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Porte ouverte vers la Magistrature : rencontres avec deux anciennes consœurs, Justine GARZANITI et Justine SELECK
Le 11 septembre 2017, le Conseil supérieur de la Justice (CSJ) publiait son communiqué[1] de presse à l’intitulé accrocheur : « La Justice de demain a besoin de candidats magistrats dès aujourd’hui ».
Vous souhaitez passer la barre ? Concours d’admission au stage judiciaire, examen d’aptitude professionnelle et examen oral d’évaluation sont les trois voies d’accès à la magistrature. Ces épreuves ont un seul et même objectif : évaluer la maturité et la capacité nécessaire du candidat à la fonction de magistrat[2].
Si vous êtes impatients de « passer de l’autre côté », le concours d’admission au stage judiciaire permet aux jeunes juristes, avec au moins 2 ans d’expérience, de présenter une épreuve écrite puis orale en matière soit civile, soit pénale. Cette « voie d’accès indirecte » à la magistrature mènera ensuite le lauréat du concours à entamer un stage judiciaire de désormais 2 ans, à l’issue duquel, dans l’hypothèse d’une évaluation positive, un certificat de réussite sera délivré. Les candidatures pourront alors être lancées.
L’examen d’aptitude professionnel permet, quant à lui, une « voie d’accès directe » à la magistrature et s’adresse aux juristes comptant à tout le moins 4 ans d’expérience juridique. Il comporte une partie écrite et orale mais peut s’exercer en matière civile, pénale ou sociale. La réussite de l’examen conduira le lauréat (5 ans d’expérience exigée pour le parquet et 10 ans de barreau ou 12 ans d’expérience juridique pour le siège), à directement postuler à une place vacante de magistrat.
Fort d’une longue carrière au Barreau ? L’examen oral d’évaluation offre la possibilité aux avocats présentant au moins 20 ans d’expérience de directement postuler à une place vacante de magistrat.
Sujet brulant d’actualité, puisque nous sommes au lendemain de l’épreuve écrite du concours d’admission au stage judiciaire, qui s’est déroulée ce 2 décembre, et à l’aube du prochain appel aux candidats pour l’examen d’aptitude professionnelle (15 décembre).
Nous avons interrogé deux anciennes avocates au Barreau de LIEGE, Justine GARZANITI et Justine SELECK, sur leur parcours professionnel. Elles ont décidé de passer la barre et réalisent actuellement leur stage judiciaire. Elles nous livrent leur expérience.
Interview de Justine GARZANITI, qui a passé le concours en matière civile
AA (Amélie Adam) : Pourrais-tu, Justine, nous rappeler ton parcours ?
JG (Justine GARZANITI) : Après des études de philosophie et un master complémentaire en philosophie du droit, j’ai entamé des études de droit. Je me suis ensuite inscrite au barreau en 2010. Avocate pendant 5 ans, j’ai passé le concours dans le courant de la 5ème année. J’ai alors commencé le stage judiciaire en 2015.
AA : Quelles ont été tes motivations à te présenter au concours ?
JG : J’aimais beaucoup faire du droit mais le statut d’indépendant ainsi que l’insécurité financière étaient assez pesants. Je ne souhaitais pas vivre dans un environnement incertain professionnellement et j’avais envie de plus de stabilité. Une bonne manière selon moi de poursuivre ce travail juridique tout en bénéficiant d’un meilleur statut était de passer de l’autre côté. J’avais, en tant qu’avocate, l’impression à la fois de courir mais d’attendre tout le temps. Je suis cependant contente de ce passage car j’ai pu me rendre compte des difficultés du métier et comprendre les contraintes auxquelles l’avocat est soumis.
AA : Aurais-tu des conseils à donner à nos confrères qui passent le concours ?
JG : Bien se préparer est évidemment une condition essentielle. Au-delà de la révision des fondamentaux du droit civil, soit la procédure civile et la théorie générale des obligations, il faut veiller aux actualités législatives ainsi qu’aux nombreuses modifications. Celles-ci font l’objet d’interrogations à la fois à l’occasion de l’épreuve écrite mais également orale. Le métier de magistrat n’étant pas le même que celui de l’avocat, on ne doit pas être attentif aux mêmes choses.
AA : Pourrais-tu nous dire comment appréhender au mieux la question sociétale ?
JG : C’est, selon moi, le fruit de la réflexion de son propre parcours. Chacun a un contact avec le milieu judiciaire et l’on finit par avoir sa réflexion personnelle sur les choses qui vont et celles qui ne vont pas. C’est aussi avoir du recul. Je crois que cette question est faite pour attirer notre attention sur le fait que le droit ne doit pas être appliqué de manière « bête et méchante » et qu’il faut donner un sens à ce que l’on fait.
AA : Au niveau des stages que tu as pu réaliser, par où es-tu passée ?
