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Rencontre avec M. Robert Waxweiler, Président des juges de paix et de police
CH : Monsieur le Président, vous êtes originaire de Liège et avez étudié dans la cité ardente. Pourriez-vous décrire votre parcours professionnel en quelques mots ?
RW : Après avoir pratiqué le métier d’avocat pendant plusieurs années, j’ai exercé la fonction de Substitut du Procureur du Roi, de 1983 à 1986. Ensuite, à partir de 1986, j’ai siégé comme Juge de paix du deuxième canton de Liège jusqu’à ma nomination comme Président des juges de paix et de police, en novembre 2017.
CH : Comment vous êtes-vous préparé à exercer cette nouvelle fonction ?
RW : Initialement, je n’étais pas convaincu de l’efficacité de la loi qui a réformé le paysage judiciaire et qui a créé la fonction de Président des Juges de paix et de police. Je n’étais pas convaincu de l’utilité et de la pertinence de cette réforme. C’est en voyant fonctionner Thierry PAPART et en constatant les résultats qu’il obtenait que j’ai radicalement changé d’avis.
J’étais donc initialement plutôt opposé à cette réforme. Je trouvais que les choses fonctionnaient bien en l’état, que les justices de paix et les trois tribunaux de police de l’arrondissement - qui sont devenus les trois divisions - fonctionnaient en harmonie.
Thierry m’a ouvert les yeux et j’ai compris que, finalement, il y avait moyen d’uniformiser les procédures, d’harmoniser les processus de travail et de faire que les magistrats communiquent davantage. J’ai donc réellement changé d’optique, et j’ai aperçu dans cette fonction une utilité et un attrait.
Puis, il est arrivé ce qui est arrivé à Thierry. Passant d’un extrême à l’autre, j’ai envisagé de prendre la relève. Il y a donc eu un passage de réticence, ou même de résistance, à une totale adhésion. J’en suis arrivé à être convaincu de l’utilité de la fonction et du travail positif à effectuer.
CH : La suppression de certains cantons de justice de paix a été annoncée. Comment comptez-vous gérer cette réforme ? Comment comptez-vous pallier les éventuelles difficultés que ce changement pourrait engendrer ?
RW : Dans ce processus de suppression, il y a une phase qui a déjà été concrétisée, c’est la phase 2 : la suppression des justices de paix à sièges multiples. Pour Liège c’est la suppression des sièges de Stavelot et Malmedy avec retour à Spa ; c’est la suppression du siège de Herve avec retour à Verviers et c’est la suppression du siège d’Aubel avec retour à Limbourg. Il s’agissait donc de supprimer les sièges « surnuméraires », comme dit le ministre. Suppression d’une justice de proximité géographique, en tout cas.
Cette suppression de justice de proximité géographique va s’aggraver avec la phase 3 du processus qui vise le découpage des cantons. La loi est votée et va entrer en application à partir de 2018, petit à petit par arrêtés royaux. Le but est d’arriver (c’est un objectif essentiel pour le ministre) à la suppression de deux sièges : Hamoir et Saint-Nicolas. Là aussi, il en découlera une diminution de la proximité géographique avec le justiciable.
J’ai toujours pensé que la justice de paix était une justice de paix de proximité et que cette proximité était, notamment, géographique. Ces réformes-là, on n’y changera plus rien, elles sont engagées. Il faut parvenir à compenser les effets que j’estime négatifs via d’autres mesures. Il faut rapprocher le justiciable des justices de paix par d’autres moyens. Par exemple, pour faciliter le rapport du justiciable avec les différentes justices de paix, il faudrait mettre en place des formulaires uniques et des procédures harmonisées.
Il est aussi indispensable de donner plus d’informations au justiciable. Je me suis, en effet, aperçu que, dans des procédures que l’on peut considérer comme simples, comme par exemple les administrations de biens, les justiciables sont fort peu informés de leur déroulement et des conséquences exactes. Il faut pourtant parvenir, par différentes campagnes (par des folders, par des informations qui seraient données de manière claire, mais dans les limites légales par les greffes), à rapprocher le justiciable des justices de paix pour compenser cette perte de proximité géographique.
CH : Vous m’avez parlé de procédures harmonisées : de quoi s’agit-il ?
