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Rencontres aux Palais : Interview des Bâtonniers de Huy, Verviers et Liège!
Pascal Bertrand, Bâtonnier du Barreau de Huy : « (…) le Barreau doit être impliqué dans la cité, l’avocat est un acteur de justice mais aussi un acteur dans la société. »
François Dembour, Bâtonnier du Barreau de Liège : « (…) le métier d’avocat est individuel, mais il ne peut s’exercer que d’une manière collective.»
Pierre Henry, Bâtonnier du Barreau de Verviers : « Le questionnement sans fin de soi-même et des autres.»
Pourriez-vous vous décrire en quelques mots (âge, lieu de résidence, famille, centres d'intérêts, projets/rêves) ?
Pascal Bertrand (PB) : Je suis né à Huy voici 51 ans et je n’ai pas beaucoup bougé puisque j’y suis encore actuellement domicilié, au centre ville. J’ai entamé l’activité d’avocat en octobre 1989. J’exerce la fonction de Bâtonnier depuis ce mois de septembre 2016. Sur facebook, mon profil serait « en couple ». J’ai deux enfants, Jeanne et Youri.
J’ai toujours un bon livre à portée de main, un roman ou un essai. Je ne peux concevoir une journée sans pouvoir ouvrir à un moment donné un livre… De la même manière, je me passe difficilement de musique, et s’il y a un bon verre de vin pour agrémenter tout ça, ce n’est pas mal non plus. Le vin est aussi un bon moyen de partager un moment de convivialité.
Des projets, des rêves, tout homme en a, du moins je l’espère. S’il fallait résumer et concentrer le propos, je dirais une société plus juste certainement, plus libre et qui replacerait l’humain vraiment au centre de ses préoccupations principales.
François Dembour (FD) : J’ai 55 ans depuis ce 23 octobre 2016. J’habite à Liège, au centre ville. Je suis le quatrième d’une famille de six enfants. Je suis marié et père de Nicolas (25 ans) et de Victoria (23 ans). Mes centres d’intérêts sont le sport sous presque toutes ses déclinaisons, sinon la découverte de régions et d’endroits où l’esprit peut divaguer, pour tendre à la vacance du quotidien. Les projets et les rêves se déclineront sans doute après le bâtonnat qui arrivera plus vite qu’on ne croit : l’intensité du bâtonnat pendant deux ans me donnera peut-être la possibilité d’avoir un peu plus de temps libre l’année prochaine, puisque pendant le bâtonnat j’ai été « obligé » d’organiser mon Cabinet de telle manière que j’y sois beaucoup moins souvent. Avant tout, des retrouvailles et des moments privilégiés avec ma famille, mes amis.
Pierre Henry (PH) : J’ai 47 ans. J’habite à Herve, je suis marié et j’ai deux enfants. Mes autres centres d’intérêts sont le théâtre et la randonnée. Mon rêve ? Demain, un monde meilleur !
Quelle est votre plus grande qualité et votre plus grand défaut ?
PB : Il est toujours difficile de parler de soi. Une qualité – enfin, ce que je pense être une qualité - c’est que dans les fonctions ou les mandats que j’accepte et que j’exerce, mes deux priorités sont l’engagement et l’implication. Je ne fais jamais les choses à reculons. Quand on entame une nouvelle activité, a fortiori celle de Bâtonnier, qui est importante, il faut de l’engagement.
Mon plus grand défaut, c’est qu’en de rares moments, je peux me montrer un peu impétueux. Je tente au mieux de corriger ce défaut.
FD : Ceux-ci sont souvent liés, les côtés pile et face d’une même pièce : la plus grande qualité c’est peut-être d’être intransigeant, sans concession et le grand défaut, c’est peut-être aussi d’être trop intransigeant et de ne pas être assez indulgent.
PH : L’écoute, j’espère et la ponctualité ( le défaut de …).
Quand avez-vous prêté serment ?
PB : Le 30 octobre 1989 dans des conditions un peu particulières puisque j’étais le seul stagiaire à prêter serment ce jour-là. Mon maître de stage n’avait pas pu m’accompagner. Le Bâtonnier de Liège n’avait pas été informé ou en tout cas pas correctement et donc je me suis retrouvé seul devant sans doute le Premier Président de la Cour d’appel. Je ne savais pas trop bien ce que je devais faire et heureusement un avocat expérimenté passait par là et m’a utilement présenté.
FD : Le 25 septembre 1984.
PH : Le 21 septembre 1993.
Pourriez-vous décrire votre environnement de travail (lieu du cabinet, travail solitaire ou en équipe, matières pratiquées) ?
