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Le mot du bâtonnier
Madame, Messieurs les Bâtonniers,
Chers Confrères,
Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux, terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre.
Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu.
Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! »
Le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. »
En relisant cette légende, avant de rédiger ces quelques lignes, je me remémorais tout d’abord les évènements tragiques qui se sont déroulés, à Paris le 13 novembre 2015, à Bruxelles le 22 mars 2016, à Orlando le 12 juin 2016, et dans tous les autres pays du monde, sous les coups de boutoirs de l’intolérance.
Et puis, plus précisément, c’est le visage de Léopold Hecht, 20 ans, étudiant en droit, décédé à Malbeek le 22 mars qui apparaissait, avec le témoignage émouvant de l’une de ses amies : « Léo, merci pour tout. Tu étais et tu es quelqu’un d’admirable, de brillant. On se revoit au paradis. On ira boire un verre. Tu te prendras une Leffe blonde et moi une Kriek. Je sais que tu seras toujours avec nous. On pense tous très fort à toi. »
Plus près de nous à présent, c’est le sort des prisonniers privés de tout depuis près de deux mois, dans l’indifférence générale, qui nous interpelle.
Attachés aux libertés essentielles, nous ne voyons pas de diminution notable des mandats d’arrêt, tandis que peu de personnes semblent s’inquiéter de ce que les chambres du conseil fonctionnent sans les détenus et de manière, à notre estime en tout cas, fort peu conforme aux droits de la défense.
Alors que l’article 611 du Code d’instruction criminelle leur fait obligation de visiter une fois par mois les personnes retenues dans les maisons d’arrêt, les juges d’instruction voient-ils la nécessité de s’y rendre ?
Nous sommes tous concernés, nous devons chacun « prendre notre part », car, si nous sommes responsables de ce que nous faisons, nous le sommes aussi de ce que nous omettons de faire.
* * *
Dans quelques jours, vous participerez aux élections de l’Ordre, et spécialement cette année à l’élection (disputée, une première depuis 1995) au poste de vice-bâtonnier.
J’insiste à nouveau pour que vous, avocats de toutes les générations, preniez part au vote et ainsi apportiez votre contribution concernée à ce scrutin dont l’enjeu est l’avenir de notre barreau et celui de notre profession.
Me Isabelle Tasset prône le changement, mais pas à n’importe quel prix ; Me Jean-François Henrotte nous invite à défier ensemble le statu quo[1].
Leurs visions prospectives sont différentes et … séduisantes.
Me Jean-François Henrotte a la conviction que l’intelligence artificielle, associée au Big Data, avec mutualisation de son coût, nous permettra de continuer d’assister la classe moyenne qui a de plus en plus de difficultés à payer nos honoraires.
Me Isabelle Tasset interroge. Que savons-nous exactement de cette intelligence artificielle ? Faut-il lui donner les vertus qu’elle n’a pas encore ?
Saskia Mermans, Présidente de l’Institut des Juristes d’entreprises, traverse nos questionnements en affirmant que les mieux adaptés survivront.
Pour elle : « le juriste de demain devra maitriser une connaissance technique suffisante lui permettant de faire des recherches utiles dans les Big Data juridiques et avoir un outil performant à cette fin »[2].
Le barreau de Liège, contrairement à d’autres barreaux qui « réfléchissent »[3] soutient le projet d’AVOCATS.BE lié à l’utilisation de l’intelligence artificielle[4].
Le projet Pythagoria n’a pas pu faire l’objet d’un vote en assemblée générale d’AVOCATS.BE ce 13 juin 2016.
Gageons que cela n’est que partie remise.
Bien entendu, nous savons que l’intelligence analytique ne prédit pas le succès professionnel et ne remplacera jamais nos compétences interpersonnelles.
Daniel Kahneman (Prix Nobel d’économie en 2002) l’a constaté : les humains préfèrent en majorité être clients d’une personne qu’ils apprécient et en laquelle ils ont confiance, même si cette personne offre un produit ou service plus cher.
Nous devrons toujours être « rationnellement intelligents » : décoder les sentiments, construire la confiance, motiver les autres, les diriger, contrôler nos émotions, gérer les conflits[5].
La veille de la trêve judiciaire d’été, et à quelques jours de notre assemblée générale, je vous souhaite bien entendu déjà d’excellentes vacances ; quant à notre barreau, je lui souhaite de disposer de l’intelligence artificielle, certes, mais aussi d’être doté d’une intelligence rationnelle, émotionnelle et sociale.
[1] Emile et Ferdinand, n° 16, 2016/2, pages 16 et 17 (« Barreau de Liège : Élections au bâtonnat, le débat est ouvert »)
[2] Carte blanche de Saskia Mermans dans « Justement », 18/5/16
[3] « A côté de la montre en or ? », le mot du Président, la Tribune n° 96, 16/6/16
[4] « Intelligence artificielle : anticiper ou subir ? », Patrick Henry, le mot du Président, la Tribune n° 93, 4/5/16
[5] Jean-Pierre Aerts : « Travailler à la chaîne », chronique publiée dans la Libre entreprise, 14/9/13, p.5
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