N’en jetez plus !

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JARI !

Je craque !

Je suis souvent chagriné de la phraséologie des avocats.

A mon estime (le mot est choisi), un avocat est un professionnel du langage.

S’il rend la parole pour un autre, c’est parce qu’il va être plus clair que celui-ci. Il pourra expliquer avec toute la limpidité requise sa situation, ses arguments, ce qu’il souhaite et ce qu’il ne veut pas.

En principe …

Je n’entends pas fustiger ici les mots qu’il utilise en ce qu’ils paraissent relever du jargon car son rôle est aussi de traduire en termes juridiques ce que son client lui expose en langage commun.

Lorsqu’un médecin parle de spondylolyse, je suis bien obligé de le croire sur parole, tout comme quand mon garagiste tente (vainement) de m’expliquer « ce qui ne va pas » dans mon moteur.

Si je suis curieux, je pourrai toujours tenter de comprendre ce qu’ils m’ont dit, l’un et l’autre, grâce à un dictionnaire (spécialisé) !

Pour la terminologie, je concède quand même que je suis vite crispé quand un informaticien prétend m’expliquer comment me servir de mon ordinateur et utilise à cet effet des termes dont il espère qu’ils vont m’impressionner sur ses hautes connaissances et qui, en réalité, ne signifient pas ce qu’il croit.

Faire un choix, même avec une souris, ce n’est pas « saisir une requête » !

Je pourrais donner cent autres exemples des dérives langagières de ces nombreux « professionnels » mais je souhaite m’en tenir ici à ma détestation de l’utilisation abusive, par des avocats de tout poil, de mots prétentieux et souvent mal appropriés.

Leurs sentences ne sont-elles pas à l’origine du fait que le sacro-saint « grand public » nous tient souvent pour des personnages suffisants, voire arrogants ?

En relisant dans la JLMB quelques chroniques d’un maître, Paul MARTENS, on perçoit vite que la simplicité du langage et sa clarté ne ternissent aucunement la brillante intelligence du propos !

Il fut une époque où, bien que réfractaire au droit administratif, je me suis délecté de ses commentaires d’arrêts du Conseil d’Etat … Je ne comprenais souvent ces derniers qu’après l’avoir lu, lui.

Je ne me considère pas comme ressortissant (et non ressortant, comme on le lit souvent) à la catégorie des ombrageux puristes et des formalistes chicaneurs en suppliant ici mes pairs d’expurger leurs textes de leurs anglicismes inutiles et autres formules à la mode (souvent empruntées à la publicité ou au sabir journalistique), bref de toutes les pédanteries qui polluent leurs commentaires.

Quand un jeune avocat m’assène un avantageux « Vous n’êtes pas sans ignorer », je l’excuse d’ainsi dire juste l’inverse de sa pensée : il a choisi une formulation qu’il maîtrise mal, sans doute pour se donner des airs solennels, et au demeurant je soupçonne souvent son patron de l’avoir inspiré.

Je voudrais au passage lui dire quand même, à lui aussi, qu’il est superflu de vouloir compenser sa jeunesse par un ton affecté mais ce n’est pas lui non plus que je tiens à prendre pour cible ici.

Tant qu’à faire de m’énerver un peu, me fondant sur l’adage qui veut que l’exemple doit venir d’en haut, je choisirai comme victime … le Président de l’OBFG.

À titre d’exemple, le 21 septembre 2017, voulant attirer notre attention sur la sempiternelle « révolution numérique » (dont on nous rebat les oreilles depuis 30 ans), notre Président ne fut en effet pas avare en expressions et termes … agaçants.

Il faut dire que son « Mot du Président », une fois n’est pas coutume, arrivait en deuxième place dans la Tribune.

Il suivait un courrier enthousiaste de six jeunes avocats du Barreau de Bruxelles nous donnant des nouvelles de « l’incubateur » (une couveuse, quoi ?) en agrémentant leur laïus de tournures soufflées comme :

-          Comme annoncé « durant » la Tribune du 30 juin ;

-          L’incubateur vise à placer l’avocat au cœur de l’innovation ;

-          Le digital est une vague irrésistible qui impacte tous les secteurs de la société ;

-          Repartir avec des next steps concrets ;

-          Faire cohabiter les LegalTech ;

-          Permettre aux avocats qui « lancent leur pratique » ;

-          Nous relayerons régulièrement « de » l’information, etc.