PB : J’exerce dans une petite structure de quelques avocats. Je travaille avec un ancien Bâtonnier du Barreau de Huy, Didier PAIN, depuis pas loin de 20 ans. Le travail d’avocat reste évidemment un travail plutôt individuel, mais j’apprécie le travail en équipe et communiquer avec les collaborateurs. J’aime piloter un dossier jusqu’au bout, je ne délègue pas facilement, ce que j’apprends à faire davantage pour le moment. Je pense qu’il est enrichissant d’avoir des échanges de vue sur les dossiers.
Je pratique pour l’essentiel les matières de droit social et du droit du travail, également le droit disciplinaire de la fonction publique. Comme la plupart des avocats hutois, je reste un avocat généraliste avec des orientations principales.
FD : Mon Cabinet est installé place de Bronckart au numéro 1, et la dénomination du Cabinet est LEODIUM, l’ancien nom latin de LIEGE, ce que beaucoup ignorent. Travail solitaire ou en équipe ? en équipe évidemment.
Dans tout ce que je fais, je privilégie l’équipe, j’apprécie – avec l’âge que j’ai sans doute peut-être – diriger les équipes et j’aime entrainer et, j’espère, tirer « vers le haut ». Au Cabinet nous sommes dix avocats et huit assistantes administratives.
Les matières pratiquées : essentiellement le droit du bail, la copropriété, mais également des mandats judiciaires d’administration de biens et de médiation de dettes, outre d’autres dossiers plus généralistes.
PH : Nous formons une équipe dont le cabinet principal se situe à Verviers, et le secondaire à Liège.
Mes spécialités : la construction et l’urbanisme.
Quelles sont vos implications passées dans l'Ordre ?
PB : J’ai été secrétaire de l’Ordre à deux reprises. Cela m’a plu : d’une part, parce que c’est une manière de participer pleinement aux activités de l’Ordre du Barreau, et d’autre part, parce que, lorsqu’on tient la plume, on est en mesure d’embrasser toutes les matières et compétences qui doivent être gérées par le Conseil de l’Ordre et également par le Bâtonnier.
FD : J’ai été commissaire du Jeune Barreau pendant quatre ans et notamment trésorier (à une autre époque : c’était bien plus facile !). J’ai également exercé la fonction de Président du BAJ au début des années 2000. J’ai été Président du football club barreau, j’y tiens beaucoup. Enfin, j’ai été membre de multiples commissions et, avant cette année 2016-2017, membre du Conseil de l’Ordre à cinq reprises.
PH : J’ai présidé la commission Jeunesse, puis le BAJ et la CAJ. J’ai également été conseiller de l’Ordre.
Quel est, selon vous, le principal défi de la profession pour les prochaines années ?
PB : C’est certainement le passage au numérique. Je pense que la profession est entrée avec retard dans ce 21ème siècle technologique. Il ne faut pas rater ce train-là, c’est un train à grande vitesse A défaut, nous risquons d’être sérieusement retardés dans l’évolution de la profession et on sait tout de même que l’environnement économique se fait de plus en plus concurrentiel, notamment avec l’apparition des plateformes juridiques de marchands de droit juridico-économiques qui effectivement mettent une pression sur la profession.
PH : Mon principal défi sera une meilleure harmonisation vie professionnelle / vie privée…
Pourriez-vous citer une ou plusieurs anectodes ou souvenirs professionnels, ainsi que votre pire expérience professionnelle ?
PB : Je me suis rendu compte que j’avais peu de souvenirs. C’est un métier qu’on exerce toujours un peu en regardant devant soi, on a souvent les yeux plutôt portés vers l’horizon, rarement finalement dans le rétroviseur.
J’ai par contre un souvenir d’une expérience professionnelle vécue difficilement. J’étais jeune avocat à l’époque et le Barreau de Huy avait contesté la réforme du Code judiciaire et souhaitait engager une procédure devant la Cour d’arbitrage. Avec deux autres membres du Barreau de Huy plus expérimentés que moi, nous avons porté ce recours à la demande du Conseil de l’Ordre. C’était une première pour moi et ce fut un beau "challenge". La plaidoirie s’est révélée difficile devant ce panel impressionnant de la Cour d’arbitrage. Il fallait se présenter devant un pupitre avec un micro, j’étais impressionné. On a plaidé tout l’après-midi. Les avocats de l’Etat belge étaient deux avocats liégeois, deux Bâtonniers brillants, Maîtres HANNEQUART et RASIR. Ils ont fait une excellente plaidoirie, sans doute meilleure que la mienne, mais très longue au point que le Président de la Cour d’arbitrage les a ramenés plusieurs fois dans un cadre et un timing plus serrés. Ils ont quand même remporté la manche : la Cour d’arbitrage n’a pas annulé les dispositions modificatives du Code judiciaire.
