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LETTRE OUVERTE / CARTE BLANCHE
Hier, Theo FRANCKEN
Aujourd’hui, Koen GEENS
Renvoyer des étrangers vers leur pays d’origine où les droits fondamentaux sont bafoués ? Direction la Tchétchénie et le Daghestan ?
L’un s’en moque manifestement.
Que fera son collègue ?
Confronté à la question de savoir s’il y a lieu de renvoyer des Soudanais vers Khartoum dans un pays dont le président est poursuivi par la Cour Pénale Internationale, le Secrétaire d’Etat à l’asile et la migration ne se pose manifestement pas trop de questions. Pire, il a même été jusqu’à collaborer avec les autorités soudanaises.
Aujourd’hui, c’est son collègue ministre de la Justice qui doit décider d’extrader deux jeunes russes vers les républiques de Tchétchénie et de Daghestan.
Ils sont réclamés par la Russie qui demande leur extradition du chef de participation à des activités dites terroristes. Ils sont établis en Belgique depuis des années. Tous deux ont introduit une demande d’asile au sujet de laquelle aucune décision n’est encore intervenue.
Jamais ils n’ont été inquiétés par la justice pénale belge.
Pour venir en Belgique, le premier a transité par la Turquie où il a travaillé de façon régulière durant quelque temps. Les autorités russes font valoir qu’il aurait, à ce moment-là, participé à des activités terroristes en Syrie. Aucune preuve concrète n’est fournie à l’appui du mandat d’arrêt décerné à son encontre à ce sujet.
Le second, depuis son arrivée en Belgique, a envoyé un peu d’argent à sa famille et notamment un cousin. Ce cousin est soupçonné d’avoir utilisé cet argent pour rejoindre ensuite la Syrie pour y combattre.
Ces faits justifient ces deux demandes d’extradition.
La situation des Républiques du Nord- Caucase, notamment en Tchétchénie et au Daghestan, est et demeure extrêmement précaire.
Les droits fondamentaux y sont bafoués jour après jour.
Nombre de rapports, parmi lesquels ceux d’Amnesty International, le confirment depuis plusieurs années. Un des organes du Conseil de l’Europe, le CPT (Comité européen pour la prévention de la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants), qui a le pouvoir d’investiguer dans tous les lieux de privation et de liberté et qui est le seul organe à disposer d’un pareil pouvoir, a mené de nombreuses missions et établi autant de rapports. Son dernier rapport, le seul et unique dont les autorités russes ont permis la publication, est accablant, en particulier quant à l’état de la justice pénale en matière de lutte contre le terrorisme[1] (graves et lourds mauvais traitements psychologiques et physiques variés, parmi lesquels de très nombreux cas de torture à l’électricité sur toutes les parties sensibles du corps - dûment constatés du point de vue médico-légal, détentions dans des lieux illégaux, impunité et absence d’enquête en cas de plainte etc.).
Lorsque la Cour d’appel de Liège a été amenée à décider dans les deux dossiers de rendre exécutoires les deux mandats d’arrêt russes en vue de l’extradition des intéressés, la Cour a notamment rappelé que la Russie était partie à la Convention européenne des droits de l’Homme et la réalité de la situation ayant cours dans le Nord-Caucase a été minimisée, voire ignorée. Pire, les juges n’ont pas voulu tenir compte de rapports internationaux dès lors qu’ils étaient rédigés en anglais.
Dans un second temps, la Cour de cassation s’est bornée à dire que, s’agissant d’examiner le détail de la situation dans le Nord-Caucase, ce n’est là que du fait et rien que du fait (fut-ce autant de drames), mais qu’elle ne connait que du droit...
Les deux dossiers sont à présent sur le bureau de Koen GEENS, qui doit décider de prendre ou non un arrêté les renvoyant respectivement vers la Tchétchénie et le Daghestan.
Peut-il ignorer la réalité des régimes politiques qui y ont cours ? Peut-il ignorer la façon dont les droits fondamentaux y sont bafoués ? Peut-il collaborer avec des autorités aussi décriées ?
Somme toute, peut-il faire ce que l’on reproche à son collègue Theo FRANCKEN de faire sans aucun scrupule ?
Il s’impose d’empêcher ces extraditions. Quels que soient les faits reprochés, il s’impose de ne pas renvoyer ces jeunes là où règne un arbitraire qu’ils ont courageusement fui en son temps pour rejoindre la Belgique.
Pour la défense des deux jeunes russes concernés,
leur avocat,
Marc Nève
m.neve@defenso.be
[1] Report to the Russian Government on the visit to the Russian Federation carried out by the European Committee for the Prevention of Torture and Inhuman or Degrading Treatment or Punishment (CPT), CPT/Inf (2013) 41, Strasbourg, 17/12/2013 (disponible via www.cpt.coe.int )
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