Interview de Natalie VOS de WAEL

Interview

Interview de Natalie VOS de WAEL

Propos recueillis par Claire Hazée

«  (…) pouvoir librement, de manière indépendante ou collégiale, appliquer les règles de droit à un litige sans devoir adopter une vision « partisane » du droit inhérente à la fonction de « défendre ». »


2016-01-25 17.36.18

CH : Pourriez-vous vous décrire en quelques mots : origine, famille, études, parcours, hobbies, etc. ?

NVW : J’ai 50 ans. Je suis liégeoise issue d’une famille de deux enfants, j’ai une sœur de deux ans plus âgée que moi. Je suis en couple et j’ai deux enfants : Louis (20 ans) et Pauline (16 ans).

J’ai fait mes études de droit à l’Université de Liège, et puis un an à la K.U.L. comme élève libre pour apprendre le néerlandais, ce qui fut plus ou moins couronné de succès, mais plutôt moins que plus !! ( j’ai en effet peu pratiqué la langue par après perdant ainsi tous mes acquis…c'est dommage.)

Après cette année à Leuven, j’ai obtenu un premier job à Bruxelles comme juriste dans une entreprise d’interim où je me suis très vite ennuyée. Trois mois après mon engagement, j’ai appris qu’une place de stagiaire se libérait au sein du cabinet d’avocats HANNEQUART & RASIR, je n’ai pas hésité une seule seconde à postuler (car en fait je rêvais de faire le barreau)… et j’ai eu la chance d’être engagée pour travailler en priorité avec Maître Daniel DESSARD. J’ai travaillé à ses côtés pendant 22 ans et c’est lui qui m’a appris le métier d’avocat dans tous ses aspects, et qui m’a formée particulièrement en droit intellectuel, me faisant ainsi découvrir une matière formidable…j’en profite pour le remercier pour tout ce qu’il m’a appris !

Lors de mes dernières années au Barreau, j’ai eu la chance également d’être nommée juge suppléant au tribunal de commerce. J’ai postulé à cette place vacante en vue de conforter mon souhait, déjà sous-jacent,  de devenir magistrat. Cette expérience m’a conduit sans plus aucun doute à passer l’examen de magistrature. Ayant plus de 20 ans de Barreau, j’ai passé l’examen oral que j’ai réussi, et j’ai eu la chance d’être nommée assez rapidement à la place que je convoitais au tribunal de commerce de Liège. J’ai été nommée en avril 2013. La première année, et compte tenu de la mobilité des magistrats, j’ai été affectée à Liège et à Namur. La seconde année à Liège et à Verviers et, depuis la troisième année, je suis affectée à Liège uniquement où je siège en cessation, en  référé et à des audiences de fond. Je suis donc bien occupée mais ce sont des matières passionnantes que je souhaitais obtenir. Je suis  donc extrêmement heureuse de mes fonctions, entourée d’une Présidente et de magistrats (professionnels et consulaires) que j’apprécie beaucoup.

Pour le reste je me consacre à ma famille et j’adore cuisiner, recevoir des amis,  voyager, marcher en montagne et aussi lire un bon livre devant un feu de bois avec un bon verre de vin.

CH : Pourquoi avez-vous choisi de faire des études de droit ?

NVW : Au départ ce n’était pas du tout ma destinée. Je souhaitais être médecin mais, comme je n’étais pas très bonne en math, je n’ai pas osé me lancer dans de telles études. J’ai alors choisi de faire le droit  pour deux raisons. La première c’est que je voulais un métier qui, puisque je ne pouvais pas faire la médecine, restait très humain avec des rapports et des contacts étroits avec les gens. Il me semblait donc que le Barreau était une bonne opportunité à ce niveau-là. Mais je ne connaissais pas d’avocat (mon père était ingénieur et ma sœur aînée une surdouée en math). C’est là qu’est intervenue la seconde raison :  j’ai eu la chance que ma titulaire de rhéto ait demandé à son mari,  Monsieur Pierre Romijn, - qui était à cette époque substitut du Procureur du Roi à Huy- ,  de venir expliquer à notre classe les différents rouages du monde judiciaire. J’ai trouvé ça passionnant et c’est donc naturellement que j’ai entrepris mes études de droit…la perspective de plaider m’excitait et m’a motivée tout au long de mes études.