FD : Je n’ai pas immédiatement – mais ça me reviendra peut-être – d’anecdotes ou de souvenirs professionnels particuliers, je n’ai pour ainsi dire que de bons souvenirs.
Ma pire expérience professionnelle ? J’ai deux très mauvais souvenirs :
- Un de mes confrères avait affirmé à l’audience, comme fait vrai, un fait qui n’était pas vrai. Cela m’a heurté.
- Une fois, une seule fois : avoir eu le sentiment, voire la convication, qu’un jugement était écrit à l’avance et qu’il était même illégal de manière délibérée. C’est arrivé une seule fois mais je m’en souviendrai toujours.
PH : Quelques paroles amusantes prises au vol : « Maître, je ne suis tout de même pas un veau à rien ! » (client poursuivi) – « Madame la Présidente, si votre jugement tient à un détail vestimentaire, je m’exécute immédiatement ! » (confrère au rabat détaché, victime d’une remontrance magistrale).
Une condamnation par la cour d’assises d’un présumé innocent (toujours perçu comme tel …) reste par contre révoltante.
Pourriez-vous décrire votre Barreau (taille, particularité du Barreau, plus grande qualité du Barreau, plus grand défaut du Barreau) ?
PB : Le Barreau compte actuellement 114 membres, stagiaires inclus. Le tableau a cette particularité d’être jeune et féminin. La majorité des avocats compte moins de 40 ans, ce qui lui laisse présager un bel avenir.
La plus grande qualité du Barreau est liéé à cette caractéristique-là. Je le trouve enthousiaste et surtout particulièrement convivial. Nous entretenons de bonnes relations de confraternité. Nous accueillons aussi l’avocat extérieur de manière avenante. Nous avons cette habitude, lorsque l’organisation de la matinée et des audiences le permet, de le convier à la cafétéria. Nous y partageons une grande table. C’est une manière de les rencontrer et je pense que c’est apprécié.
Le plus grand défaut, je ne sais pas si c’est vraiment un défaut, je dirais que c’est plutôt un désavantage, c’est sans doute sa taille et peut-être sa proximité avec un grand Barreau, celui de Liège en l’occurrence. Mais ceci n’empêche pas le Barreau de Huy de pouvoir s’exprimer régionalement et de montrer ses qualités.
FD : Au 1er décembre 2015 ; nous étions 971. La plus grande qualité du Barreau de Liège : il a souvent été précurseur, notamment en droit de la jeunesse, en aide juridique etc. C’est le Barreau de Liège qui avait émis l’idée que l’aide juridique soit dispensée par et pour tous les avocats à une époque où les prodeo, comme on les appelait, étaient « réservés » uniquement aux avocats stagiaires. Le Barreau de Liège avait rendu obligatoire l’aide juridique à tous les avocats, même aux avocats inscrits et, à ce sujet-là, je relis souvent, un article publié dans le Journal des tribunaux (1994, page 480) qui s’intitulait : « L’aide juridique et le BCD, l’expérience du Barreau de Liège ». C’est, pour moi, un article qui illustre mon propos, signé par Guy CLOSON, André DELVAUX, Victor HISSEL, Bénédicte VAN DEN DAELE et Jean-Marc VAN DURME.
Le plus grand défaut de notre Barreau : plutôt que de défaut, je ferai état d’une de ses particularités, c’est d’être – et on comprend bien ce que cela veut dire ici à Liège – un barreau principautaire, ce qui ne « fait pas toujours plaisir ». D’une manière générale, le plus grand défaut du Barreau, au sens général du terme, - et j’ai déjà cité Louis ASSIER ANDRIEU sur le sujet- c’est que? d’une manière générale, les particularismes locaux ruinent beaucoup d’initiatives.
PH : Le Barreau de Verviers compte 135 avocats : une taille humaine. Sa plus grande qualité est probablement sa convivialité, voire la confraternité des membres qui le composent.
Son plus grand défaut serait à mon avis la peur du changement, qui entraîne le repli sur soi.
Quel temps consacrez-vous à la fonction de Bâtonnier ?
PB : Je me rends compte, étant évidemment dans la fonction depuis quelques semaines seulement, qu’on est Bâtonnier 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Le Bâtonnier n’est jamais tout à fait au repos. Le temps consacré est variable de semaine en semaine en fonction de l’agenda du moment, ça peut certainement être de l’ordre d’une vingtaine d’heures en moyenne par semaine.