En bref : au-delà des slogans emphatiques, il me paraît que l’insertion à toute force de mots anglais pour faire « hype » n’est pas un « must », en sorte que les LegalTech, next steps et autres business models paraissaient évitables.

Quand on ne trouve pas de traduction à un mot anglais, c’est souvent qu’on n’est pas sûr du sens à lui donner. Au demeurant, au substantif anglomane, on trouve les synonymes xénophile et … snob.

De même, l’irritant impact que nous servent en tic verbal tous les médias était franchement superflu et l’inexistant verbe impacter est lui aussi assommant et médiocre. Plus rien ni personne n’est atteint, touché, influencé, marqué, contaminé, frappé (de plein fouet ou non), ému, bouleversé, choqué, déstabilisé, retourné ou altéré : tout est définitivement « impacté » !

Enfin, qu’on lance un moteur ou une mode ou qu’on se lance en politique, ça paraît envisageable mais qu’on lance sa pratique, c’est presque libidineux.

Sans doute galvanisé par ce langage qu’il a peut-être trouvé inventif, le Président s’est engouffré dans la brèche et a associé dans une même phrase deux qualificatifs malencontreux : digital et profond … !

Entraîné par la fougue de ses cadets, il nous ressert un impact de bon aloi, semble céder au modernisme à tout prix en voulant discuter « des nouveaux modèles des liens avocat-client » - c’est, au moins, mystérieux ! -  et ne peut s’empêcher de nous proposer des ateliers (ndr : protégés ou maçonniques ? Car à défaut, on se demande qui y tient le rôle de l’artiste) … participatifs !

Alors celui-là (l’adjectif supposé), vraiment, je souhaiterais le voir rejoindre, à la décharge, le collaboratif dont on nous inonde (aussi) en prétendant réinventer l’eau tiède : l’un et l’autre sont absents de tout dictionnaire digne de ce nom et ils boursouflent sérieusement la rhétorique de leurs fervents usagers.

Je voudrais aussi (mais je sais que c’est un vœu pieux) qu’on cesse de nous abreuver de notre supposée expertise et qu’on laisse ce mot à sa juste place, celle de la procédure par laquelle on confie à un véritable connaisseur le soin de donner son avis technique, que cette expertise soit judiciaire, amiable, médicale ou psychiatrique.

L’ensemble des connaissances concrètes acquises par l’usage et développées par la pratique se dénomme (tout bêtement ?) l’expérience et, contrairement à une idée manifestement répandue, utiliser le vocable exact me semble plus efficace que ringard !

Je dois néanmoins à l’honnêteté intellectuelle de reconnaître que, cette fois (la Tribune de septembre 2017) - car ce n’est pas toujours le cas, doux euphémisme -, on a certes inventé des mots et abusé d’expressions mais on n’a pas torturé l’orthographe.

Ayant lu (par exemple) un compte rendu de la Rentrée de Namur 2017 de la Tribune n° 111, j’avais déjà préparé un petit mot acide qui épinglait notamment :

« L’humour et la cocasse se disputent alors la place de l’inédit », ça ne veut rien dire. Même si on considère que LA cocasse est une bête faute de frappe…

Je passe rapidement sur le fait que l’auteur ne semble pas vouloir s’encombrer de la concordance des temps : est-ce que ça intéresse encore quelqu’un ?

Je note au passage qu’avoir eu peu de temps pour se préparer se dit ici « les défections laissent une réalité de calendrier congrue » … !

Quand on y ajoute que « l’angoisse du vide et du néant laisse évoquer les sujets les plus farfelus », on a carrément la trouille.

Des formules comme « la force de l’avocat en son prétoire » relèvent (pour moi) de la poésie de Colruyt mais s’oublient rapidement lorsque des questions essentielles sont posées ; à titre d’exemple : « La recherche de la vérité serait-elle au prix de la confrontation des arguments ? ». Fortiche !

Je vous abandonne à l’une de ses dernières réflexions : « Je sais que l’investissement du plus grand nombre et l’honneur fait par la tradition sera saisi l’an prochain ».

Est-ce bien raisonnable ?

À cette autre occasion de m’inquiéter de l’usage de la langue française, je concluais quasi « amitieusement » ainsi : « Je vous en conjure, sans académisme exagéré : il faut se calmer les gars ! ».

Je clorai ici par une même supplique : « À tous les candidats écrivailleurs (et il s’en trouve hélas quelques-uns - j’en ai d’autres en réserve …), je demande grâce : n’en jetez plus ! ».

Jari LAMBERT

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