JG : Pour le ministère public, je suis allée à l’auditorat du travail. C’était un univers que je ne connaissais pas comme avocate et j’en ai été très contente. Ce que j’ai beaucoup apprécié, c’était la possibilité que j’avais de pouvoir faire à la fois du civil et du pénal. L’ambiance de travail ainsi que l’équipe étaient de plus très agréables.
J’ai également eu 6 mois de stages extérieurs. Je suis allée visiter, dans ce cadre, toute une série d’institutions qui sont partenaires du monde judiciaire (services d’enquête, postes de police, ONEM, CPAS) ainsi que des centres d’exécution (prison de LANTIN, ASBL proposant des procédures alternatives, maison de justice et huissiers de justice). Je me suis également rendue à GENEVE, à l’Organisation Internationale du Travail. J’ai, à cette occasion, pu voir la manière dont se négociaient les conventions internationales. C’est un travail plus en amont mais il est néanmoins très intéressant de voir cette étape de la négociation de la norme. Ces stages extérieurs permettent, selon moi, d’avoir un regard beaucoup plus large que simplement ce qui se passe à l’intérieur du palais. C’est extrêmement enrichissant de se rendre compte des différents intervenants et univers de travail tout en se rappelant que l’on s’inscrit dans un processus. C’est, en effet, important de comprendre comment les différents acteurs ont travaillé avant que l’on intervienne mais aussi de rendre des décisions appropriées pour ceux qui vont nous suivre.
Je suis ensuite arrivée au Tribunal de Première Instance de LIEGE, en juillet. Je suis tout d’abord passée par le Greffe et suis maintenant en audience. J’en suis très contente. Je trouve que c’est important d’être encadré avant de commencer. Mes maîtres de stages sont de grande qualité et de surcroît très disponibles. C’est pour moi encore très neuf mais ce que j’ai vu, me conforte dans le choix que j’ai fait. Je trouve que c’est très intéressant de pouvoir suivre différents juges et voir leurs manières de travailler. Bien qu’il existe évidemment une tendance majoritaire, ils ne font pas tous exactement la même chose, dans ce qui retient leur attention, dans la manière de rédiger. C’est donc bien d’avoir vu comment d’autres travaillaient pour choisir ce qui nous correspond le mieux. Je n’aurais pas voulu faire l’examen et puis être directement « lancée dans l’arène ».
AA : Comment vois-tu le magistrat et quels sont, selon toi, les défis qu’il doit relever :
JG : De ce que j’ai vu par rapport à la fonction de juger : être à l’écoute, être indépendant et rester humble. On exerce des fonctions importantes. Il faut prendre des décisions justes, de manière correctement motivée. Mais nous n’avons pas de statut au-delà de celui de trancher un dossier. Ce sont à mon sens les principales qualités de la fonction de juger. Le défi à relever est de veiller à ce que chacun puisse s’exprimer, de préserver son indépendance et de décider en toute impartialité.
Interview de Justine SELECK, qui a passé le concours en matière pénale
AA (Amélie Adam) : Justine, pourrais-tu nous rappeler ta trajectoire étudiante et professionnelle ?
JS (Justine SELECK) : Après un master à finalité droit pénal à l’ULg et un master complémentaire en droit fiscal à l’ULg-HEC, c’est au cours de ma 4ème année au Barreau que j’ai passé le concours d’admission au stage judiciaire. Un certificat universitaire en criminalistique, psychiatrie judiciaire et médecine légale à l’ULB m’a notamment permis d’envisager les différentes formes du phénomène criminel.
AA : Quelles ont été les raisons qui t’ont convaincue à présenter le concours ?
JS : J’ai toujours eu envie de travailler dans le milieu judiciaire et plus particulièrement en matière pénale. J’ai également participé à l’activité « Passons la Barre », qui fut pour moi une expérience assez révélatrice du déroulement du procès, qui a renforcé mon envie de passer de l’autre côté. J’encourage tous les avocats à la tenter, même ceux qui ne sont pas intéressés par la magistrature, car elle leur permettra à tout le moins de mieux cerner les attentes du juge et les contours du rôle de l’avocat. Le métier d’avocat reste associé à des considérations et à des besoins financiers ; une optique de rentabilité et de concurrence que je n’avais pas envie d’adopter. Il s’agit cependant d’une expérience très enrichissante et je souhaite la porter en moi tout au long de ma carrière de magistrat.
AA : Comment as-tu préparé le concours ? Pourrais-tu donner quelques conseils à nos confrères dans la manière de le préparer ?
JS : Depuis la réforme, on ne peut s’inscrire au concours d’admission au stage judiciaire que 5 fois ; le nombre de chances n’est donc plus illimité. Il s’agit d’une épreuve qui requiert de la préparation, à l’image d’un examen d’université. La réussite du concours demande quand même une connaissance juridique qui dépasse ou diffère de celle que l’on acquiert par la pratique. J’ai pour ma part réétudié le droit pénal général, la procédure pénale et un peu de droit pénal spécial. J’ai également bien préparé mon Code, qui reste notre premier outil de travail. Je me suis mise à jour quant aux nouvelles réformes et aux réformes à venir.