FD : En rythme de croisière, trois quarts du temps, c’est-à-dire tous les matins au Cabinet du Bâtonnier et en moyenne un après-midi sur deux. Outre la représentation mais surtout au-delà du temps consacré et des heures prestées, que je ne compte évidemment pas, c’est la disponibilité du bâtonnier « 24 heures sur 24 ». Et ça ça ne se compte pas.
PH : J’y consacre environ un mi-temps.
De quelle aide disposez-vous (personnel,structure) pour vous assister ?
PB : Je suis secondé par une secrétaire (qui a une bonne maîtrise du paysage judiciaire et des dossiers) et par un Conseil de l’Ordre que j’implique et qui répond positivement. C’est un plaisir, et aussi un confort puisque je sais que, lorsque je les sollicite, soit individuellement soit collectivement, ils répondent présents.
FD : A Liège, le secrétariat administratif de l’Ordre compte six personnes mais il n’y a pas que l’Ordre, il y a aussi le personnel du Bureau d’Aide Juridique où ils sont six, outre le nouveau directeur du B.A.J. ; à côté , il y a le Cabinet du bâtonnier avec quelques confrères qui viennent régulièrement donner de leur temps, outre les confrères que je peux certainement consulter à tout moment.
PH : Je peux compter sur l’aide très précieuse d’une secrétaire, du conseil de l’Ordre et de courageux volontaires pour les commissions.
Quelle est la raison qui vous a décidé à devenir Bâtonnier ?
PB : Le Barreau et mes pairs m’ont sollicité, je devais répondre présent. Après évidemment un examen de la situation, je ne pouvais pas ne pas rendre au Barreau tout ce qu’il m’a apporté. Je souhaitais peut-être aussi, après 25 ans d’activité, prendre un peu de hauteur et m’impliquer différemment.
FD : Les raisons qui m’ont décidé à devenir bâtonnier : une intuition, comme je l’avais dit lors de mon discours d’investiture le 18 juin 2015, en fait, l’attachement pour l’Ordre était chez moi une réalité et, ce qui m’a décidé à devenir bâtonnier, comme souvent dans ma vie, même si je suis quelqu’un de très organisé, c’est sans doute cette intuition à un moment donné plutôt qu’une raison, parce-que, si j’avais attendu que la raison me décide à devenir bâtonnier, je crois que je ne l’aurais jamais été !
PH : C’est la sollicitation directive mais bienveillante de mon prédécesseur et ami Jean BAIVIER.
Quelle est votre vision du futur de la fonction ?
PB : Sans aucun doute, une plus grande implication encore dans les instances d’AVOCATS.BE. C’est vrai pour le Bâtonnier mais aussi pour le Barreau dans son ensemble. Les commissions et le travail ne manquent pas. Il est de l’intérêt de chacun des Barreaux – et du Barreau de Huy aussi - d’être présent partout où cela est possible. Souvent, on considère qu’AVOCATS.BE est trop distant. AVOCATS.BE doit faire des efforts pour se rapprocher effectivement des avocats de terrain mais, à l’inverse, je pense que les avocats doivent aussi s’impliquer davantage dans AVOCATS.BE.
Je crois aussi que le Barreau doit être impliqué dans la cité, l’avocat est un acteur de justice mais aussi un acteur dans la société. Le Bâtonnier ne doit pas oublier aussi d’être proche des membres de son Barreau. Le Bâtonnier doit être un rassembleur dynamique. Il ne peut laisser personne au bord du chemin. C’est ce que Jean-Pierre BUYLE, président d’AVOCATS.BE, appelle - même si à mon avis il y met d’autres choses - la confraternité solidaire.
FD : Le Bâtonnier, même les Bâtonniers locaux, ont encore un avenir, au contraire des conseils de l’Ordre dans leur configuration actuelle, parce que le futur des fonctions est étroitement lié à l’évolution de la profession et de la structure des Ordres. Autant je pense que les Ordres locaux sont « en fin de vie », autant je pense que le Bâtonnier sera toujours un référent local et un interlocuteur, voire même un confident des avocats qui sont proches de lui.
PH : Le Bâtonnier restera le rouage indispensable du traitement des relations entre les avocats, avec leurs clients et les magistrats.
Pensez-vous que les structures de l'Ordre sont toujours en phase avec les enjeux de la profession ?
PB : Oui je le pense. Les capacités sont là, je pense qu’il faut les développer, il faut les exploiter ; c’est pour cela que j’ai souhaité un Conseil de l’Ordre impliqué, ce qui demande peut-être des efforts de disponibilité, mais, si on veut que les structures soient efficaces et efficientes, il faut qu’elles soient actives.
