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Jean-Denis Bredin, l’Avoc’Académicien
Nous avions hâte de vous voir. Vous, l’éminence blanche, et « l’Enfant sage (Gallimard 1990) », Il professor et – doux paradoxe – Il studente ! Vous l'éternel étudiant qui enrage de déplaire et pourtant Il maestro, grand maître langagier, académicien depuis 1989, maître verrier armé de sa lyre dès l'enfance, maître très respecté, avocat très écouté, stagiaire de Jacques Isorni, 1er Secrétaire de la Conférence en 1951, figure du barreau de Paris, depuis plus de 60 ans, ancien associé de Robert Badinter, fondateur prestigieux du Cabinet éponyme: Bredin-Prat.
Longtemps grand maître à la faculté - major du concours de l’agrégation, professeur à Rennes, Lille et Paris La Sorbonne – grand conférencier, j’en fus moi-même l’heureux témoin, lors de différents colloques, docteur honoris causa de l’Université de Liège, pour ne citer qu’elle, maître de droit privé mais aussi juge arbitre dans certaines affaires toujours trop retentissantes à votre goût et donc maître privé du litige , vous êtes un maître à juger, à penser, à écrire, à plaider, à disserter, à enseigner, père de Frédérique Bredin –ancienne Ministre - excusez du peu, auteur de quelques 20 livres (à lire grande séance tenante) et combien d'autres casquettes… magistrales?
Jean-Denis Bredin. – Coiffé de casquettes si l’on peut dire, encore que je sois plutôt entouré d’uniformes (rires). Uniforme que beaucoup ne mettent plus, d'ailleurs.
François Dessy. – Ah, je l’ignorais.
Jean-Denis Bredin. – Si, beaucoup viennent en civil, même aux grandes séances de l’Académie française. Il y a de moins en moins de gens en uniforme, d'abord parce que l'uniforme fait de plus en plus mal. Au fur et à mesure que l’on vieillit, on a tendance à s’épaissir…. À prendre un peu trop d’envergure (rires).
François Dessy. – La couture peut tout de même y pourvoir.
Jean-Denis Bredin. – Ce n'est pas de Jean Lacouture dont vous me parlez? (rires)
François Dessy. – Non, de votre cénacle de linguistes de haute couture au Quai de Conti (cousu de fil blanc… ). D’où provient la tradition du port de l’habit vert ?
Jean-Denis Bredin. – Napoléon Bonaparte, alors premier consul aux côtés d’un grand juriste Cambacérès, en avait fixé les traits essentiels sur la suggestion d’une commission et de différents artistes de l’époque. Sa confection est totalement règlementée (arrêté du 23 floréal an IX- 13 mai 1801) : la veste est brodée d’or et de soie verte foncée…sertie de branches d’olivier. Cet étrange accoutrement est devenu la proie des satiristes. A la Belle époque, l’Habit vert de Flers et Caillavet est représenté au Théâtre des variétés tandis qu’il singularise le « Crocodilus » d’Alphonse Daudet, un Académicien sans regard ni talent, aveuglé par l’ambition. Un vert savant, rigide, de drap de bureau, de reliure de dictionnaire disait Maurice Donnay. Selon lui, notre habit ne doit sa couleur qu’à un écrémage dicté par le bon sens : le rouge exprime l’humeur violente, guerrière, le violet l’apparat ecclésial, le blanc était par trop salissant et les nuances de bleu, paraît-il, étaient l’apanage des femmes …
François Dessy. – Mais l’habit ne fait pas encore l’Académicien, Jean-Denis Bredin, encore faut-il se soumettre à une autre coutume : se faire forger son épée et y faire inscrire une devise. Votre ami Decaux, a opté pour "Foi, Liberté et Tolérance". Quelle fut la vôtre?
Jean-Denis Bredin. –Je n'ai pas gravé de devise, faute de savoir laquelle il fallait inscrire. Toujours l'effet de l'hésitation.
François Dessy. – D’autres ont préféré n’en jamais porter : Michel Serres, symboliquement je pense, en signe de protestation contre l’usage des armes…
Jean-Denis Bredin. – Moi non plus je ne la porte plus jamais Je ne la mets jamais, d'ailleurs je ne sais plus où je l'ai mise (long silence). S’il me fallait l’orner d’une devise, je choisirais "Respect et Amitié". Ou "Amitié et Respect".
François Dessy. – L'un supposant l'autre … Jean-Denis Bredin, dans votre discours de réception à l’Académie, vous parler allusivement d’"une épée lourde de symboles". Quels symboles y sont attachés ?
