TUNM : pour la paix des non-ménages !

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sarah lemmens

Nombreux sont les confrères qui ont été « invités » par la Ville de Liège à, dans un premier temps, souscrire à une déclaration relative à la taxe urbaine dite « non-ménage » (ci-après, « TUNM ») et, dans un second temps, à consentir au paiement d’une taxe d’un montant forfaitaire de 220 € (voire plus dans certains cas, lorsque la déclaration n’a pas été rentrée ou qu’elle l’a été hors délai ou que le déclarant a, par exemple, marqué son désaccord sur la taxation envisagée).

Le fait générateur de la taxe est l’occupation, au 1er janvier de l’exercice, d’un immeuble ou d’une partie d’immeuble, sur le territoire de la Ville de Liège, aux fins de l’exercice d’une activité commerciale, industrielle ou de service (art. 4 du règlement-taxe du 17 décembre 2014, ci-après « le règlement-taxe »).

Si, initialement, elle ne justifiait cette taxe que par référence à ses besoins financiers, la Ville de Liège a, au gré de l’évolution de la jurisprudence, été contrainte d’étoffer quelque peu sa position : la Ville ajoute à présent que la TUNM constitue une contribution pour l’enlèvement et le traitement des immondices, service assuré par la Ville de Liège dans le cadre de sa mission de salubrité publique.

La plupart, peut-être tous, approuveront cette taxe dans son principe : ceux qui, n’étant pas domiciliés sur le territoire de la Ville de Liège, y exercent une activité génératrice de déchets, bénéficient également du service d’enlèvement des déchets. Il paraît donc juste qu’une contribution soit envisagée, à l’instar de ce qui est prévu pour les ménages.

Là où pointe la discorde, c’est à l’examen des conditions de fond prévues par le règlement-taxe, notamment dans l’hypothèse où un immeuble est affecté, par plusieurs personnes, à l’exercice d’une activité.

En effet, dans le cadre de la profession d’avocat, il n’est pas rare que l’activité soit exercée en groupe (société, associations,…) ou avec l’assistance d’avocats stagiaires et/ou collaborateurs. Le règlement-taxe, en son article 6, appréhende ce cas de figure et précise que la taxe sera alors due « autant de fois…qu’il y a de personnes qui affectent l’immeuble ou la partie d’immeuble concerné à cette activité pour leur propre compte » (nous soulignons).

Et la Ville de Liège de considérer que, dès lors qu’ils sont immatriculés auprès de la Banque-Carrefour des Entreprises, tous les avocats exercent leur activité pour leur propre compte. Ce raisonnement paraît évidemment simpliste quand on sait que la majorité, sinon la totalité, de l’activité exercée par un stagiaire et, dans une moindre mesure peut-être, par un collaborateur, l’est au profit du patron de stage ou du cabinet, tous deux déjà redevables de la taxe. Ainsi donc, une seule et même activité est susceptible de se retrouver doublement imposée.

En outre, comme exposé ci-avant, la partie forfaitaire de la taxe est due dès qu’une activité est exercée sur le territoire de la Ville. N’entrent donc pas en ligne de compte la nature de l’activité exercée, ni ses modalités d’exercice (temps plein ou partiel, seul ou en société, avec ou sans salariés, avec ou sans clientèle personnelle…).

Or, compte tenu de la motivation relative à la production de déchets, ces considérations sont évidemment d’importance. Le règlement-taxe relatif à la TUNM impose donc indistinctement et de manière identique des contribuables ressortissant pourtant à des catégories différentes. Ceci pose évidemment une question sur le plan du principe d’égalité[1]. Pour s’en convaincre, il suffit de relever que :

-          deux avocats, l’un exerçant à temps plein, l’autre à temps partiel, seront soumis au même prélèvement ;

-          un même avocat qui exerce son activité dans un seul bureau, paiera une fois la taxe, alors que, s’il exerce cette même activité dans deux ou trois bureaux, la Ville lui réclamera deux ou trois fois la taxe ;

