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Entretien avec M. Luc LAMBRECHT, premier président de la cour d'appel de Liège
EK : La grande majorité des avocats liégeois vous connait en tant que Premier Président de la Cour d’appel de Liège.
Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur l’homme qui se cache derrière la fonction (études, parcours, hobbies et passions, …) ?
LL : Après des études de droit à l’Université de Liège (1978 à 1983), j’ai effectué le stage d’avocat au barreau de Marche-en-Famenne durant 3 ans et, ensuite, le stage judiciaire (1986 : Parquet d’Arlon). Après ces années de stage, je suis entré dans la magistrature par le Parquet (1989 : substitut au parquet d’Arlon puis, à partir de 1991, premier substitut à Marche-en-Famenne) avant de passer au siège (1999 :cour d’appel de Liège ; 2010 : président du tribunal de première instance de Marche ; 2014 : président du tribunal de première instance du Luxembourg ; 2019 : premier président de la cour d’appel de Liège).
En dehors des activités de la sphère familiale, je consacre également du temps à des activités bénévoles en rapport avec l’accompagnement des personnes en situation du handicap dans la province de Luxembourg. J’apprécie les découvertes (lecture, voyages, concerts, cinéma …) et j’essaie de rester en mouvement (cyclo, jogging, natation,…).
EK : Vous avez été avocat.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans la magistrature ?
LL : Un certain point de vue sur une certaine indépendance d’esprit. Là où l’avocat s’attache à défendre une cause, bonne ou moins bonne, et cherche, dans le respect de sa déontologie, à faire prévaloir une thèse, conforme à l’intérêt de son client, le magistrat exerce sa mission en ayant pour objectif l’intérêt général.
EK : Vous êtes désigné dans votre mandat actuel pour cinq ans.
Pourriez-vous nous faire part des priorités qui seront les vôtres, notamment dans les aspects qui intéressent plus particulièrement le Barreau ?
LL : L’essentiel est évidemment que la cour continue, comme elle le fait déjà fort bien, à contribuer de manière intègre au service public de la justice en rendant des décisions de qualité en vue de la résolution des litiges dans des délais raisonnables dans toutes les matières. Ceci concerne bien évidemment le Barreau et les justiciables. Je souhaite, par ailleurs, en fonction des moyens qui nous seront alloués, que nous tentions d’être plus soucieux d’autres formes de résolution des litiges (conciliation, règlement amiable,…).
Pour y parvenir, il convient que, notamment avec nos partenaires du Barreau, nous utilisions au mieux les ressources des nouvelles technologies de l’information et de la communication (E-deposit, DPA, Justscan, consult online, utilisation de la vidéo-conférence, bientôt la signature électronique, le dossier électronique,…).
La recherche de l’efficience qui est nécessaire pour remplir nos missions doit se conjuguer avec le souci du bien-être au travail. La cour doit remplir ses missions avec des personnes (magistrats et greffiers) spécialisées mais néanmoins capables d’une certaine polyvalence pour assurer la continuité du service en toutes circonstances, respectées, satisfaites de travailler à la cour et désireuses de parvenir à rencontrer des objectifs communs.
EK : Pensez-vous que des améliorations doivent être apportées en matière d’accès à la jurisprudence ?
LL : Les banques de données auxquelles nous avons accès sont riches d’informations et, dès lors, précieuses dans notre travail. Cependant, il conviendrait que nous puissions avoir accès à toute la documentation qui s’y trouve, ce qui n’est pas le cas actuellement. Nous sommes pourtant les fournisseurs de la jurisprudence qui s’y trouve répertoriée…sans guère de contrepartie.
EK : Pensez-vous que des améliorations puissent être apportées, par le monde judiciaire, en matière d’impact environnemental ?
