pour monter en haut du Mont Elgon, à 4321 mètres d’altitude. Je ne monterai plus jamais aussi haut dans ma vie et je crois que je ne souffrirai plus autant qu’à l’occasion de cette ascension.
Muni de l’ensemble de ces informations et surtout de ces émotions et sensations, la rédaction du livre pouvait commencer.
- Le livre est-il destiné aux sportifs ?
- Bien entendu. Mais pas seulement. Si vous n’avez jamais fait de marathon, si vous n’avez jamais couru, si vous n’avez jamais fait de sport, le livre reste quand même pour vous. J’en veux pour preuve mon éditrice qui n’a jamais couru de sa vie et qui, après avoir terminé le livre, pour savoir ce que ça faisait, a fait deux tours du pâté de maison à côté de chez elle. C’est le plus bel hommage qu’il m’ait été donné de recevoir.
Plus sérieusement, le livre est bâti comme un thriller mais en abordant beaucoup de questions de société essentielles : notre rapport à la nature, la diversité des cultures, le dopage, la vérité, le rituel, la génétique. Au départ, il faisait 600 pages. Il a finalement été réduit à 420 pages. Quatre années de travail et d’investissement.
- On voyage beaucoup dans ce livre ?
- Effectivement, le héros s’envole vers Monaco puis vers le Kenya, revient à Liège, part vers l’Allemagne, l’Angleterre, Londres, Bruxelles et enfin l’Ouganda. J’ai pratiquement été sur l’ensemble des lieux de voyage. Les liégeois y reconnaîtront quelques clins d’œil. Les avocats, quant à eux, passeront dans des endroits du Palais de Justice de Bruxelles où ils ne sont encore jamais allés.
- La course à pied est une passion pour vous ?
- C’est plus que ça. C’est un véritable mode de vie. Au-delà du bonheur de courir de manière régulière, au-delà des compétitions qui m’ont tenu à cœur pendant très longtemps, il y a aussi la beauté du geste de la course. J’ai rarement été autant ému que par la foulée de Edna Kiplagat à l’occasion des championnats du monde 2011 et 2013. Pour ceux qui aiment le tennis, on peut comparer ça au revers de Justine Henin ou au jeu de Federer. Le geste parfait. Si vous voulez vibrer au son du marathon, venez à la maison, un jour de championnat du monde ou de jeux olympiques.
- Le dopage, un fléau ?
- Très difficile de répondre à cette question. Il y a des dopages d’Etat. Il y a des dopages financiers. Il y a des dopages locaux par des amateurs simplement pour la gloire et non pas pour la casserole à gagner dans une course de kermesse.
Le dopage n’est pas seulement lié à l’argent mais plutôt lié à la chose la plus importante pour les hommes : leur réputation, leur place dans la société.
D’un autre côté, le dopage peut être un moyen. De nombreux Kenyans ont été contrôlés positifs ces derniers temps, notamment le troisième aux jeux olympiques de Londres, Kiprotich, mais peut-on en vouloir à ces gens qui sortent d’une misère très grande et qui, grâce à leur talent, peuvent avoir l’occasion de gagner beaucoup d’argent, pas seulement pour être riches mais aussi pour aider toute la communauté.
Les tentations sont donc lourdes, d’autant plus que les fédérations sont complaisantes, elles-mêmes cherchant aussi la gloire et la réputation.
Même la fédération internationale subit son propre procès à travers son ancien président, à Paris, pour l’instant. Des commissions étaient données au président pour la couverture d’athlètes dopés. Ce n’est évidemment pas propre au milieu de l’athlétisme ni même au sport.
L’homme est ainsi fait.
J’ai voulu aussi, dans le livre, mettre en perspective cette question du dopage avec la manière dont fonctionnent les individus et les groupes.
- Pour conclure sur ce livre ?
- L’écriture n’est pas un plaisir. Une simple nécessité. Un ordre intérieur auquel on obéit. On est capable de s’infliger beaucoup de choses pour arriver au terme de cette injonction.
Je ne regrette généralement rien. J’ai fait des rencontres merveilleuses. J’ai appris beaucoup de choses. J’ai expérimenté la vie. Cela est bien plus important que le livre lui-même.
- Et pour l’avenir ?
- J’ai un autre livre qui est plutôt un récit sur mon périple Mosan. J’ai remonté la Meuse en courant, de son embouchure à sa source. 800 kilomètres. Je ne donnerai ce livre-là à éditer que si celui-ci recueille une certaine audience. Je n’oublie jamais que mon éditrice vit de mes livres, pas moi. Sinon, un autre roman est déjà terminé depuis plus d’un an mais c’est une autre histoire.
Liège, juillet 2020
[1] Le quatrième de couverture est rédigé comme suit :
De la gloire à la tombe.
Le champion olympique de marathon est assassiné.
Enquête menée au pas de course dans les arcanes des fédérations, du dopage, des laboratoires étranges, des rites des profondeurs de l’Afrique de l’Est.
De Monaco au Kenya, en passant par Liège, Bruxelles, l’Allemagne, Londres et l’Ouganda, un thriller inclassable qui vous laissera à bout de souffle.
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