FD : A Liège, partiellement, car nous pouvons répondre à beaucoup de préoccupations de nos confrères, mais les structures de l’Ordre sont inadaptées, puisqu’elles n’ont pas été modifiées depuis des décennies alors que les Ordres ont perdu leurs compétences règlementaires et disciplinaire.
PH : Une évolution est indispensable. D’une part, pour renforcer les pouvoirs des Ordres communautaires (agissant de concert sur le plan fédéral) leur permettant, par l’uniformisation des pratiques et la mise en commun des moyens, une meilleure défense de la profession et le soutien de son évolution. D’autre part, pour une meilleure adéquation des structures avec la réforme des arrondissements judiciaires (et un contact adapté avec la magistrature). Le tout, sans perdre ni la proximité relationnelle (synonyme de qualité de travail et de cadre de vie), ni l’identité citoyenne (de l’avocat dans la cité). Un vrai défi !
Peuvent-elles défendre la profession de manière adéquate ?
PB : Je continue à le penser, pour autant que l’on favorise une approche plus collective. J’ai le sentiment qu’antérieurement les avocats portaient des revendications de manière individuelle où chacun avait sans doute son point de vue mais sans devenir véritablement une force collective, pas seulement de revendication mais aussi de proposition. On a le sentiment que les réformes qui s’annoncent et celles qui sont déjà mises en place doivent nous conduire à une approche plus collective et plus forte. Je pense qu’AVOCATS.BE va de ce sens-là également et on rejoint quelque part l’autre préoccupation, celle de l’efficacité de l’Ordre local, pour autant évidemment qu’il mobilise les énergies.
FD : Les structures locales, je ne pense pas, plus et pas directement, puisque l’article 495 du code judiciaire donne mission à AVOCATS.BE notamment de veiller à l’honneur, aux droits et aux intérêts professionnels communs de ses membres.
PH : Pas suffisamment actuellement.
Quels sont les principaux défis pour la profession actuellement ?
PB : Le passage au numérique et la transformation de la profession. Nous étions considérés, jusqu’il y a peu, comme une profession libérale. Le Code du droit économique est passé par là. L’avocat est devenu maintenant un acteur économique, ce qui oblige un nouveau paramétrage de l’activité.
Une plus grande professionnalisation sans doute aussi. L’avocat doit reconquérir certainement une partie de ce qui est devenu un marché économique du droit. Il faut donc, pour y parvenir, mieux organiser les cabinets, les professionnaliser davantage, particulièrement les petites structures. Il ne faudra pas non plus laisser au bord du chemin ceux qui travaillent en cabinet unipersonnel compte tenu des défis qui s’annoncent à très court terme.
FD : Je l’ai déjà souvent exprimé par écrit ou dans mes discours depuis mon entrée en fonction ; le défi général : s’adapter, ce qui veut dire se spécialiser, améliorer la qualité de nos prestations, se former, le dire, le faire surtout, s’étendre sans doute, être acteur dans les modes alternatifs de règlement de conflits (médiation, droit collaboratif, arbitrage), acquérir les outils tant dans la gestion d’un cabinet que dans la communication orale et écrite. Il faut également (et c’est un de mes crédos) développer la relation de confiance, c’est un mot clé pour moi. Je relis souvent ce précepte de Léonard DE VINCI : « savoir n’est pas suffisant, nous devons appliquer. Etre prêt n’est pas assez, nous devons agir. »
PH : Compétence et solidarité accrues, notamment pour maîtriser l’outil numérique, et prendre un rôle encore plus actif « d’acteur de Justice » dans la gestion et le règlement des conflits.
Quels sont les principaux défis pour votre Barreau ?
PB : Je dirais que le Barreau de Huy n’échappera évidemment pas au défi de l’ensemble de la profession : le numérique, la formation, le développement de compétences particulières dans les matières plus spécifiques du droit. On sait que la spécialisation est devenue un élément indispensable à un exercice efficace de la profession. Il faudra sans peut-être renoncer totalement à notre approche généraliste, que j’apprécie, se former mieux et davantage, se former de manière plus pointue pour pouvoir rendre un service plus professionnel encore.
Et puis, je pense que l’avocat du Barreau de Huy ne doit pas faire preuve de trop de modestie, il a des capacités, de l’ambition, et de l’enthousiasme.
FD : La réponse à cette question est liée à ma réponse précédente : les défis pour notre Barreau, c’est aussi être à côté des avocats, les accompagner dans cette nécessaire évolution. Permettre à chacun d’entre nous d’évoluer,de « grandir » et de se réaliser dans la transformation de la profession.