LL : C’est dans le domaine des bâtiments que nous pourrions sans aucun doute parvenir à un impact important sur le plan environnemental. Chauffage, isolation, éclairage,…sont bien souvent vieillots et énergivores. Mais nous ne sommes pas les propriétaires des bâtiments que nous occupons. La gestion de ceux-ci est assurée par la Régie des Bâtiments et le service New Infra du SPF Justice, de sorte que nous n’avons guère de possibilité d’intervenir à ce niveau. Nous tentons, comme clients, de faire valoir certains points d’efforts marginaux : tri des déchets, abris vélos à divers endroits de nos bâtiments de la place Saint-Lambert, …mais même ces simples démarches basiques prennent du temps…
Avec les nouveaux moyens de communication, nous pouvons aussi, notamment en collaboration avec le Barreau, espérer réduire la consommation de papier (e-deposit, dossiers scannés,…) et sauver quelques arbres…
EK : Le recours croissant aux technologies numériques mène les acteurs de la société civile à exiger davantage de communication et de transparence. Les magistrats sont, eux aussi, interpelés à ce sujet.
Qu’en pensez-vous ?
Comment combiner devoir de réserve et attentes légitimes des acteurs « extérieurs » au monde judiciaire ?
LL : Je ne fais pas de lien particulier entre les technologies numériques et la nécessaire transparence que commande la gestion, comme chef de corps, d’une entité judiciaire. Nous recevons, pour fonctionner, des moyens publics et il est normal que nous rendions des comptes sur la façon dont nous utilisons ces moyens au mieux de l’intérêt général dans le cadre de notre mission de service public de la Justice. Cette communication transparente est de nature à rappeler que le travail des cours et tribunaux doit être apprécié en tenant compte des limites du système, notamment de l’insuffisance des moyens accordés.
Par ailleurs, le recours croissant aux nouvelles technologies de l’information et de la communication ne révolutionne pas le devoir de réserve qui s’impose de façon générale aux magistrats dans l’exercice de leur fonction juridictionnelle : ce devoir de réserve est étranger à l’évolution des techniques et subsiste de la même façon. Indépendance, impartialité, intégrité, réserve et discrétion, diligence, respect et capacité d’écoute, égalité de traitement et compétence sont des valeurs communes qui sont essentielles pour les magistrats dans la société actuelle.
EK : Que répondez-vous aux propos récurrents selon lesquels « le système (judiciaire) est pourri » ?
LL : Je constate, moi, dans l’exercice de mes fonctions depuis de nombreuses années, des femmes et des hommes qui, à quelque place qu’ils occupent, au greffe, dans les secrétariats, comme magistrats, exercent leurs fonctions du mieux qu’ils peuvent, sans compter, dans des conditions matérielles souvent indignes et peu respectueuses.
La meilleure réponse à ces propos récurrents est que les acteurs du monde judiciaire poursuivent leur effort de transparence, d’efficience et de communication, afin que le citoyen comprenne mieux à la fois le fonctionnement du système judiciaire et le contenu des décisions rendues.
Mais il est clair que les propos que vous citez sont souvent récupérés, voire exploités, à des fins populistes…et qu’il y a dès lors peu d’espoir de convaincre ceux qui les tiennent.
EK : Le manque de femmes dans certaines sphères de la magistrature est-il toujours avéré ?
LL : La parité femmes-hommes me semble bien respectée dans la magistrature, en général. Il est vrai, cependant, que les places de chef de corps sont encore plus souvent occupées par des hommes. Je ne suis pas sociologue et je ne me lancerai pas dans des explications hasardeuses sur les causes de cette disparité. Simplement, je constate que, dans les diverses conférences de chefs de corps auxquelles je participe, le travail en partenariat avec des collègues des deux sexes permet bien souvent une vision complémentaire et un travail intéressant.
EK : Quel est, à ce jour, le meilleur souvenir de votre carrière ?
LL : Il est difficile d’en isoler un…J’ai conservé de belles pensées de mon court passage au Barreau, d’excellentes histoires de mes années au Parquet puis comme conseiller à la cour, et enfin de très belles images comme chef de corps également. Ce sont des métiers variés et bien différents, avec de beaux moments variés également. Je me réserve de faire le point à l’issue de mon mandat à la cour d’appel, car j’espère bien engranger encore d’ici là d’autres bons souvenirs !
EK : Enfin, le mot de la fin vous revient ….
LL : Pour vous remercier de m’avoir donné la parole et vous dire combien j’espère que, comme le Barreau et la cour l’ont toujours fait, notre collaboration se poursuivra de façon harmonieuse et constructive durant les prochaines années, au bénéfice des justiciables et de la qualité du service de la justice dans notre ressort.
Elisabeth Kiehl
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