 

CH : Qu’est-ce qui vous a décidé à changer d’orientation professionnelle, pourquoi vous êtes-vous dirigée vers la magistrature ?

NVW : Riche d’une expérience de plus de 20 ans au sein du barreau de Liège , je nourrissais depuis un certain temps l’envie d’embrasser la carrière de magistrat afin notamment de pouvoir librement, de manière indépendante ou collégiale, appliquer les règles de droit à un litige sans devoir adopter une vision « partisane » du droit inhérente à la fonction de « défendre ». C‘était une liberté à laquelle j’aspirais. Je savais que ce métier me plairait de par mon expérience comme juge suppléant et aussi parce qu’il me maintiendrait dans le milieu judiciaire que je ne voulais en aucun cas quitter. Je souhaitais continuer à avoir des contacts tant avec les avocats qu’avec les justiciables avec l’opportunité en plus de rencontrer le monde des entreprises via les juges consulaires. Cela m’apparaissait être une richesse qui méritait la peine d’être vécue et…. je ne le regrette évidemment pas.

 

CH : Votre vie au quotidien a-t-elle fortement changé depuis lors ? Si oui, ce changement est-il positif ?

N W : Alors oui certainement ! Le changement le plus extraordinaire et le plus appréciable c’est que LE TELEPHONE NE SONNE PLUS !!!!! Cela me permet d’avoir une « zénitude » au travail que je n’avais pas  lorsque j’étais avocat. Quand on est avocat, le téléphone sonne tout le temps, et l’on doit constamment jongler d’un dossier à un autre, passer d’une idée à une autre et fatalement on finit quelques fois par être déconcentré et fatigué. Par contre, lorsqu’on est magistrat, et dans la mesure où on organise son temps comme on veut (mis à part les audiences et les requêtes d’extrême urgence bien entendu), on sait que l’on va pouvoir se consacrer à tel dossier et l’examiner pendant des heures durant en sachant qu’on ne sera pas dérangé et ça c’est un vrai  luxe. Un autre changement très appréciable est qu’il ne faut plus s’occuper du volet financier des dossiers en ayant constamment le souci non seulement de bien travailler mais également « de faire rentrer de l’argent ». C’est un aspect du métier qui me stressait quelque peu et je suis enchantée d’avoir abandonné ce souci.

La pression est différente mais elle existe évidemment toujours compte tenu des enjeux des matières que je traite. Les audiences de référé nous obligent par nature à réagir très vite mais, comme disait toujours Philippe EVRARD « célérité ne vaut précipitation » et il faut veiller à ne pas bâcler au bénéfice de l’urgence.

J’ai pris comme habitude de préparer les dossiers à l’avance afin de prendre connaissance des pièces du dossier quand c’est possible, de comprendre les enjeux pour pouvoir ainsi poser les questions qui m’apparaissent essentielles lors des débats. Je pense pouvoir dire que cette préparation est  vraiment un plus pour moi et me permet d’être plus efficace et de mettre mon caractère pragmatique au service de l’audience en posant les questions utiles.

En ce qui concerne les répercussions de mon métier de magistrat dans ma vie privée, je dois bien avouer qu’il m’apporte un équilibre certain qui est bénéfique pour moi et pour ma famille.

 

CH : On entend parfois dire des magistrats qu’ils travaillent seuls, est-ce exact ?

NVW : Pour ma part, pas du tout. Pour plusieurs raisons. D’abord parce que j’ai la chance d’avoir un magnifique bureau ici au palais. Je l’occupe tous les jours même quand je n’ai pas audience. Cette présence quotidienne me permet de voir mes collègues très souvent,  ainsi que de fréquenter notre magnifique bibliothèque si besoin en est. Cela me donne également l’occasion d’aller dire bonjour aux membres du greffe, ce qui est favorable à une bonne ambiance entre tous.