Jean-Denis Bredin. – La remise de l’épée est déjà tout un symbole. Passée l’étape de la collecte des suffrages – l’usage n’est plus rigoureusement observé, passé l’étape du scrutin favorable et de la présentation au Protecteur de l’Académie le Président de la république –que l’on appelle, en règle, simplement Monsieur… sous la Coupole, sans décliner son titre (nivellement par le haut oblige ?), vient ensuite la cérémonie rituelle de « remise de l’épée ». Un comité d’amis se constitue pour offrir au nouvel élu l’épée de son choix dont l’exécution a été confiée à un habile ciseleur. Elle lui est remise par un confrère, déjà élu donc, lors de la « remise de l’épée » accompagnée de discours et buffet. Elle préfigure la grande épreuve de la réception. L’élu est admis en séance, il traverse le corridor des bustes, pénètre dans le sanctuaire sous le dôme de la Coupole, et est conduit à son fauteuil par ses deux parrains - le père Carré et Bertrand Poirot-Delpech pour moi. L’académicien fait le jeudi suivant, précédé d’un roulement continu de tambour, l’éloge de l’auguste occupant auquel il succède. Les symboles intrinsèques de l’épée, ce sont tout à la fois la force, la puissance, l'élégance personnalisée jusqu’au détail du pommeau et la droiture – l’épée est droite et longue. Enfin, tout ça est un peu ridicule.
François Dessy. – N’est que ridiculité ! Substantif, que l’on trouve, ai-je lu, chez Voltaire et Diderot, réhabilité par la commission en charge de la 9ème édition du Dictionnaire de l’Académie. Cette épée est aussi, avec la cape- la Robe – ce qui caractérise l’Avocat, l’escrimeur qui ferraille à la barre. L’épée me rappelle une cinglante réplique réservée à un avocat : le juge lui avait dit que sa plaidoirie était comme l'épée de Charlemagne. Brève fierté de l’Avocat… et amer désillusion : « Comme l’épée de Charlemagne : longue, lourde et plate ».
Jean-Denis Bredin. – (rires francs) Ah ça, c'est très bon! Longue, lourde et plate!
François Dessy. Vous avez accédé au fauteuil numéro 3, occupé précédemment par Marguerite Cleenewerck de Crayencour – Marguerite Yourcenar dont, une amie du barreau de Bruxelles, est la petite-nièce, Gaëtane de Crayencour. Oserais-je dire qu'en dépit de votre appartenance respective à l'Académie, beaucoup de choses vous séparent, hormis une même passion, un perfectionnisme, littéraire et une commune cogitation qui crépitent sous le feu des mots?
Jean-Denis Bredin. – Deux personnalités différentes certainement. Diamétralement opposées, je ne sais pas. Par le sexe d'abord, il est vrai. Elle aimait plus la vie que je ne l'aime et elle avait ce goût immodéré de l'aventure, plus que je ne l’ai eu. Moi j'étais un bon élève, elle était tout à fait autre chose. J'ai eu l'honneur, pour préparer et essayer de faire son éloge selon la tradition à l'Académie Française, d'aller chez elle sur son île, à Mont-Désert (USA, Etat du Maine). J'avais déjà lu ses livres. Je me suis attaché à elle. J'ai pour elle beaucoup d'admiration et, avec le temps, beaucoup d'affection. J’y suis resté presqu’une semaine. Là-bas tout parle d’elle, la mer immobile, les lacs gelés, le soleil illuminant la glace, un lieu qui exhale un parfum de bout du monde. J’ai même travaillé dans le bureau où elle avait tant écrit. La réalité d’un écrivain est à chercher dans ses livres, dit-on. Et Margueritte Yourcenar a fait de son œuvre sa vie et de sa vie son œuvre. C’est cette force d’écriture-là qui l’a menée à l’Académie française. Souvenez-vous de notre Confrère Jean d’Ormesson « Ce n’est pas parce que vous êtes une femme que vous êtes ici, sous la Coupole, aujourd’hui, mais parce que vous êtes un grand écrivain ». Son écriture avait tant de serviteurs : la culture, la mémoire… une fascination de la volupté, un orientalisme parfois exacerbé et une pensée assez universelle. Elle s’est coupée de tout pour être de partout : ni famille, ni communauté, ni patrie… qui la retienne, la sienne c’était l’humanité. Races, classes ? Elle voulait que la liberté des femmes soit l’égale de la liberté hommes mais le féminisme ne trouvait pas grâce à ces yeux. Un féminisme qu’elle trouvait trop politique, subalterne, réducteur presque raciste…
François Dessy. - L’ouverture de votre temple du savoir à la féminité intellectuelle est une rupture d’avec la tradition ancrée et voulue à l'époque par Richelieu. Non sans profondes divisions au sein de l'Académie d’ailleurs? Claude Levi Strauss y était farouchement opposé à l'origine ?