PH : Le maintien d’une présence à la fois effective et symbolique de la Justice à Verviers, tant sur le plan matériel que personnel. Le renforcement des relations extérieures dans une perspective d’ouverture et de partenariat (aussi pour des échanges transfrontaliers).
Comment voyez-vous votre Barreau dans 10 ans... et dans 30 ans ?
PB : La question est difficile parce qu’il n’est pas évident de définir quel sera le paysage institutionnel et judiciaire belge dans 10 ans. On parle parfois de régionalisation de la Justice, il est certain que cela bouleverserait l’organisation de la profession et la structure des Ordres. J’espère que, quoiqu’il arrive, les membres du Barreau de Huy pourront s’épanouir pleinement dans la profession malgré les défis qui les attendent. On rend la justice à Huy depuis pratiquement 900 ans, je veux bien résigner pour un bail de même durée.
FD : Dans dix ans, et peut être avant, notre Barreau sera à l’échelle de l’arrondissement. Et dans trente ans : un Ordre wallon ; l’évolution des Barreaux de Bruxelles me paraît assez incertaine, lorsque j’entends certains propos en provenance de notre capitale.
PH : En constante évolution/adaptation en fonction des nécessités de notre profession face aux enjeux politiques, économiques et sociaux.
Tenant compte de la réforme des arrondissements judiciaires, on observe une spécialisation des lieux de Justice et une centralisation vers Liège : comment les avocats situés dans des zones éloignées des lieux de Justice doivent-ils réagir ?
PB : Je pense que les avocats de Huy acceptent de travailler depuis longtemps dans un environnement de plus en plus concurrentiel (sur le plan territorial également). Ils me paraissent suffisamment armés et ils sont en mesure effectivement de répondre aussi à cette modification des zones d’activité professionnelle.
FD : Je considère que l’éloignement des avocats situés à distance des lieux de Justice est un faux problème. Pourquoi ? L’avocat éloigné restera toujours proche d’une clientèle locale, donc il gardera cette spécificité « éloignée ». Et en plus, l’avocat doit s’équiper et utiliser les moyens modernes de communication, ce qui, en principe, ne rend pas obligatoires et nécessaires des déplacements continuels.
PH : Outre une mobilité physique contrainte, les avocats doivent se « mobiliser » pour rappeler l’importance de la proximité des lieux de Justice, tant pour sa qualité humaine que pour l’effectivité de celle-ci, en rappelant également que la mobilité des magistrats (nécessitée par une spécialisation de la Justice) est écologiquement (et économiquement) préférable à celle des justiciables et en assurant des permanences de conseil locales, voire en développant eux-mêmes une justice locale de règlement des conflits (droit collaboratif, médiation, arbitrage).
Cette réforme montre la volonté du Politique de centraliser les lieux de Justice. Qu'en pensez-vous?
PB : Sur la spécialisation des lieux de Justice, pourquoi pas, pour autant qu’il y ait un équilibre évidemment entre les différents lieux de Justice. Il y a je pense des matières qui doivent être pratiquées partout parce qu’elles touchent évidemment le citoyen au plus près; le citoyen doit pouvoir trouver un lieu de Justice de proximité. Cette concentration dans les grands ensembles pose de sérieuses questions quant à l’objectif. L’objectif qui est finalement annoncé à titre principal est essentiellement d’ordre budgétaire et économique. Je ne suis pas convaincu que cette manière de procéder serve les intérêts de la justice et du justiciable.
Je pense que la perte de proximité avec le justiciable, y compris sur le plan territorial, renforce finalement la déshumanisation de la justice. Or, ce que le justiciable souhaite légitimement, c’est une justice proche, accessible, compréhensible. C’est également une revendication que les avocats peuvent porter.
FD : D’une manière générale, même si je n’aime pas être aussi tranché, je dirais que je suis plutôt pour, mais évidemment avec certaines nuances, qu’on pourrait développer dans le cadre d’une interview ou d’un débat. Il y a des économies d’échelle à faire. A titre d’exemple : dans l’organisation des greffes, pourquoi maintenir trois greffes pour trois justices de paix à Liège, dans le même couloir avec, souvent, des pratiques différentes. Pourquoi ne pas créer le « greffe unique », non seulement pour les Justices de paix, mais également pour toutes les juridictions ? D’une manière générale et plus abstraite peut-être faut-il un changement de posture collective. Je suis assez d’accord à ce sujet avec M. MOUGENOT : « la pratique des tribunaux repose beaucoup sur la reproduction des comportements antérieurs, l’obligation de faire table rase du passé de temps en temps pour questionner en pratique et en construire des nouvelles n’est pas une mauvaise chose. ».
