La médiationite : métastase de la justice d’État

Article

Dans une Tribune récente, j’ai lu un article sur « la réforme de la médiation ».

Cet article était rédigé par un de nos confrères qui semble être un véritable thuriféraire de ce mode de règlement des conflits ; il agite l’encensoir pendant ses louanges sur cette institution.

Il consacre d’ailleurs une bonne part de son site personnel à la médiation (j’hésite à y mettre une majuscule …) et – on n’est jamais mieux servi que par soi-même – aux multiples renvois qu’il fait à ses propres (et nombreux) écrits à ce sujet.

Suis-je caricatural en disant qu’il en fait la propagande ? Dans son acception la plus courante, ce mot signifie « action psychologique qui met en œuvre tous les moyens d’information pour propager une doctrine, créer un mouvement d’opinion et susciter une décision ».

Quoi qu’il en soit, je me permettrai ici de prendre le contre-pied de cet enthousiasme débridé.

Déjà, je vais peut-être fâcher l’un ou l’autre en disant qu’en « créant » la médiation, j’ai l’impression qu’on a surtout réinventé l’eau tiède.

Contrairement à ce que veulent croire d’aucuns, et singulièrement le ministre actuel, les avocats n’ont pas vocation à créer des conflits. J’ose ajouter qu’ils ne recourent souvent à la procédure judiciaire que lorsqu’ils ne sont pas parvenus à dégager un accord.

J’ignore ce que deviendra la médiation mais pour le moment – et surtout depuis la réforme de juin, que notre confrère qualifie d’ambitieuse – elle me paraît surtout de nature à empoisonner la vie du justiciable ET de son avocat.

J’ai parfaitement conscience de ne pas être dans l’air du temps.

Je lis en effet partout que les modes alternatifs de règlement des conflits sont hautement recommandables. Et je suis terrorisé de lire, dans un récent info-ordre, que le barreau de Liège pourrait s’interroger sur « la particularité du juriste pacificateur par rapport à la médiation et au droit collaboratif ».

Un « juriste pacificateur », à présent ? Les voilà toutes !

Pour ne pas subir l’inévitable critique disant que « manifestement, je n’y connais rien en médiation », j’ai tâché de m’informer.

Premier constat : celui qui n’est pas lui-même médiateur agréé et qui veut un peu s’informer, tombe d’abord sur le site « justice.belgium.be » dont les propos sur le sujet sont laconiques et renvoient à « avocats francophones et germanophones » via un lien … erroné (avocat.be à la place de avocats.be).

Comme il semble ainsi que ce soit l’autorité suprême des avocats qui constitue la meilleure référence en la matière, le (bon) site en dit un peu plus dans une note de 6 pages, mise à jour le … 26 août 2014 !

Zut alors ! Ça tombe assez mal : la matière a été singulièrement (c’est volontairement que je n’écris pas « sérieusement ») révisée par une loi du 18 juin 2018.

Vaut-il alors mieux se fier aux commentaires de la Commission fédérale de médiation ?

Rien n’est moins sûr puisqu’au titre « Qui prend l’initiative ? », on dit qu’il s’agit d’une démarche volontaire, sur demande commune des parties ou à l’initiative d’une partie avec l’accord de l’autre.

Popopopooo ! Ce n’est plus vrai, ça … !

Le mieux étant, comme souvent, d’aller chercher le texte légal plutôt que ses commentaires, surtout s’ils sont déjà dépassés, je me suis saisi de l’article 1734 C.J.

Celui-ci dit d’abord que le Juge saisi d’un litige peut « à la demande conjointe des parties ou de sa propre initiative mais avec l’accord de celles-ci, ordonner une médiation ».

La loi du 18 juin 2018 a toutefois ajouté, deux lignes plus bas, que le Juge NE peut ordonner une médiation « si toutes les parties s’y opposent ».

Le Juge peut donc ordonner une médiation SANS l’accord d’une des parties. Je souhaite bonne chance à pareille entreprise (c’est ça, sans doute, qui est ambitieux …) !