Jean-Denis Bredin. – Les qualités solaires de Marguerite Yourcenar sont évidentes – ses chefs d’œuvre en attestent amplement lorsqu’elle s’introduit dans la mémoire d’Hadrien ou dans la vie de Zénon… un autre chef d’Œuvre (au noir). Mais bien d’autres femmes - cette troupe invisible d’académiciennes, avais-je dis un jour- auraient pu les y rejoindre : George Sand, ou Madame De Staël à qui j’ai consacré un de mes livres (Une singulière famille. Jacques Necker, Suzanne Necker et Germaine de Staël, Fayard 1999), Madame de Sévigné en sont de beaux exemples. La venue d’une femme n’en a pas moins constitué une remise en cause, une entorse aux traditions anciennes. Ainsi, craignait-on l'amorce d'une remise en cause générale des fondements de l'Académie. Il y a une certaine fidélité aux anciennes coutumes chez ceux qui pensent que l'Académie ne se porte bien qu’en demeurant ce qu’elle a été. Et qu'à rompre toutes ces habitudes, elle rompra son destin.
François Dessy. Avec la venue de Léopold Sédar Senghor, père de la « négritude » de la nation sénégalaise,… la récente accession de Dany La ferrière, écrivain haïtien-québécois, dont nous avons dévoré la dernière livraison (« l’art presque perdu de ne rien faire »), la nationalité, l'origine, la territorialité ne sont plus des critères qui conditionnent l'occupation d’un fauteuil. Estimez-vous que ça participe quelque part à cette évolution?
Jean-Denis Bredin. A la vérité, l’Académie a toujours manifesté des signes de changement. L’Académie devait compter dès l’origine, tout ce que la France a de plus talentueux, tous corps sociaux considérés… mais la mainmise de l’Etat, du cardinal de Richelieu, l’entente entre la couronne royale et la pourpre cardinalice ont fait la part belle aux Hommes d’Eglise, et plus généralement à la Noblesse, ce que désignait ce qu’on a appelé le « Parti des Ducs ». Une majorité en remplaça une autre, le siècle des Lumières assura le règne des philosophes à l’Académie. D’Alembert, Voltaire, Maupertuis… et Condorcet.
François Dessy. - Le talent n’éclate-t-il pas les carcans académiques ?… Il y a également les incontournables hommes de lettres. Nos éphémères Confrères-avocat : La Fontaine, Boileau, Corneille… Et puis Racine…
Jean-Denis Bredin. L’écrivain. Oui bien sûr. Statut à l’époque supérieur s’il en est, à bien d’autres. A celui de comédien par exemple. La comédie est un genre moins noble que la tragédie qui magnifie l’antiquité gréco-romaine, l’exclusion de Molière, pour brillant qu’il soit, de l’Académie n’y est pas étrangère. Les lettres d’accord ! Mais pas toutes les lettres. Les romanciers seront longtemps mésestimés sans exception : si Châteaubriant ou Lamartine sont élus ce ne l’est pas en qualité de romancier. Ils puisent leur mérite ailleurs. C’est la poésie, l’histoire, la science, la politique qui ennoblissent… mais le roman vous n’y pensez pas. De la provient le cuisant étiage électoral de l’académie, les échecs cuisants de Balzac – qui glanera 4 voix au plus, de Zola qui s’y reprendra inutilement 24 fois, et d’autres injustement exclus comme Stendhal, Dumas père, Flaubert, Maupassant…
François Dessy. - Le cimetière des éconduits est peuplé de génies, c’est ce que Maurice Druon nomme la contre-académie, le fauteuil des grands absents inexcusables… le 41ème fauteuil !
