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Un avocat sans frontières : rencontre avec notre confrère Jean-Marc VERJUS. Pour un investissement gage de changement.
Au lendemain de son 26ième anniversaire, l’ONG internationale « Avocats Sans Frontières » (ASF) continue de travailler sans relâche pour garantir une justice accessible[1] et défendre les droits humains. C’est en 1992, à BRUXELLES, que l’organisation a vu le jour et en 1996 qu’elle a été érigée en ASBL. Aujourd’hui, ASF a développé des bureaux dans neuf pays (BELGIQUE, BURUNDI, INDONESIE MAROC, OUGANDA, REPUBLIQUE CENTREAFRICAINE, RDC, TCHAD et TUNISIE), compte 80 employés et des volontaires qui œuvrent, ensemble et avec vigueur, à ces objectifs communs[2]. ASF mène ses activités de concert avec les acteurs locaux et intervient plus largement là « où la pleine et effective réalisation des droits et des libertés individuelles et publiques est sérieusement mise en péril et où la justice n’est pas garante de sécurité pour les citoyens ». Les trois axes d’ASF sont la mise en place de services d’aide juridique, le renforcement des capacités par la formation et le plaidoyer. Financée majoritairement par des fonds publics, soit une vingtaine de bailleurs institutionnels (dont les gouvernements, l’Union européenne, les Nations-Unies, la Coopération belge au développement et les fondations privées), les fonds privés (les barreaux de Belgique et les donations privées) restent néanmoins essentiels dès lors qu’ils permettent à la fois de répondre à des demandes urgentes, d’intervenir dans des situations non prioritaires pour les bailleurs institutionnels mais également d’assurer l’indépendance de son fonctionnement et son équilibre financier.
Administrateur et ancien vice-président d’ASF, notre confrère, Jean-Marc VERJUS, nous livre son expérience.
AA (Amélie Adam) : Jean-Marc, pourrais-tu nous dire comment tu as connu ASF et dans quel contexte ?
JMV (Jean-Marc VERJUS) : C’était il y a une vingtaine d’années. Je me suis rendu à une assemblée générale d’ASF et m’étais fait membre peu de temps avant pour pouvoir y être présent. Il a été procédé aux élections des administrateurs et j’ai posé ma candidature. Il faut néanmoins se rappeler qu’il y a vingt ans, c’était le début d’ASF et ce n’était pas encore une structure très professionnelle. Il n’y avait alors que des bénévoles, à l’exception d’une secrétaire à mi-temps, seule salariée. L’OBFG nous avait prêté un petit local au dernier étage de l’Avenue de la Toison d’or. Les budgets étaient par ailleurs minimes mais il y avait « une ambiance du tonnerre », une « atmosphère de début ». La structure a ensuite commencé à se professionnaliser, les budgets à être plus importants et les projets à s’étendre.
AA : Quelles ont été tes missions au sein d’ASF ?
JMV : Mes missions ont toujours été soit d’observation, soit de représentation en qualité d’administrateur. Ma première mission, accompagnée de deux autres confrères belges, s’est déroulée à BILBAO à la suite de la condamnation par le Tribunal suprême Espagnol, le 1er décembre 1997, de vingt-trois dirigeants d’HERRI BATASUNA, bras politique de l’ÉTA (visite de détenus afin de connaître les conditions de détention, rencontre avec la presse et des associations de parents de victimes). Je suis également parti en mission à RABAT, au MAROC, suite à la suspension d’un juge administratif. Je devais en principe assister à son procès, lequel a finalement été reporté puis renvoyé sine die dans la mesure où un accord est finalement intervenu[3]. J’ai par ailleurs prononcé le discours de clôture, en qualité de représentant du Conseil d’administration d’ASF, lors de la fermeture de notre mission au RWANDA[4] et suis notamment intervenu, en tant qu’orateur, à une conférence au QUEBEC afin d’expliquer nos actions dans le cadre du partenariat entre ASF BELGIQUE et ASF CANADA. Ce qu’il y a également de particulièrement enrichissant dans cette aventure ASF, c’est que le voyage permet de rencontrer des personnes que l’on ne rencontrerait jamais autre part. Les échanges sur les situations des pays sont riches ainsi que les expériences partagées.
