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Le barreau et le théâtre : rencontre avec Alexandre Pirson
Le barreau et le théâtre : rencontre avec Alexandre Pirson
On le sait, notre profession est aussi passionnante que chronophage. Il est cependant des avocats qui arrivent à combiner celle-ci avec l’exercice d’une autre passion. Focus sur Me Alexandre PIRSON et sa passion du théâtre.
Sa nouvelle pièce, « Apéro », qui mettra notamment en scène notre consœur Sarah LEMMENS sera prochainement jouée à Liège (au Théâtre de Liège les 14 et 15 décembre prochains ainsi qu’au Théâtre Royal universitaire de Liège les 21 et 22 décembre).
A vos agendas !
Florence Natalis : Peux-tu nous décrire brièvement ton parcours ?
Alexandre Pirson : J’ai fait mon master en droit à la Faculté de droit de l’Université de Liège. J’ai été diplômé en 2010 dans la finalité de droit public et administratif. Finalité que j’ai poursuivie, aussi bien au barreau (au cabinet Bours & associés, avec Michel Delnoy), que dans le cadre de tâches d’enseignement (je suis assistant à la Faculté de droit de l’ULiège et chargé de cours à l’HELMO Saint-Martin).
FNA : A côté de cette activité d’avocat et d’assistant en droit public, tu as aussi une passion moins bien connue de nos confrères, à savoir ta passion pour le théâtre. Es-tu tombé dans la marmite quand tu étais petit ?
AP : Presque ! En tout cas quand j’étais ado puisque j’ai commencé à suivre des cours d’improvisation à 14 ans avec un professeur de français du Collège Saint-Louis à Waremme. Ce professeur avait également des projets de théâtre avec des ados et c’est dans ce cadre que j’ai fait aussi bien de l’improvisation que du théâtre.
FNA : Comment est née la troupe d’improvisation « les Otarire », dont tu fais partie?
AP : Lorsque j’ai rejoint la troupe des Otarires, elle existait depuis deux ans. Elle est maintenant vieille de quinze ans. C’était déjà des membres que je connaissais. La plupart des gens qui sont dans la troupe sont de vrais amis. C’est donc une troupe qui est fort soudée.
FNA : Explique-nous le principe de l’improvisation. Comment ça fonctionne ? Est-ce que vous vous entraînez à improviser ?
AP : On s’entraîne une fois par semaine avec un coach. On essaie de plus en plus d’avoir des coachings par des professionnels du spectacle. Nous faisons deux types de performance. Le premier est la formule la plus connue du grand public, soit les matches d’impro. Il s’agit de deux équipes qui s’affrontent sur un thème qui n’est pas connu à l’avance et qui est donné par un arbitre. Le deuxième type de performance c’est de créer des spectacles d’impro, c’est-à-dire des spectacles sur un concept original, comme le spectacle pour enfants que nous avons créé l’année passée. Ces spectacles nous permettent d’explorer des nouveaux univers en impro ou de créer des mécanismes ou des connivences qui n’existent pas forcément en match.
FNA : Explique-nous un peu le principe des matches d’improvisation.
AP : Dans les matches d’impro, l’idée est que deux équipes puissent coconstruire une histoire sur la base d’un thème et de contraintes qui sont proposés par un arbitre. Donc le spectacle se fait sur un fond de decorum de joutes sportives. C’est ce qui fait la particularité du match et qui nécessite évidemment d’avoir énormément d’écoute puisque forcément l’autre équipe n’a en général pas la même idée de ce qu’on va proposer, sachant que, de toute façon, rien n’est jamais préparé à l’avance. On découvre toujours le thème et les contraintes au moment même et on a, la plupart du temps, 20 secondes pour y réfléchir et commencer à jouer.
FNA : Et, à la fin de l’acte, les spectateurs sont invités à voter pour l’équipe qu’ils ont préféré.