J’ai aussi la chance en tant que juge au Tribunal de Commerce de siéger avec des juges consulaires qui m’apportent leur expertise technique, scientifique et professionnelle (lesquelles sont essentielles pour la résolution de nombreux conflits). Cette mixité me permet également de faire de vraies rencontres humaines, certains des juges consulaires  sont devenus de vrais amis.

Eu égard à tous ces éléments, je ne me sens absolument pas seule, bien au contraire.

 

CH : Depuis votre changement de carrière, voyez-vous le justiciable différemment ?

NVW : Non pas du tout puisque le justiciable me semble être le même dans la salle d’audience que celui qu’il était lorsque je le recevais dans mon bureau en tant qu’avocat. Par contre, ce qui a changé c’est ma vision des avocats. Je suis totalement surprise de devoir de temps en temps faire le constat que les avocats ne connaissent pas bien  leur dossier, n’ont pas exploité les pièces comme elles devaient l’être, ne connaissent tout simplement pas les pièces du dossier ou ne se posent absolument pas les questions utiles et importantes à la résolution du conflit. C’est notamment une des raisons pour lesquelles j’étudie les dossiers à l’avance afin de connaître les pièces et pouvoir en conséquence soulever, si besoin, les questions qui s’imposent pour recentrer le véritable débat juridique, en mettant l’affaire le cas échéant en débats continués afin que les avocats puissent conclure sur ces questions, pour respecter les droits de la défense et le principe contradictoire.

Bien évidemment, il y aussi beaucoup d’avocats excellents qui connaissent parfaitement leur dossier et qui sont fabuleux et c’est un véritable plaisir que de les écouter plaider.

 

CH : Quels sont, à l’heure actuelle, les défis les plus importants à relever pour un magistrat ?

NVW : Le métier de magistrat, je pense, a changé ces dernières années compte tenu des réformes de la justice, des nombreuses lois pot-pourri auxquelles il faut s’adapter dans l’urgence et  des exigences de mobilité. Il y aura aussi des restrictions budgétaires auxquelles il faudra s’adapter. Je pense que privilégier la résolution des conflits via la médiation ou la conciliation est plus que jamais nécessaire et utile. Je le fais déjà via les chambres de médiation puisque les avocats et les parties sont invités en médiation, dans les dossiers  sélectionnés après le premier échange des conclusions. Nous obtenons de bons résultats et les justiciables en ressortent beaucoup plus contents car il sont artisans de l’accord dégagé. En conséquence, non seulement cet accord est plus rapide qu’un procès mené jusqu’au bout mais surtout l’accord est respecté puisqu’accepté – et non imposé par un jugement qui mécontente bien souvent une partie, voire les deux -,  et il n y a donc pas d’appel. Si l’invitation en médiation n’a pas été suivie d’effet, j’essaie également – si le dossier s’y prête - de promouvoir une solution amiable à l’audience surtout lorsque les parties sont là. Et je dois bien avouer que des solutions se dégagent plus souvent qu’on pourrait le penser. A nouveau , la préparation du dossier avant l’audience me permet de favoriser ces solutions amiables pour que les parties puissent dégager une solution. Je pense dès lors que d’un point de vue tant juridique qu’humain, il est important de tenter avec les parties de trouver une issue amiable au litige.

Un autre défi pour les magistrats est également de pouvoir maîtriser les nouvelles technologies pour effectuer les meilleures recherches possibles de jurisprudence et de doctrine dans un souci de meilleure efficacité.

 

CH : Le métier d’avocat ne vous manque-t-il pas ?