RW : Voici un exemple mais il y en a d’autres. Toutes les justices de paix utilisent, en matière de bail (qui est une des deux grosses compétences des justices de paix), des requêtes totalement différentes. A Liège, dans les trois cantons, les requêtes que nous sommes occupés à harmoniser et à uniformiser, étaient totalement différentes. Si nous parvenions, pour chaque canton, à établir un modèle de requête unique (qu’on pourrait faire circuler), l’accès du justiciable à la justice serait rendu considérablement plus facile. Le justiciable pourrait se rendre dans n’importe quelle justice de paix pour obtenir une requête qu’il pourrait ensuite déposer au greffe du canton concerné.
Il me paraît anormal que des formulaires de base comme ceux-là soient assez différents d’un canton à l’autre. Sur le fond, ces formulaires mentionnent les mêmes questions mais leur présentation peut être très différente, d’une justice de paix à l’autre.
Cette uniformisation – sans toucher à la liberté juridictionnelle, parce que les juges doivent évidemment juger comme ils l’entendent – doit se faire par le biais de groupes de travail.
Il faut arriver à se mettre d’accord avec l’ensemble des juges de paix pour que, dans tel contentieux (électricité ou de consommation d’eau, par exemple), on aboutisse à une condamnation d’un montant calculé de manière identique en principal, à titre de clause pénale, ou d’intérêts. Les justiciables, quelle que soit la justice de paix devant laquelle ils comparaissent, doivent aboutir au même type de décision ou, en tout cas, au même type de décision sur le fond.
CH : Ces dernières années, les réformes de la justice se sont succédées. Cela fait déjà trois ans que le Tribunal de la Famille a été créé. Comment cette réforme, qui a impliqué un glissement de compétences des juges de paix vers le Tribunal de Première Instance, a-t-elle été vécue par vos pairs ?
RW : De manière très variable. J’ai des collègues qui appréciaient les matières familiales, d’autres beaucoup moins. Il n’y a donc pas de généralisation possible, certains ont été très contents de ce transfert et d’être débarrassés d’un contentieux qu’ils n’aimaient pas, d’autres le regrettent. Mon sentiment est qu’il devenait anachronique que le contentieux familial continue à être attribué aux juges de paix en début et en fin de course : en début de course dans les mesures de séparation provisoire et en fin de course concernant les pensions alimentaires et parts contributives.
Je trouve que ce transfert vers le Tribunal de la Famille relève de la cohérence et qu’il était assez étrange que le juge de paix intervienne à deux moments distincts dans le contentieux familial. Mais, je le répète, il y a des collègues qui appréciaient ce contentieux car il relevait de la justice de proximité. Pour eux, il est dommage que ces matières échappent désormais au juge de paix.
Avec le recul, je pense cependant que le Tribunal de la Famille fait très bien son boulot et que le chemin inverse ne se fera pas. Le système est devenu cohérent. Ceux qui regrettaient le départ de ce contentieux n’en demandent d’ailleurs pas le retour.
CH : Selon vous, les différentes réformes de la justice qui sont en œuvre vont-elles dans un sens favorable ? On reproche parfois au ministre d’aller un peu trop vite ; quel est votre avis ?
RW : La plupart des réformes du ministre me paraissent dictées par des objectifs budgétaires. On voit très peu, que ce soit dans la suppression des sièges que j’ai évoquée ou dans le découpage des cantons, transparaître l’intérêt du justiciable ou une répartition logique de la charge de travail. On voit uniquement des mesures budgétaires, qui consistent à supprimer un certain nombre de magistrats ou de greffiers.
Il y a cependant des réformes techniques qui sont cohérentes. Mais je crains que la volonté de rationalisation des justices de paix (moins du tribunal de police mais des justices de paix surtout) ne soit pas dictée par l’intérêt du justiciable mais uniquement par des soucis budgétaires.
CH : On parle de la modification à venir des compétences du juge de paix (taux de ressort, arrivée du règlement collectif de dettes etc.) Comment voyez-vous les choses ?
RW : L’augmentation de la compétence générale des juges de paix de 2.500,00 € à 5.000,00 € est, en effet, envisagée. En soi, cette augmentation n’est pas illogique. L’augmentation du contentieux risque, par contre, d’être importante. Il n’y aura pas nécessairement plus de dossiers, mais ils seront plus complexes.
