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Recension : Sibylle Gioe – Frontières, Papiers, Humains !
La question des réfugiés occupe la scène politique de manière omniprésente. Pas seulement la nôtre mais aussi celle d’autres pays, européens ou plus éloignés. En Belgique, elle a récemment provoqué la chute du gouvernement, ailleurs elle entraîne la construction de clôtures et de murs ou engendre des législations drastiques, voire d’exception. Quel que soit le point de vue que l’on adopte pour y répondre, on ne peut ignorer la question, et tout discours réducteur à son endroit ne fait que la rendre plus insoluble encore, conflictuelle, irrésolue.
En publiant ‘Frontières, Papiers, Humains !’, notre Consoeur Sibylle Gioe n’a pas entendu vouloir y répondre de manière ferme et définitive. De par son format, son livre ne prétend d’ailleurs pas à un exposé exhaustif sur le sujet pas plus qu’il ne se veut un compendium juridique.
Au travers ces quelque cent-vingt pages, son auteur s’attache à démontrer qu’il n’y a pas de fatalité. Après avoir posé la cadre historique du contexte institutionnel belge (et dans une moindre mesure européen), elle s’arrête sur des cas concrets vécus par des migrants pour dire leur difficulté de jouir et d’exercer leurs droits. Plus loin, elle dénonce la brutalité qui restreint ces droits mais également la duplicité de l’État qui n’agit pas toujours en accord avec les principes dont il s’affuble et qu’il contourne si aisément pour des motifs d’opportunité parfois douteux. Poursuivant sa réflexion, elle fustige les partis populistes et la propagande qu’elle qualifie de fascisante. Elle y oppose une mobilisation citoyenne fondée sur le civisme et propose une défense sociale et juridique en éveil et en réveil.
Le livre s’aborde facilement, sa concision évite au lecteur de se perdre dans des circonvolutions inutiles et évite les digressions théoriques. La faiblesse de son propos tient peut-être dans la charge un peu facile, voire convenue – devenue dorénavant inévitable – dirigée contre les politiques qui tendent de juguler une immigration économique parfois dissimulée sous le manteau humanitaire et que des années de laxisme et d’immobilisme ont rendu visible. En cela, le sous-titre que l’ouvrage s’est donné en frontispice, ‘Banalité du mal et migration’, pèche sans doute par son ton un rien excessif et biaisé. Il demeure qu’il se comprend pour qui veut comprendre pleinement la pensée de l’auteur. Somme toute, c’est tout à l’honneur de Sibylle de défendre son point de vue et de porter sa conviction tel un credo à défendre coûte que coûte et cela la rend profondément avocate, en âme et en paroles.
De Sibylle Gioe, on avait gardé en mémoire un discours de rentrée prononcé il y a trois ans, empreint d’urgence et traversé par une pensée activiste revigorante, plutôt inhabituelle au sein de notre barreau provincial proverbial. Un des meilleurs discours de rentrée de ces dernières années. Quand on sait que, depuis lors, elle s’est rendue à plusieurs reprises en Turquie comme observatrice des procès menés par l’Etat d’Erdogan contre des avocats (cf. le rapport publié par Avocats.be), on comprend d’autant mieux son engagement nourri par son expérience de terrain et on le respecte.
‘Frontières, Papiers, Humains !’ se révèle être un état des lieux impératif et impérieux. Il dit ce que la société, confrontée à la difficulté de vivre son humanité ou d’y renoncer, nous renvoie à nous-mêmes. Sa lecture n’est pas seulement conseillée, elle est recommandée.
Sibylle Gioe, ‘Frontières, Papiers, Humains !’, Presses Universitaires de Liège, Petite Collection MSH, 134 p., 10 €
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