Dans sa grande générosité, la Ville prévoit également l’octroi, à titre gratuit, de cinq rouleaux de dix unités de sacs poubelles de soixante litres (article 23 du règlement-taxe). D’une part, il est permis de douter du caractère purement gratuit de ce « présent », dès lors qu’il est lié au paiement d’une taxe de 220 €. D’autre part, on ne peut que s’interroger sur la pertinence de l’octroi de sacs poubelles jaunes, destinés, d’après la Ville, à recueillir « tout ce qui ne peut être actuellement recyclé »[2], alors que l’essentiel des déchets générés par l’activité d’avocat, est fait de papiers. Curieuse incitation au recyclage…

En outre, compte tenu de l’objectif poursuivi par la Ville, à savoir solliciter une contribution de ceux qui bénéficient du service d’enlèvement des déchets, l’on peine à comprendre certaines exonérations, dont celles relatives aux ASBL du secteur non marchand, qui ne sont pas soumises à l’impôt des sociétés. En effet, ce type d’ASBL est susceptible d’exercer une activité de services qui génère elle aussi des déchets (peut-être même plus importants que ceux d’un avocat), à l’enlèvement desquels la Ville doit également pourvoir.

Enfin, ceux qui se sont risqués à ne pas rentrer de déclaration ou qui, sur la base de ce qui précède, ont rentré une déclaration en y exprimant leur désaccord, ont été imposés d’office avec, pour conséquence, une majoration, parfois substantielle (de 10 à 200 %), de la taxe à eux réclamée.

Certes, le recours à la procédure de taxation d’office n’est pas laissé à la libre appréciation de la Ville. L’article L3321-6 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation, auquel le règlement-taxe se réfère, contraint en effet l’autorité qui souhaite s’écarter d’une déclaration, à recourir à la procédure d’imposition d’office[3].

On demeure toutefois interpellé par le taux des majorations prévues dans ce cas : 75 et 200 % en cas de deuxième et troisième infractions. Ces montants sont véritablement exorbitants et l’on peut raisonnablement douter qu’ils constituent une sanction proportionnée à l’infraction commise.

Ceci est d’autant plus vrai pour le taux de 200 %, qui sanctionne le redevable  de la même manière que celui qui est animé d’une intention frauduleuse. Il nous paraît heurtant d’assimiler à un fraudeur le confrère qui, tout en respectant des obligations de déclaration, persiste, au gré des exercices, à contester le principe de son assujettissement à la taxe.

* * *

Comme indiqué ci-avant, l’objectif de la Ville de Liège consistant à recueillir les moyens nécessaires au financement de sa politique de salubrité est louable et doit être approuvé. La méthode utilisée est, elle, beaucoup plus contestable puisque source de bon nombre d’inégalités.

La Ville de Liège peine à justifier ces inégalités et fut, pour cette raison, sanctionnée par la Cour d’appel de Liège, dans un arrêt du 10 février 2016[4]. Cet arrêt n’a pas mis fin à la discussion : la Ville de Liège campe sur ses positions et les recours, administratifs et judiciaires, se multiplient. Gageons que cette histoire est loin d’être close.

Dans l’attente d’une solution définitive, certains se demanderont peut-être que faire des sacs jaunes dont ils n’ont aucune utilité. Un conseil avisé : évitez de les jeter à la poubelle…

Sarah Lemmens, avocate au Cabinet Bours et associés

sarah lemmens

[1] Articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

[3] On croit utile d’attirer l’attention sur le fait que cette procédure impose, à l’autorité taxatrice, le respect de formalités, dont l’envoi préalable d’un avis d’imposition d’office. Le non-respect de cette formalité est sanctionné de nullité. Soyez donc attentifs…

[4] Liège, 10 février 2016, RG n° 213/RG/1313, relatif, certes, à un règlement-taxe antérieur mais de même objet.

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