Augmenter le plafond de la compétence générale à 5.000,00 € impliquerait probablement que bon nombre de petits dossiers de construction relèveraient de notre compétence. Ceci impliquerait inévitablement un alourdissement de la charge de travail, sans aucune compensation sur le plan du personnel. Ce projet de réforme n’est néanmoins pas éminemment critiquable en soi.
D’autres projets du ministre ne se sont pas encore concrétisés, tel que le transfert du règlement collectif de dettes. Le ministre a d’abord annoncé que ce transfert interviendrait dans le courant de cette législature, pour finir par indiquer que cela se concrétiserait probablement plutôt lors de la législature suivante ou même ne se concrétiserait pas.
Les positions des juridictions se sont clarifiées : les juridictions du travail ne sont plus du tout demanderesses d’abandonner ce contentieux et plus aucun président des juges de paix et de police n’est demandeur d’un transfert, du moins sans modification en profondeur des structures.
L’argument qui avait séduit certains était l’argument de proximité : puisque qu’on traite les administrations de biens, pourquoi ne pas traiter les règlements collectifs de dettes aussi ?
Cet argument-là pourrait tenir la route s’il y avait, corrélativement, une augmentation du nombre de magistrats et une augmentation du personnel (autrement formulé : si le personnel qui s’occupe actuellement de ces matières-là dans les tribunaux du travail était transféré vers les justices de paix). Mais cela pourrait entraîner d’autres conséquences lourdes pour le Tribunal du Travail. Si ce contentieux devait échapper au Tribunal du Travail, une crainte pour son existence même ne pourrait être exclue.
Quant aux modifications de compétence, à part le RCD et la compétence générale, il me semble que le ministre n’ait pas d’autres projets de réforme en vue.
CH : Vous êtes devenu l’autorité disciplinaire de l’ensemble des juges de paix et de police de la Province. Entendez-vous harmoniser certaines procédures ou pratiques de ces magistrats ? Le cas échéant, comment entendez-vous procéder, tout en leur permettant de conserver leur liberté de pensée et de rendre la justice ?
RW : L’équilibre est difficile à préserver. La liberté juridictionnelle doit être absolue, évidemment. Mais nous devons également viser l’efficacité.
Je crois qu’on n’arrivera à résoudre ce qui peut paraître comme un paradoxe que par la création de groupes de travail, que par l’association d’un maximum de magistrats à réfléchir en commun à des solutions.
Imposer ne rimerait à rien. Ces groupes de travail, composés des magistrats (qui sont demandeurs d’y participer), ont déjà fonctionné ainsi par le passé. Certains ont déjà recommencé à travailler. Essentiellement, il s’agirait de groupes de travail pour le contentieux de masse (les contentieux pour l’électricité, consommation de gaz, téléphonie, eau) et pour les incapacités (pour se mettre d’accord sur des ordonnances- type en matière de traitements, de l’administration de biens ou de la personne, par exemple).
Il y a un groupe de travail qui va tenter d’objectiver la charge de travail dans les différentes justices de paix et dans les différentes divisions des tribunaux de police. Si nous arrivons à trouver un instrument de mesure de la charge de travail, cela devrait permettre de favoriser une mobilité entre les justices de paix et les divisions du tribunal de police et donc de répartir plus équitablement cette charge. Une fois qu’elle serait répartie plus équitablement, les différents juges de paix seraient confrontés à un volume de dossiers plus ou moins identique à traiter. Ils pourraient les traiter avec suffisamment de temps et donc avec une attention accrue.
CH : Quels sont, selon vous, les grands défis actuels auxquels les juges de paix et de police sont confrontés ?
RW : Il existe un défi général, je crois : c’est arriver à ce que les justices de paix et les divisions des tribunaux de police par arrondissement constituent une véritable entité. Il faut créer un esprit commun de juridiction. Ce n’est pas encore le cas pour le moment. L’entité « justice de paix/tribunal de police » doit devenir une véritable juridiction comme les autres et doit fonctionner d’une manière harmonieuse, avec un dialogue permanent en son sein mais aussi avec une mobilité entre les différentes juridictions au sein de l’entité.
Je crois que le gros défi, c’est ça : que l’ensemble des collègues acceptent de faire partie de cette même juridiction et travaillent avec les mêmes impulsions et la même dynamique.
CH : Je vous remercie, Monsieur le Président.
Propos recueillis par Claire HAZEE
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