Ce n’est pas tout : voilà maintenant que les convocations à l’audience d’introduction mentionnent en majuscules, en gras et souligné : « Présence en personne obligatoire » !

L’effet le plus tangible de pareille nouveauté est que la salle d’audience est plus bondée que la batte un jour de grand soleil. Si un comique criait « Au feu », il y aurait cinquante morts !

Cette convocation exhorte les justiciables à « tenter la conciliation ou essayer la médiation ».

Elle dit qu’un Juge spécialisé dans les modes alternatifs de résolution des conflits les informera à ce sujet lors des audiences d’introduction. Il y a donc un juge spécialisé dans la conciliation (terme générique) ? Mais alors, on va droit vers la conciliation de l’article 731 ? « Il entre dans la mission du juge de concilier les parties ».

Que nenni : si le Tribunal a décidé de convoquer les parties en personne, « accompagnées de préférence de leurs conseils » (!), c’est pour examiner les avantages de ce processus de résolution des conflits qu’est … la médiation.

Il est ajouté, pour faire bonne mesure, que les avocats peuvent - il n’y a pas d’obligation, hein ! - éclairer les parties sur ce processus et y participer de manière constructive - oui, il faut qu’ils soient enfin constructifs, ceux-là ! - mais il est essentiel, à l’estime de nos autorités, même judiciaires donc, que les parties soient personnellement présentes.

La convocation renvoie au site médiation-justice.be qui devrait être plus informatif qu’un avocat peu constructif mais … qui n’est autre que celui de la Commission fédérale de médiation dont j’ai eu l’occasion de souligner plus haut qu’il me paraissait un peu dépassé (obsolète ? à titre indicatif, à sa rubrique « Actualités », ce site, consulté le 16 octobre dernier, évoque la « semaine de la médiation 2018 » qui « aura lieu » le … 13 septembre 2018 !).

En quelques (autres) points, la convocation judiciaire vante les avantages de la médiation en disant notamment que celle-ci « recherche les intérêts réels des parties » (ce que, sans doute, les avocats ne font donc pas) ; que son coût est quantifiable (alors ça, je demande vraiment à voir !) ; qu’il s’agit d’une formule idéale quand les parties doivent continuer à vivre ensemble et ce, même si la relation de travail est terminée ; puis enfin qu’une telle solution est souvent plus rapide qu’une procédure judiciaire car pas de délai pour la rédaction de conclusions, les audiences de plaidoiries et voies de recours.

Vous me trouverez peut-être un peu grincheux mais il me paraît impossible de ne pas lire entre les lignes :

- Votre avocat va vous coûter cher en gesticulations et en conclusions interminables ;
- Votre avocat ne cherche pas votre intérêt (réel) mais le sien ;
- Votre avocat va faire traîner la procédure judiciaire et ses contorsions vont prendre beaucoup plus de temps que ne le ferait une médiation.

Il n’est en tout cas pas dit dans cette description idyllique des merveilleux avantages de la médiation que le justiciable va payer non seulement son avocat mais aussi la moitié du coût du médiateur …

Je relève au passage une (autre) ineptie, du texte légal lui-même : l’article 1737 prévoit que « la décision ordonnant, prolongeant ou mettant fin à la médiation n’est pas susceptible de recours ».

Pareille chose était certes concevable lorsque la médiation ne pouvait être ordonnée que de l’accord des parties mais elle me paraît totalement incongrue à partir du moment où le Juge peut imposer la médiation à (au moins) une des parties !

Dans un autre ordre d’idées, dès lors que tout contrat peut contenir une clause de médiation et que le coût de pareille chose est d’office réparti par moitié, l’insertion de pareille clause dans un contrat de travail, par exemple, pourrait grandement dissuader un travailleur de recourir à ce processus : il s’agit d’un investissement (encore plus) coûteux … !

Je ne suis pas là pour critiquer ceux qui y ont trouvé une nouvelle occupation professionnelle (et une nouvelle source de revenus), mais il faut bien admettre, vu de l’extérieur, que tout ça ressemble à s’y méprendre à une JUSTICE PRIVÉE.