AA : Quelles sont les grandes missions d’ASF et comment sont-elles mises en place ?
JMV : Les zones d’intervention étaient au départ essentiellement en AFRIQUE, dans la région des grands lacs, mais elles se sont ensuite étendues. ASF mène à la fois des missions de longue durée (e.g. : formations à l’attention des magistrats, avocats, policiers, visites de prisons, organisation de la logistique pour la tenue de procès, rédaction de manuels), des missions plus courtes (répondre à la demande d’un avocat qui se sent en danger dans le cadre d’un dossier tandis qu’un confrère est alors envoyé sur le terrain afin de plaider ce dossier). ASF intervient également par thématiques (enfants soldats, sorciers, violences sexuelles, droit foncier) ou encore au niveau de la CPI (ayant participé, de de près ou de loin à tous les procès, ASF veille, en collaboration avec des associations, à être présent aux côtés des victimes pour les aider à participer à la procédure et est par ailleurs proche de la coalition pour la CPI).
Conformément au principe de subsidiarité, c’est souvent à la demande des barreaux locaux ou encore des organisations humanitaires locales qu’ASF intervient. Les pouvoirs subsidiant peuvent également émettre le souhait qu’ASF intervienne dans tel pays car cela semble nécessaire. Une mission exploratoire va alors être menée par un consultant ou un salarié de l’équipe d’ASF, qui sera alors chargé de rédiger un rapport sur l’intérêt de mener une telle mission ou au contraire d’estimer que celle-ci n’aura aucun impact ou encore qu’ASF pourrait être instrumentalisée. Il est ensuite procédé à un examen de faisabilité afin de répondre notamment aux questions suivantes : combien de personnes doivent être engagées ? quel coût pour le projet ? est-ce que celui-ci rentre bien dans la philosophie d’ASF et de ses activités ? Si un tel accord est marqué, le projet est alors monté tandis qu’il faut trouver le pouvoir subsidiant. La plupart des projets fonctionnent par le biais de cofinancement, le bailleur de fonds institutionnel proposant un investissement pour partie, à charge pour ASF de trouver le reste auprès d’autres bailleurs. Une fois le subside accordé, ASF se rend alors sur place afin de rencontrer ses partenaires, d’ailleurs déjà approchés dans le cadre de la mission exploratoire. La structure mise en place dans le pays sera adaptée à celui-ci et ses besoins. Une équipe locale est alors constituée, le chef de mission étant souvent, quant à lui, un « expat ». Des rapports sont établis afin de permettre à l’information de pouvoir remonter du chef de mission vers ASF et des contrôles sont mis en place afin de s’assurer que le programme est bien effectif et que les dépenses sont justement effectuées.
AA : Les défis ne manquent pas pour la défense des droits humains aux quatre coins du monde, quels sont-ils ?
JMV : Chaque mission est un défi en quelque sorte. Le défi est d’avoir un impact et la difficulté d’ailleurs dans ce type de mission est que la mesure de cet impact peut être difficile à appréhender. A la différence de Médecins sans frontières par exemple, qui peut, à l’issue de ses missions, déterminer qu’un nombre x de vaccins a pu être délivré, qu’un nombre déterminé de personnes a pu être guéri, l’évolution du droit et son impact ne sont pas toujours aisés à déterminer. Lorsque des formations sont par ailleurs dispensées sur des grandes thématiques, telles que les droits de la défense, les droits de l’homme, le principe d’indépendance, nous sommes parfois face à des avocats démunis et découragés compte tenu de la difficulté de pouvoir mettre en œuvre, dans la réalité, ces principes en raison du contexte dans lequel ils se trouvent ou à des magistrats qui parviennent difficilement à parer à leurs besoins familiaux tant leur salaire est faible, de sorte qu’ils sont contraints de démissionner. Il y a bien entendu des études d’impact qui sont réalisées dans le cadre d’audits, des rapports établis et adressés aux pouvoirs subsidiants de manière à démontrer la bonne utilisation des fonds et l’efficacité du travail mis en place.