PH : On peut comprendre une nécessité de rationalisation des locaux mais des solutions alternatives moins coûteuses existent et devraient être mises à profit pour maintenir une Justice de proximité, dans l’intérêt du justiciable.
Que pensez-vous des réformes pots-pourris, sur le fond et sur la forme ?
PB : Manifestement, presque toutes ces réformes à marche forcée sont exclusivement orientées vers des économies budgétaires qui privent le département de moyens et qui touchent profondément à son efficacité, au détriment d’un réel accès à la justice et du service qui doit être rendu au justiciable et au citoyen. On annonce une série de lois réparatrices, ce qui révèle qu’on a été un peu trop vite et là où les avocats avaient déjà pointé des difficultés, on ne les a pas entendus. On se rend compte maintenant de réelles difficultés. AVOCATS.BE a raison de s’impliquer davantage dans le travail de production législative. Les avocats peuvent se faire entendre et ne doivent pas simplement subir les réformes. Il faut sans doute être plus ambitieux que ça.
FD : D’une manière générale et il faudrait être plus nuancé, mais j’apprécie la politique « volontariste » du ministre de la justice de dépoussiérer certaines pratiques. Je suis d’accord pour qu’on rationnalise la justice ; cela dit, ça ne peut pas se faire n’importe comment. Alors, sur la forme justement, la manière dont ça se passe est une occasion manquée de tenir compte de l’avis des acteurs de terrain, magistrats ou avocats. Je renvoie notamment à ce sujet-là aux propositions formulées par ces acteurs dans le Journal des tribunaux du 7 février 2015. La manière dont ces réformes nous sont imposées consiste à traiter la justice comme une marchandise ou une simple administration gouvernementale. Elle vaut évidemment beaucoup plus. Sur le fond, je suis impatient de retourner dans mon Cabinet pour apprécier au quotidien ce que cela implique. J’ai quand même quelques interpellations :
- Il y a des dispositions regrettables, notamment la disparition des chambres collégiales et ce qu’on a appelé le « retardement de l’appel » qui est vraiment une fausse bonne idée.
- En ce qui concerne la formalisation des conclusions, c’est sans doute une « garantie » d’obtenir de la part du magistrat une réponse à toutes les questions qui sont soulevées. Cela dit, il n’a pas fallu attendre cette réforme pour que les avocats rédigent bien leurs conclusions !
- Je suis tout de même fort intéressé et préoccupé par la suppression virtuelle de la Cour d’assises, surtout après le procès WESTPHAEL, formellement exemplaire.
- Ce qui m’interpelle également, c’est la motivation des actes d’appel au pénal, je ne trouve pas ça a priori nécessaire.
PH : Sur le fond, des considérations de rationalisation et de modernisation bienvenues cachent mal une volonté finalement déterminante de restrictions économiques inacceptables dans une situation déjà très difficile et largement délaissée. Sur la forme, on semble confondre vitesse et précipitation…
Comment voyez vous le principe d'un rapprochement des Barreaux ? Et une éventuelle fusion ? Serait-ce une fin en soi ou bien une étape ?
PB : Au-delà de l’intérêt réel de la question, je ne suis pas certain que ce soit vraiment une priorité. Il me semble que la profession a d’autres défis à rencontrer plus rapidement. Si on devait évoquer devant les assemblées générales des Barreaux respectifs l’idée de cette fusion, je crains qu’une majorité des membres du Barreau la rejette, en tout cas en l’état actuel, notamment pour ce motif-là. Par contre, le rapprochement des points de vue et des pratiques est certainement utile. Les Barreaux de Liège, Verviers et de Huy travaillent dans ce sens-là dans une commission de rapprochement. L’idée est de permettre d’aller au-delà de cet échange et de mettre en place toute une série de zones de convergence. Je pense qu’une harmonisation des pratiques est intéressante, en termes de formation par exemple, peut-être aussi en termes d’organisation des Ordres, et certainement de services aux avocats. Le Barreau de Huy a posé un acte symbolique, c’est de rejoindre l’école du stage de Liège. Il nous a semblé assez naturel aujourd’hui, compte tenu du rapprochement évoqué, de franchir ce pas et d’envoyer nos stagiaires, pour être formés et bien formés, à l’école du stage de Liège. Je crois que c’est un travail qui doit se poursuivre. Les BAJ communiquent également entre eux. Il faut poursuivre dans cette voie.