Pas du tout -  je suis désolée ! -  mais je suis parfaitement épanouie dans ma fonction de magistrat. Je rappelle que j’ai été avocat pendant 22 ans et même si je ne peux pas dire que j’ai fait le tour de la question ( parce qu’on ne fait jamais le tour de la question quand on est avocat puisque les matières sont tout le temps diverses, les clients aussi et que chaque dossier est différent), je pense que j’avais l’âge où j’aspirais à vivre d’autres défis en passant de l’autre côté de la barre avec de nouvelles responsabilités, de nouvelles perspectives, de nouveaux collègues. Et cela me comble ! Je n’ai donc aucun regret.

 

 

CH : Quel est votre meilleur souvenir en tant qu’avocat et que magistrat ?

En tant qu’avocat,  il y en a beaucoup en fait : chaque dossier gagné était une victoire personnelle qui légitimait tous les efforts que je faisais pour tenter de gagner le dossier et défendre mes clients. J’ai pu faire de belles rencontres humaines et certains de mes clients sont devenus des amis, ce qui est évidemment gratifiant. Au-delà de ça, mon souvenir le plus percutant est celui d’un dossier ou je défendais un vétérinaire qui avait été mandaté par un éleveur de blancs bleus belges pour stériliser un énorme taureau détecteur de chaleur (c'est-à-dire qui est là pour repérer les vaches fécondables) afin qu’il puisse jouer son rôle sans féconder les vaches. Ce taureau s’appelait Gersay. Après l’opération  et analyse de son sperme pour vérifier que l’opération avait bien fonctionné , il a été remis en prairie…après 3 jours il avait fécondé des dizaines de vaches !!! c’était une catastrophe pour l’éleveur car Gersay n’était pas de la race pure BBB…l’expertise s’est révélée impossible à pratiquer sur Gersay vivant tant il était agressif et en souffrance. Bref , je me suis donc retrouvée à l’abattoir pour l’exécution de Gersay afin que l’ablation de ses parties génitales puisse se faire de manière contradictoire en présence de l’expert et de nombreux avocats. Le camion transportant Gersay a fait un accident de la route de sorte que Gersay est arrivé en retard…J’ai donc du assister, dans l’attente, à l’exécution de nombreux autres animaux selon le rite halal ... au couteau et à main nue avec les animaux qui hurlaient…c’était horrible...nous avions des bottes blanches qui baignaient dans plusieurs centimètres de sang…..d’autres avocats ont eu des malaises. Bref un scénario digne de l’émission Streap-tease …

En tant que magistrat, je n’ai pas une longue expérience puisque je ne suis là que depuis trois ans et demi, mais mes plus grandes satisfactions sont la conséquence des médiations que je parviens à faire à l’audience quand les parties sont présentes. Je  me souviens d’un cas où il s’agissait de deux parties qui s’étaient beaucoup aimées et qui divorçaient. Elles avaient un jeune enfant, le divorce était épouvantable, les parties ne s’entendaient absolument plus et, puisqu’elles étaient titulaires toutes les deux d’actions de sociétés communes, elles ont entamé diverses procédures les unes contre les autres et je n’avais pas moins de trois affaires qui se suivaient en référé. Une fois c’était madame qui attaquait, l’autre fois s’était monsieur pour essayer de faire le plus de mal à l’autre tant moralement qu’économiquement.

Les parties sont arrivées à mon audience, les avocats et les parties ne se parlaient pas, ne se regardaient pas, ne se  saluaient pas. Il y avait une tension exceptionnelle. J’avais évidemment préparé le dossier et après de longues discussions plus humaines que juridiques j’ai réussi à ce que les parties acceptent d’aller se parler d’abord avec leurs avocats respectifs, et ensuite entre elles. Finalement, elles ont réussi à renouer un dialogue et ce dialogue leur a permis de baisser les armes les unes après les autres et de trouver  une solution globale amiable. La dame est revenue à une de mes audiences ( qui ne la concernait plus) pour me remercier et me dire que mon intervention avait « changé leur vie » en réinstaurant le dialogue et le respect entre eux avec tous bénéfices pour leur enfant commun. Cela  m’a procuré un vif plaisir de savoir que non seulement juridiquement ils avaient trouvé une solution, mais qu’humainement cela avait aussi modifié leur vie.

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