Jean-Denis Bredin. Ce n’est qu’au 20ème siècle, sous réserve de quelques rares contre exemples, que les romanciers ne seront plus persona non grata. Avec Mauriac, Maurois, Montherlant, Morand…
François Dessy. – L’Académie a abdiqué son dogmatisme littéraire, libéralisé sa composition jusqu’à l’entrée des femmes pour atteindre l’égalité académique. Cette même égalité, autrefois de façade, au nom de laquelle le roi offrit à tous les académiciens des fauteuils répondant à la requête du Cardinal d’Estrées qui souffrait des infirmités de l’âge et du coup de l’inconfort des chaises…et à laquelle Louis XIV accéda, prévoyant les conséquences d’un tel favoritisme… Vous confessez par ailleurs que l’habit est peu porté, même par les hommes de loi, soucieux de la règle comme vous… Mais par un pervers retour de balancier, l’Académie ne perd-elle pas son aura, pire son âme et son pouvoir d’influence ? Victime des libertés prises et contaminée par une étonnante permissivité qu’elle est… En négligeant enfin l’épée, l’uniformisation de l’habit, en tolérant l’évocation des tendances politiques, certains membres au passé peu reluisant en temps de guerre, en tolérant l’abord de tous les sujets, en ouvrant vos portes à « toute littérature » de Finkielkraut à … ? Ne participez-vous pas à la désacralisation de l’Académie… Sa sacralité fait aussi son lustre, son crédit… son immortalité. Et la fleur de l’écriture la boude désormais en partie… - Modiano, Le Clézio, deux prix Nobel, Pennac, Echenoz, à l’heure où la plume, le roman a paradoxalement retrouvé ses lettres de noblesse… et ses quartiers au Quai de Conti?
Jean-Denis Bredin. – Parfois c’est le contraire qui advient. On envisage toutes les raisons d'exclure un certain nombre de gens à cause de ce qu'ils pensent ou de ce qu'ils font. Et je crois de manière générale que c’est un peu fâcheux. Cela oblige, du coup, à prendre des gens de… je ne devrais pas dire de "seconde zone", c'est une expression impropre, mais de seconde mouture, parce que les plus grands ne viennent plus. L’Académie est, voyez-vous, bouleversée. Pas seulement par un vent de modernité, mais par un vent de changements, changement de la culture, changement des lettres, changement des lectures, changement de l'idée d'immortalité…, de nos rites. Maintenant, lors des candidatures à l'Académie, on ne sait plus qui est candidat. On lit sur le panneau, le jour où on vient pour l'élection qui est candidat, parce que même les visites, ils s'en sont débarrassés, les candidats. Enfin, quelques-uns les font, mais d'autres ne les font plus ou souhaitent être candidat pour être candidat…
François Dessy. – D’autres font campagne comme François Weyergans qui avait choisi Jean-Luc Delarue comme agent de promotion… "Ne pas déplaire aux autres fut pour moi un métier " dites-vous pour résumer votre enfance, dans votre autobiographie. Un des travers - qui guettent l’Avocat en général itou - de l'Académie, n'est-ce pas justement de vouloir plaire?
Jean-Denis Bredin. – Si l'Académie cherche à plaire, elle cherche à se moderniser. Bien qu’elle refusât ce mot, elle cherche à jouer un rôle dans la société moderne. C'est difficile pour elle de le faire. La défense de la langue française est son premier rôle. Mais cette défense ne suffit pas. Car il faudrait la défendre en France, la langue française. La défendre à l'étranger n'est pas suffisant. Il faut la faire rayonner, imprégner la culture de la langue française chez nous. On ne peut faire aimer une rose en travaillant uniquement à la rose. Il faut aller vers l’autre. Il faut ouvrir, apprivoiser l’œil (rétif), en éclaircir, en adoucir, en élargir la perception. L’action académique, en tant qu’outil pour épurer et faire étinceler la langue, est politique. La culture et la langue suivent un même sort. Car, en conservant notre vitalité culturelle (et non plus cultuelle hélas), il en ira de même de la langue, n’est-ce pas ? A une condition expresse : conserver son identité - son histoire, son patrimoine,...- d’exception. C'est compliqué et cela a trait à l'autre problème que nous avons déjà évoqué: l'Académie rend-elle encore de grands services ou est-elle un charmant vestige des temps anciens?
François Dessy. – En ces temps troublés de délitement de l’autorité morale, incarnée jadis par l'autorité politique même gaullienne, l'autorité religieuse ou parentale ; le manque de foi, de ferveur est criant, de vrais débats aussi sur les grandes options sociétales, les fondamentaux ne faudrait-il pas investir à l'Académie - pétries de la sagesse et de l’expérience d’une vie- d’un rôle digne de son nom? En d'autres termes, la pourvoir d’un rôle d’organe faîtier, consultatif, sur grandes questions qui intéressent le devenir de notre société, qui puisse dire, avec le recul du temps, les grandes choses restant à accomplir?