AA : Pourrais-tu nous dire comment appréhender au mieux la question sociétale ?
JS : Outre une connaissance de la société et de l’actualité, il est important de pouvoir s’ouvrir aux milieux et aux problématiques qui nous sont étrangères au quotidien. Pareillement, on ne peut à mon sens travailler au parquet sans disposer d’une vision transversale des questions actuelles telles que la réinsertion, l’état de notre système carcéral, le sens des peines, la gestion des assuétudes, etc. Il faut également connaître et savoir se positionner quant aux réformes envisagées, d’autant plus dans le climat actuel où les réformes se succèdent et où les projets de grande ampleur ressurgissent. Je pense que la lecture de travaux parlementaires, des travaux de certaines associations et organisations telles que l’OIP, le CPT, les rapports de la CEDH, ceux du CSJ, de l’INCC, des revues comme le JT, la Revue de droit pénal et de criminologie aident à se forger une opinion sur ces questions fondamentales.
AA : Qu’as-tu trouvé de plus difficile à l’examen écrit ?
JS : Beaucoup de concentration, une bonne gestion du temps et un esprit de synthèse. Bien que certaines questions au travers du cas puissent mener à des développements de plusieurs pages, il est essentiel de comprendre ce que le CSJ attend : une analyse juridique rigoureuse et des réponses motivées au regard des questions sociétales qui se posent, lesquelles font l’objet d’une question à part entière. La séance d’information dispensée par le CSJ peut d’ailleurs être très éclairante tandis que le Power Point est également disponible en ligne pour ceux qui n’auraient pu s’y rendre.
AA : Comment conçois-tu aujourd’hui ton rôle au Parquet ?
JS : Cela va de la direction à donner à un dossier à la gestion de la politique criminelle en passant par l’enquête. Notre rôle à l’audience est aussi extrêmement important. Il s’agit d’un lieu d’écoute. Une décision qui n’est pas comprise est une décision qui ne pourra être acceptée. Nous avons également un rôle quant à la responsabilisation et à la conscientisation des auteurs, non seulement au travers de la motivation de la peine que l’on est amené à requérir, mais aussi lorsque nous rencontrons les auteurs d’infractions dans les audiences de médiation pénale ou lors de rappels à la loi. Il s’agit alors, non seulement de se faire comprendre, entendre, mais également de laisser à la personne un espace de parole qui me paraît capital afin d’éviter toute frustration dans son chef et en vue de rendre la justice plus accessible. J’ai une vision du système judiciaire différente de celles auxquelles j’ai pu être confrontée lorsque j’étais avocate. Je ne vois ni l’information, ni l’audience publique comme un terrain d’affrontement contre l’avocat de la défense et je ne tiens pas à me présenter comme l’adversaire tout désigné. L’ensemble des acteurs du monde judiciaire œuvrent à un même but : faire en sorte que la décision la plus juste possible soit rendue.
AA : Comment vois-tu ton avenir ?
JS : Au parquet. Durant la première partie de mon stage judiciaire, j’ai découvert nombreux aspects du métier que je ne soupçonnais pas jusqu’alors. J’y ai découvert un environnement de travail ouvert et humain, où l’échange est constamment présent. C’est une profession très dynamique, où l’on est en contact avec de nombreux services extérieurs et qui laisse beaucoup de perspectives d’avenir et de belles opportunités. Je ne me ferme actuellement aucune porte. L’avenir me dira si j’ai un jour envie de passer au siège par exemple. Mais, à l’heure actuelle, j’ai vraiment envie de continuer à m’épanouir dans ce métier où j’apprends énormément. Je pourrai aussi être intéressée, plus tard, par le parquet fédéral.
AA : Selon toi, quels sont enfin les défis auxquels le parquet est exposé et comment les relever ?
JS : Il y a de beaux défis à relever, dont le manque de moyens. Je n’ai néanmoins pas envie de tomber ni dans une forme de défaitisme ni dans une forme de fatalisme. J’essaie au quotidien de réserver le meilleur traitement à chaque dossier en m’investissant au maximum et en évitant la systématisation, malgré la masse de dossiers à traiter. Nous avons également un rôle important à jouer pour faire en sorte que la Justice se montre accessible et humaine, voire qu’elle ne le devienne plus encore. Enfin, notre système judiciaire demeure assez méconnu et mal compris. Je crois qu’il serait intéressant également que l’on veille à le faire connaître. Un « Magistrat dans l’école » ?
Propos recueillis par Amélie ADAM
[1] Conseil Supérieur de la Justice, « Communiqué de presse : La Justice de demain a besoin de candidats magistrats dès aujourd’hui », 11/09/2017, disponible en ligne http://www.hrj.be/fr/content/communique-de-presse-la-justice-de-demain-besoin-de-candidats-magistrats-des-aujourd-hui.
[2] Art. 259bis-9 du Code judiciaire.
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