FD : Je pense que j’ai déjà répondu à cette question, quand vous m’aviez demandé comment je voyais notre Ordre dans dix ans et dans trente ans. Comment voyez-vous le principe d’un rapprochement des Barreaux ? Le principe, c’est de s’en tenir à ce qui a toujours été la structure des Barreaux, c’est-à-dire un Barreau par arrondissement. Donc, pour moi, le principe de la structure du Barreau ,c’est celui-là et donc le rapprochement des Barreaux doit aller dans ce sens-là et on y travaille. L’éventuelle fusion, serait-ce une fin en soi ou une étape ? La réponse est également celle que j’ai donnée : c’est une étape, puisque à l’échelle de l’arrondissement, l’organisation et la structure des Barreaux est trop réduite.
PH : Un rapprochement est toujours souhaitable (partages d’idées, échanges de pratiques, mise en commun de moyens,…) pour évoluer vers une union (plutôt qu’une fusion) porteuse de la nécessaire évolution (et défense) de la profession.
Avez-vous un conseil à donner aux jeunes qui démarrent dans la profession ?
PB : Je pense qu’ils doivent croire dans l’avenir de la profession et pour cela ils devront faire preuve d’engagement sans aucun doute, de persévérance aussi. Ils devront maintenir un haut niveau de formation continue pour atteindre des objectifs professionnels ambitieux. S’ils sous-estiment ces aspects-là, je pense qu’il y aura sans doute des déçus mais, s’ils s’engagent dans la professions, ils doivent le faire pleinement et la réussite peut être au bout du parcours.
FD : C’est une question d’actualité parce que, et c’est vraiment un plaisir que j’ai eu et que j’ai chaque fois qu’il y a des prestations de serment. J’ai eu l’occasion de m’adresser aux stagiaires lors de la prestation de serment du 3 octobre. Mon message en quelques mots, pour les jeunes : travailler bien entendu. Se montrer. S’affirmer. Se former. Je leur ai dit qu’on attendait d’eux de la clairvoyance, de la vigilance devant ce qu’on peut appeler les « dérives » du tout technologique. Etre aussi parfois idéaliste, certes mais avec une forte dose de réalisme. Je leur ai dit également et ça c’est un de mes crédos : le métier d’avocat est individuel, mais il ne peut s’exercer que d’une manière collective. Les années passent vite et bientôt ils auront la charge des destinées de notre belle profession donc je leur conseille de s’engager dans la profession et notamment dans les structures de l’Ordre.
PH : Le questionnement sans fin de soi-même et des autres.
Comment intéresser davantage les avocats à leur Ordre et à AVOCATS.BE ?
PB : Il faut effectivement rapprocher l’avocat de son Ordre et d’AVOCATS.BE et l’effort doit être partagé. AVOCATS.BE doit faire preuve d’une plus grande transparence faire des efforts d’explication et de pédagogie. Tous deux doivent veiller à mieux faire circuler l’information et à intéresser l’avocat aux projets qu’il porte. De son côté, l’avocat doit être plus proactif et plus impliqué et sans doute admettre aussi que, au-delà de son activité personnelle et individuelle, il y a aussi une dimension collective à l’exercice de la profession et que l’intérêt de la profession, c’est aussi d’embrasser tous ces aspects. L’avocat est aussi membre d’une corporation, d’un collectif. Il faut faire donc l’effort d’aller vers ce collectif et vers les instances qui portent les intérêts de la profession.
FD : Toujours via la communication et des projets concrets : si on va dans le concret, les avocats seront intéressés. Par exemple, la carte professionnelle, les formations valorisantes etc.
PH : En les impliquant davantage…par la prise de conscience des enjeux actuels pour l’avenir de notre profession, qui nécessitent des prises de responsabilités au bénéfice de notre collectivité.
Doit-on revoir leurs compétences respectives?
PB : AVOCATS.BE centralise l’essentiel de son activité à Bruxelles, ce qui est légitime. Les Bâtonniers et les Ordres locaux jouent un rôle essentiel dans l’organisation de la profession et la concrétisation des projets qu’il entend porter.
FD : Les compétences, je ne pense pas, parce qu’elles ont déjà été bien définies. Par contre, pour que ces compétences soient exercées effectivement et avec efficacité, et cela va dans la ligne de ce que j’ai dit, il faut que les structures soient modifiées justement pour permettre à chaque Ordre (communautaire ou local) d’exercer ses compétences avec efficacité dans le concret.
PH : La structure et les compétences de l’Ordre communautaire (voire d’un « nouvel Ordre » national et européen) doivent être renforcées, notamment en matière de formation, de contrôle et du développement d’outils numériques performants.
Interview réalisée par Maître Claire Hazée
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