AA : ASF repose largement sur le volontariat et le soutien institutionnel : quels sont les principaux défis qui se posent à l’association pour mener à bien ses actions?
JMV : Le bénévolat est une question qui revient souvent au sein du CA parce que, qui dit professionnalisation, dit qu’il y a de moins en moins de bénévoles. Les pouvoirs subsidiants sont de plus en plus exigeants sur la qualité des formations, des ateliers et des interventions et ce sont aujourd’hui les salariés d’ASF qui, compte tenu de leur bagage extraordinaire et de leur compétence dans des domaines pointus, sont les plus aptes finalement à remplir les missions. Cette professionnalisation explique d’ailleurs la raison pour laquelle, au départ, les administrateurs et bénévoles partaient plus fréquemment en missions pour ensuite laisser la place aux salariés. Il y a cependant une alternative pour l’avocat qui souhaiterait s’investir dans les missions d’ASF : l’International Legal Network (ILN).
AA : Comment peut-on alors concrètement s’engager pour ASF ? Peux-tu nous en dire davantage sur l’ILN ?
JMV : Le Réseau International des avocats a été mis en place par ASF et regroupe des centaines de professionnels du droit du monde entier désireux de soutenir les programmes d’ASF et les missions sur le terrain. Il peut s’agir de missions de tout type : d’un soutien depuis chez soi par le télétravail (un avocat sur place pourrait avoir besoin d’un appui doctrinal, jurisprudentiel sur une thématique précise) à une assistance sur place. ASF publie fréquemment sur son site web des offres d’emploi ou de stage, lesquelles sont également partagées sur les pages « LinkedIn » et « Facebook » d’ASF. Ce que je conseillerais d’abord aux plus jeunes, c’est de devenir membre d’ASF par une cotisation d’ailleurs symbolique, laquelle permet de recevoir les newsletters et d’être informé des ateliers et des conférences mais aussi, pour ceux qui le souhaitent, d’intégrer l’ILN.
AA : En guise de conclusion, quel enseignement tires-tu de toutes ces années d’investissement ? Quelles ont été tes motivations à poursuivre ton engagement ?
JMV : En visitant certains pays et en constatant les difficultés quotidiennes des justiciables et des professionnels de la justice, mon engagement m’a permis de prendre la distance et le recul nécessaires pour dépasser certains débats dans mon métier d’avocat et de « lever le nez du guidon » de la profession. Je trouve que les projets d’ASF sont fantastiques, l’équipe est dynamique, s’investit « à 100 % » et est riche des personnalités qui la compose. Au sein du CA, les réunions se font généralement à raison d’une fois par mois et parfois plus si nécessaire. Une dynamique est aujourd’hui créée afin d’accueillir de jeunes nouveaux administrateurs. Je suis pour ma part un des plus anciens d’ASF. Les membres d’ASF proviennent de tous horizons et c’est ça qui est également fort intéressant, « ce mélange de cultures qui est vraiment salutaire ».
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Vous êtes volontaires ? Rejoignez l’équipe d’ASF pour des missions adaptées à votre profil par le biais de l’International Legal Network (ILN)[5]. Parce qu’un vent de solidarité se fait sentir encore aujourd’hui …Engagez-vous !
« Pour que chacun puisse avoir accès à la Justice »
Propos recueillis par Amélie ADAM
[1] Voyez les statuts de l’ASBL, disponible en ligne sur https://www.asf.be/wp-content/uploads/2015/08/ASF_StatutsCoordonn--s_2015_FR.pdf
[2] Pour découvrir les missions d’ASF et son historique, voyez https://www.asf.be/fr. Pour consulter son dernier rapport : https://asf.be/wp-content/uploads/2017/07/ASF_AnnualReport2016_FR-EN-NL.pdf
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