AP : Oui effectivement. C’est une discipline inclusive puisque le public vote. Il intervient aussi parfois d’une autre manière en décidant de certaines contraintes, en proposant des thèmes ou en étant invité à réagir pendant les impros par l’arbitre. C’est un des aspects très attrayants de la discipline. Pour moi, ce qui en fait un spectacle vivant par excellence, c’est que, d’une part, c’est improvisé et donc spontané, et, d’autre part, il y a un réel échange avec le public. Je pense que c’est pour cela qu’une partie du public apprécie et revient régulièrement à ce type de spectacle.
FNA : Il y a-t-il beaucoup de troupes comme la vôtre en Fédération Wallonie-Bruxelles ? Comment êtes-vous organisés ?
AP : C’est difficile à fédérer parce que, pour moi, l’improvisation reste plus une discipline artistique qu’un sport et donc chaque troupe, chaque compagnie, a un peu sa vision de ce qu’elle souhaite proposer en spectacle. Il y a bien sûr des codes communs qui sont partagés, mais la Fédération Belge d’Improvisation amateur (qui est sans doute la plus grosse fédération de Belgique existante) ne reprend pas la plupart des troupes. Par exemple, nous n’en faisons pas partie car on est plutôt autonome dans ce qu’on essaie de proposer. Mais ce sont des gens qu’on connaît très bien. Il y a d’ailleurs une équipe qui participait au Festival improliégeois qui était directement issue de cette Fédération.
FNA : Explique-nous ce qu’est le Festival « improliégeois » que vous organisez.
AP : Les équipes des Otarires et des Fauves qui Peut sont regroupées au sein d’une ASBL « Catégorie libre » qui organise le Festival « improliégeois ». Ce festival inclut des équipes qui ne sont pas liégeoises ; on essaie d’avoir une sélection de quatre équipes de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce festival existe depuis seize ans. C’est l’ASBL Les Potées Liégeoises qui l’a créé et nous avons repris son organisation en 2012.
Le festival a lieu chaque année. Il comprend six rencontres et un match de gala, répartis sur un quadrimestre, entre février et mai.
Toutes les informations sont sur categorielibre.be et la CLJB nous a annoncé qu’elle programmait d’assister à l’un des matchs. Cette activité sera donc, en principe, prochainement proposée à nos confrères.
Cette année, la plupart des dates se feront au Trocadero. On a eu la chance d’avoir un festival totalement sold out l’an passé, donc on vise de plus grandes salles maintenant. Le match de gala se déroulera dans la grande salle du théâtre de Liège.
FNA : Peux-tu nous dire deux mots sur l’autre pan de l’improvisation, à savoir les spectacles dont tu parlais ?
AP : Les spectacles sont toujours improvisés. La différence majeure est qu’il n’y a qu’une seule équipe, au lieu de deux qui s’affrontent. On essaie de garder l’idée d’une énergie tout à fait spontanée et d’avoir des grosses contraintes comme en matchs, mais avec l’avantage qu’on peut aller beaucoup plus loin et explorer des choses qui ont été travaillées en coaching, comme certaines manières de faire de l’impro, par exemple chanter ou un spectacle pour enfants pour lequel on se prépare spécifiquement.
Le spectacle a généralement un nom et un thème général, puis il y a toujours plusieurs improvisations. En général, il y a un maître de cérémonie, quelqu’un qui va guider. Il existe des spectacles où il y a juste une seule impro mais c’est rare. Ici on fait plusieurs impros mais elles sont souvent plus longues que dans des matchs et explorent des univers spécifiques, parfois définis à l’avance.
FNA : A côté de l’impro, tu es revenu au théâtre puisque tu es devenu auteur de pièces de théâtre. Peux-tu nous en dire plus ?
AP : Il y a deux choses qui expliquent ce changement. La première c’est, qu’au théâtre, on a l’occasion d’aller beaucoup plus loin dans le travail sur un personnage ou dans le traitement d’un thème. La deuxième chose, c’est que je pense que c’est plus facile de faire passer un message global ou de traiter vraiment d’un sujet qui véhicule quelque chose à travers le théâtre. L’impro joue beaucoup sur l’humour ou de manière générale sur les émotions mais au théâtre, il y a, en plus, moyen de faire passer un contenu plus élaboré ou en tout cas les gens s’attendent plus à recevoir du contenu à ce moment-là.