Et pas seulement : à une justice privée … DE RICHES, qui peuvent payer 1,5 avocats quand bon nombre de justiciables peinent à en rémunérer la moitié d’un.

L’article du zélateur dont question plus haut avait le bon goût de rappeler que l’exposé des motifs du texte du 18.06.2018 était on ne peut plus clair quant à l’objectif poursuivi par le gouvernement : « Encourager les modes alternatifs de règlement des conflits afin de décharger les tribunaux ».

Il n’est donc pas exagérément suspicieux de prédire que cette politique a pour but - et aura nécessairement pour effet - de justifier la diminution du budget alloué à la justice, ses cadres, etc.

Et pourtant, nos tribunaux (j’exagère sans doute car je n’ai été réellement confronté qu’aux exigences du tribunal du travail de Liège jusqu’ici) semblent emboîter le pas à cette politique, sans sentir se dérober sous leurs fesses la branche qu’ils scient ainsi consciencieusement …

À l’audience, la promotion de la médiation est devenue une obligation de comparution personnelle !

« Le Tribunal veut s’assurer que les justiciables ont bien reçu une information correcte à ce sujet ».

Correcte ?! Il n’y a plus d’ambiguïté possible : si l’avocat affirme avoir donné l’information nécessaire à son mandant et que celui-ci ne souhaite malgré tout pas entrer dans un processus de médiation, le juge … ne le croit pas.

L’avocat n’est plus un interlocuteur correct.

Le nouvel article 730 C.J. donne pour mission au Juge de favoriser un mode de résolution amiable des litiges.

À cette fin, le Juge peut interroger les parties sur la manière dont elles ont tenté de résoudre le litige à l’amiable (« Qu’a dit votre avocat à ce sujet ? Avez-vous été correctement éclairé ? ») avant l’introduction de la cause et les informer des possibilités d’encore résoudre les litiges à l’amiable.

Le texte ajoute : « A cette fin, le Juge peut ordonner la comparution personnelle des parties ».

Le texte poursuit - alors qu’il aurait dû commencer par là ! - : « Le Juge, s’il constate qu’un rapprochement est possible, peut (…) remettre la cause à une date fixe qui ne peut excéder un mois sauf accord des parties, afin de leur permettre de vérifier si leur litige peut être totalement ou partiellement résolu à l’amiable et de recueillir toutes les informations utiles en la matière ».

La défiance du législateur est TOTALE ! « Votre avocat ne vous a pas tout dit. Je vais vous faire donner des informations utiles. Vous pourrez ainsi vérifier ce qu’il en est … ».

Pourquoi ne sommes-nous même pas étonnés ?

Il se fait toutefois qu’en décidant d’appliquer fort largement (à mon estime) cette disposition, le Juge qui n’a PAS connaissance des éléments du litige (et ne peut constater, par art divinatoire, qu’un rapprochement est possible) ET qui se trouve en présence de deux avocats qui disent avoir dûment informé leurs clients et affirment que ceux-ci souhaitent un calendrier amiable de procédure … exige néanmoins que les parties soient informées (par un Juge, respectable, lui) de ce qu’est vraiment la médiation.

S’il essuie un refus, le Juge rend un jugement ordonnant leur comparution personnelle.

Condoléances : le mandat ad litem est MORT. « Vous me dites que votre client a dit que … ? Je ne vous crois pas ! ». C’est fait : le juge ne croit plus l’avocat ; le ministre a marqué des points …

Ses mesures miracles, qui détournent vers le secteur privé (et payant) une partie du contentieux judiciaire, sont donc non seulement un processus visant à faire faire des économies à l’État mais une création légale de défiance des magistrats à l’égard des avocats.

Les premiers sont invités à dire aux clients des seconds que ceux-ci les exploitent et qu’ils pourraient s’en sortir « pour moins cher » en recourant à une justice … payante ! Défiance désormais relayée chez les justiciables, à l’égard de leurs propres conseils.