Jean-Denis Bredin. – Ce que vous dites est tout à fait vrai. L'Académie aurait pu évoluer dans son rôle, dans ce rôle, c'était sa tâche, ce qu'elle n'a pas toujours fait. Etre, au contraire, un endroit où s'écoutent des gens qui portent la lumière sur les sujets qu'ils abordent. C'est très vrai ce que vous dites, mais ça n'a pas été l'évolution de l'Académie. Elle est devenue un réservoir d'écrivains sympathiques, chaleureux, brillants souvent, poètes, des gens de qualité ou de bonne réputation. J'en parle de temps en temps avec mon voisin à l'Académie, qui est l'ancien Président de la République Valéry Giscard d'Estaing, toujours brillant dans ses interventions. Il dit la même chose. L'Académie ne remplit pas son rôle. Bien qu’elle puisse changer de rôle. Elle n'éclaire plus, ne porte plus la lumière sur les problèmes qu'elle aborde. J'ai abordé dans ma vie un certain type de vérités qui me furent enseignées, vérités religieuses, vérités dogmatiques de toutes sortes, vérités patriotiques… mais la vérité je ne la vois que dans l'expérience, pas ailleurs. L’expérience, seule, est étincelante de vérité. Je ne l’ai pas rencontré ailleurs la vérité, voyez-vous. Elle aide à vivre, à prévenir, la vérité rencontrée une fois pour toute. Les deux manières de vivre: c'est la vérité ou la vanité. Ce qui est et doit être ou ce qu’on est, soi-même, devenu ou en devenir. La vanité dont on dit beaucoup de mal, est un grand secours pour beaucoup de gens qui s'aiment. Je vois beaucoup de mes amis qui vieillissent et ont la chance de vieillir avec la vanité.
François Dessy. – C'est un doux oreiller.
Jean-Denis Bredin. – C'est un doux oreiller. La vanité, il faudra un jour faire son éloge (rires). C'est également une manière de vieillir. Mais on ne peut conduire idéalement un pays, sans la vérité, on ne l’aide pas à trouver, dans les brumes ou les vapeurs enivrantes de la modernité, le chemin qui mène au bien commun. Il y a entre la vanité et la vérité, entre le bien individuel et le bien commun, le même abîme… même si des ponts existent heureusement. Voilà ce qu’ignorent, ou feignent de ne pas voir, trop de décideurs, petits ou grands, le nez dans les affaires. L’académie a, pour cette raison, beaucoup à apporter à la Cité: la vérité de l’expérience, la hauteur de l’âge. Mais pour ce faire, l’académie doit bien choisir les siens, sa trajectoire, doit à travers la variété des avis, des tonalités, conserver ou dégager une vision commune, si elle veut l’imposer… et non se répandre en sens divers, en colloque singulier. Conserver sa force, suppose d’en préserver l’union et l’âme.
François Dessy - Pour une « tribu », suivant l’expression d’Hélène Carrère d’Encausse, vous n’avez pas l’esprit de famille. D’Ormesson, Max Gallo (qui oscille entre la Mitterrandie et la Sarkozie), Finkielkraut, Rouart, Orsenna… Des voix, même politiques au sens noble du terme, raisonnent en ordre dispersé et l’Académie, grande muette, dépose les armes et n’est ipso facto plus entendue ?
Jean-Denis Bredin. – On dessert notre cause si elle n’est pas communément défendue… Porter ensemble la lumière.
François Dessy. – Vous écrivez, dans "Le Pouvoir aux Français" (Grasset 1977) que les français sont dans la nuit. L'Académie n'est plus cette luciole, comme dirait Pasolini, qui éclairait la nuit de la modernité. L'Académie est-elle une locomotive qui mène la langue vers des cieux plus hauts et plus purs ou est-elle un wagon qui suit la modernité?
Jean-Denis Bredin. – Elle est un wagon qui suit. Néanmoins, un wagon de première classe (rires).
François Dessy. – S’ennuie-t-on à l’Académie ? Montherlant répétait à l’envi que c’était une corvée ?
Jean-Denis Bredin. –. Pierre Moinot m’avait invité à rejoindre la Compagnie "mais si, viens, viens, tu verras, on s'y ennuie, on s'y endort, mais tu verras, c'est très bien" (rires). Il y a parfois de merveilleux discours et parfois de merveilleux éclats de rire. Le jour où je devais être reçu à l’Académie le 17 mai 1990. Cette date coïncidait curieusement avec celle de mon anniversaire et Pierre Moinot acheva son discours par une surprenante conclusion. S’il il y a quelque chose de plus sacré encore que la parole, précisa-t-il, s’est bien le chant. La tradition ne doit-elle pas triompher ici ? Aussi vais-je me résoudre à braver le ridicule pour chanter pour vous : « Bon anniversaire, nos vœux les plus sincères, que ce jour vainqueur vous apporte le bonheur Que l’année entière vous soit douce et légère … ». L’Académie a accueilli cette petite révolution des usages car pour la première fois la péroraison d’un discours était chantée…
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