FNA : Et qu’est-ce qui t’a décidé à écrire plutôt qu’à uniquement être acteur de théâtre ?
AP : J’ai donné beaucoup de coachings, notamment à des ados. De plus en plus, j’’avais envie que les scénarios que j’imaginais en encadrant des ateliers puissent prendre vie. Et cela est difficile avec l’impro parce que, par définition, on joue quelque chose qui n’est pas élaboré et il faut éviter de scénariser. C’est donc à cause de ce besoin de construire des histoires de manière plus élaborée que j’ai eu envie de faire du théâtre. L’autre raison est que j’aime bien écrire. J’avais envie d’écrire autre chose que ce que je fais au quotidien dans le cadre du métier d’avocat ou à la Faculté.
FNA : Parle-nous un peu de la première pièce de théâtre que tu as écrite.
AP : C’est une pièce qui s’appelle « La petite chapelle ». Elle a été jouée au printemps 2017 à Waremme et à Liège. Cela avait principalement pour thème quelque chose que nous avions tous vécu en venant de Waremme, à savoir le fait de devoir choisir entre la vie à la campagne ou la vie à la ville.
La particularité est que c’était une pièce qui avait été écrite en fonction des acteurs qui allaient la jouer. Je savais dès le début à qui confier un rôle, j’ai écrit les rôles en fonction des personnes qui allaient la jouer. Dans ma nouvelle pièce, par contre, j’ai écrit la pièce sans savoir qui allait jouer quel rôle.
Je l’ai proposée aux comédiens en qui j’ai le plus confiance, c’est-à-dire à ceux des deux troupes que je connais. Ils m’ont fait le grand honneur d’accepter le projet alors que je n’ai absolument aucune formation ou compétence particulière pour le faire. Je leur ai proposé car je sais qu’ils vont prendre la peine d’essayer de bien comprendre ce que le texte doit faire passer. Par ailleurs, je sais qu’ils ont les capacités pour le faire. Ce sont de très bons jeunes comédiens et ils peuvent faire passer de très chouettes choses.
FNA : Raconte-nous un peu de quoi il retourne dans ta nouvelle pièce.
AP : C’est une pièce qui s’appelle « Apéro », ce qui est l’anagramme d’opéra, qui est le lieu dans lequel la pièce débute. C’est une pièce qui décline des tableaux de duos ou de trios de personnages qui sont tous issus d’un milieu aisé et qui sont confrontés aux codes de leur milieu ou à la bienséance, avec des réactions très différentes.
L’idée m’est venue parce que cela fait un peu plus de trois ans que je vais régulièrement à l’opéra et j’y ai été souvent interpellé par le comportement des gens. Une bonne partie des gens qui fréquentent l’opéra sont encore aujourd’hui issus d’une certaine classe sociale et fonctionnent avec leurs propres « codes » et je trouve que c’est un beau sujet à traiter sur le thème de l’humour.
Dans le cadre des préparatifs d’un mariage, les différents personnages vont être amenés à se retrouver à un apéro de mariage d’où le nom à la fin de la pièce. Donc voilà un peu la trame et le thème.
FNA : Dirais-tu que c’est une comédie ou une tragédie ?
AP : C’est plutôt une pièce qui a un ton humoristique mais ce n’est clairement pas un comique loufoque. On y aborde des sujets de fond. J’essaie de parler de quelque chose que j’ai beaucoup observé, en ce compris au barreau et à l’Université, c’est-à-dire la bienséance, ce que les gens croient être de la politesse ou du respect sur la forme et qui ne l’est pas toujours sur le fond.
FNA : Et dis-nous où se joue cette pièce.
AP : La première se déroulera le 24 novembre au centre culturel de Waremme, pour des raisons sentimentales et historiques. En effet, c’est grâce au Centre culturel que Les Otarires ont pu se faire connaître en 2006. Nous restons attachés à produire des spectacles là-bas et on a un très bon contact avec les gens qui nous accueillent.