Quoi qu’il en soit, quand un Juge n’a pas eu l’occasion de lire même le premier élément du litige qu’est l’acte introductif, il n’est pas possible qu’il puisse estimer qu’un rapprochement est envisageable !

Qu’à cela ne tienne : il estime « devoir » convoquer les parties et il invoque que « c’est le code judiciaire qui l’impose ». On ne doit pas avoir le même.

J’ajoute (et déplore) que dans ce contexte, l’avocat « qui veut faire bonne figure » à l’audience se prend à penser tout haut que son client « pourrait, quant à lui, tout bien réfléchi » se tourner vers ce mode « plus doux » de résolution du conflit et il invente séance tenante un possible rapprochement que ses derniers courriers et l’entier dossier écartaient pourtant de façon radicale jusque-là !

Ne pas « se mettre le juge à dos » devient sa seule religion, « dans l’intérêt de son client » … La flagornerie s’insinue.

Mon opposition à participer à pareille mascarade sembla alors être interprétée « unanimement » (la confraternité a ses limites) comme « un manque de collaboration », interprétation de laquelle, par bavardage, on a paru déduire, sans doute dans la crispation (mais en est-on bien sûr ?), « qu’on en tirerait les conclusions ultérieurement » … !

Je regrette un peu de n’avoir entendu aucun des 30 confrères présents relayer ma protestation. Ne pas se mettre le juge … Oups : je l’ai déjà dit !

La médiation fonctionne peut-être.

Je concède mon scepticisme quant aux pouvoirs magiques d’un confrère devenu médiateur, fût-il agréé, mais s’il arrive à faire découvrir une solution apaisante, et surtout commune, à des gens qui voulaient s’entre-déchirer au départ, je lui reconnais volontiers un talent rare.

J’admets aussi que je trouve une parenté troublante entre la médiation et le bon vieil arbitrage - auquel recourent encore les riches qui préfèrent « l’entre-soi » de leurs microcosmes à la raide justice, quitte à payer cher le bourreau qui coupera le kiki de l’un d’entre eux - mais mon option de départ n’était pas d’éreinter le fond de l’affaire, je voulais juste mettre en avant ce que la manœuvre me paraissait en train de bousiller (ndr : dérivé de bouse) :

- La justice d’État est dévoyée vers une justice privée ;
- Celle-ci est financée par les parties (qui le peuvent) ;
- L’autre va se déliter (ou ne plus prononcer que des défauts … dont on ne peut plus que faire appel, tout se tient) ;
- La propagande est telle que les magistrats vont plus loin que le texte lui-même (ils devront bientôt porter des chaussures de sécurité ; rapport à la balle qu’ils se tirent dans le pied) ;
- Le mandat ad litem a vécu ;
- Les juges sont légalement priés de se méfier des avocats et d’entretenir la défiance du public à leur égard ;
- Etc.

En guise de réplique ultime, je vais sans doute entendre (je devrais dire : j’ai déjà entendu !) que « de toute façon, le train était en marche et on n’a pas su l’arrêter, alors tâchons au moins de sauver les meubles et de mettre la main sur ce nouveau marché », mais quitte à être ringard, je confesse n’avoir jamais envisagé ma profession sous cet angle.

Mieux, je vais encore en énerver plus d’un par ce dernier mot « qui est une caricature intolérable, une inadmissible comparaison et même une authentique profanation ! Ouuuh, le laid ! » mais un sarcasme virulent marque souvent mieux les esprits : à chaque fois que quelqu’un me tient ces propos d’impuissance évidente, de sauvetage de meubles et de moindre mal, je lui rappelle que tels étaient très exactement les propos des collabos entre 40 et 45 …

Depuis lors, c’est bien connu, il n’y a plus que des résistants.

G.H. LAMBERT,
Avocat.
JARI !

Ajouter un commentaire

Texte brut

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
This question is for testing whether or not you are a human visitor and to prevent automated spam submissions.