Ensuite, on aura deux dates au Théâtre de Liège (dans la petite salle de L’œil vert) les 14 et 15 décembre et au TURLg les 21 et 22 décembre.
Suivant la date qui vous intéresse, pour réserver des places, il faut vous rendre sur le site internet de categorielibre ou du Théâtre de Liège.
FNA : Parle-nous un peu des acteurs qui jouent dans cette pièce de théâtre car on m’a dit qu’une avocate du barreau y tient un rôle.
AP : Tout à fait, il s’agit de Sarah LEMMENS. Au-delà de travailler, totalement par hasard, dans le même cabinet, on se connaît en fait depuis qu’on a 15 ans. Elle a commencé l’impro à Waremme en 2003 et a intégré les Otarires plus ou moins au même moment que moi. Nous étions donc coéquipiers d’impro avant d’être collègues de bureau. Quand elle était ado, elle avait déjà très clairement une fibre prononcée pour le théâtre et elle a continué de l’avoir puisque, bien qu’elle ait arrêté l’impro il y a deux ans, elle a accepté le projet. Je suis content qu’elle ait accepté parce qu’il y avait un rôle en particulier où je ne voyais qu’elle pour le jouer. J’ai un peu insisté et, heureusement pour moi, elle a accepté.
FNA : Comment te sens-tu à la veille de la première représentation ?
AP : Je suis pleinement anxieux parce que le travail est beaucoup plus ambitieux que les fois précédentes et ce, pour deux raisons. D’abord, on s’en entouré d’un metteur en scène professionnel, ce qui nous amène à nous remettre beaucoup plus en question. Ensuite, parce que je crois que le style qui est proposé est beaucoup moins « facile » à aborder ou à faire passer. C’est humoristique mais, dans la mesure où c’est du théâtre avec du fond, c’est peut-être un petit peu moins populaire. Il y a donc la peur de ne pas être forcément super bien reçu qui est là, même si c’est normal que tout le monde n’aime pas forcément ce qu’il va venir voir.
FNA : Tu me disais qu’il y avait un lien avec la musique.
AP : Oui. Comme la pièce se déroule en bonne partie à l’opéra et que c’est un des univers qui est traité dans la pièce, nous avons choisi un metteur en scène professionnel du monde de la musique pour le traiter. Sébastien JURCZYS est professeur de musique ainsi que créateur et metteur en scène de comédies musicales. La musique sera présente à plusieurs moments, d’une manière ou d’une autre…
FNA : On voit que tu es bien occupé : tu es avocat, assistant à l’Université et avec une charge cours à la Haute Ecole HELMO, tu fais de l’improvisation une à deux fois par semaine et maintenant tu écris des pièces de théâtre. Où trouves-tu le temps ?
AP : La première chose, c’est que j’ai la chance - ou la malchance - de ne pas dormir beaucoup. Ensuite, et surtout, je pense que c’est vraiment une question de motivation. Pour moi, on peut avoir des rêves ou des projets qui ne sont pas semblables, voire totalement différents de notre métier d’avocat.
François JONGEN, qui est professeur de droit, avocat ainsi que journaliste et critique musical, disait que c’est très interpellant pour les gens d’être face à quelqu’un qui a des occupations aussi différentes en même temps parce que ça les perturbe de ne pas pouvoir coller une étiquette sur des gens qui exercent une profession notoire. Je partage assez bien cette idée.
J’ai toujours bien aimé l’idée de ne pas me réduire à uniquement un seul objectif, mais d’en avoir plusieurs. Je sais que d’autres confrères font ça aussi : il y en a qui sont auteurs de romans, d’autres qui font aussi dans le monde du spectacle, de la musique, de la photo ou du sport, et je trouve cela très bien. Je trouve très important de garder un grand investissement dans d’autres projets, à côté de notre profession d’avocat car il est important, pour moi, de ne pas s’épanouir uniquement dans sa profession, au risque de manquer l’essentiel.
FNA : Un grand merci pour cet entretien et bonne m**** pour le spectacle !
Propos recueillis par Florence NATALIS
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