Interview de Me André Renette, ancien bâtonnier

Interview

Jean-Pierre Jacques: Monsieur le Bâtonnier, vous sortez de deux ans à la tête de l’Ordre des avocats du Barreau de Liège, êtes-vous satisfait de votre bâtonnat ? Avez-vous des regrets sur l’un ou l’autre des projets qui ont été menés ?

André Renette03André Renette : J’ai été porté par l’enthousiasme de deux formidables Conseils de l’Ordre composés de confrères entièrement investis dans leur charge pour le service de notre Barreau. Quelle chance d’avoir été le capitaine d’une telle équipe !  J’ai pu compter aussi sur les qualités remarquables du personnel de l’Ordre au service de la fonction, indépendamment de la personnalité qu’il incarne, et garant de sa pérennité.

Pareillement entouré, vous ne pouvez que donner votre maximum.  Que cela fut bien fait ou mal fait, ce n’est évidemment pas à moi à en juger. 

Des projets non réalisés, j’en ai un sac plein. Deux ans, cela passe trop vite et c’est beaucoup trop court pour tout réaliser, mais deux ans c’est aussi bien assez vu l’intensité de la tâche. Mais il y a une continuité nécessaire sur les chantiers ouverts.

JPJ: Votre bâtonnat a été marqué par une activité législative assez intense. Un nombre important de réformes judiciaires sont intervenues. Quel est votre appréciation sur ces réformes ? Sont-elles justifiées ? Bien pensées ?

A.R.:  Mon Bâtonnat a connu deux ministres de la justice, plus exactement il n’y en a eu qu’un : celui en place. La première n’a jamais su entrer dans la fonction, terre inconnue pour elle.

Le premier jour de mon Bâtonnat, je fermais à clé les grilles du BAJ en recevant Mme TURTELBOOM lors de l’ouverture de l’année judiciaire.

Notre Barreau avalait ensuite la pilule de la TVA sur les honoraires, puis est venue, suite à la réorganisation judiciaire, la constitution des nouveaux arrondissements, la réflexion sur la question du règlement particulier des affaires qui concernait les trois Barreaux de l’arrondissement, le Code de droit économique et sa délicieuse fiche légale d’informations, le plan de la justice de M. GEENS et, ensuite, le tsunami des « pots-pourris ».

En ce qui concerne les réformes de la justice, le principe est de faire du « mieux » avec du  « moins », alors que les restrictions budgétaires  frappent déjà l’institution jusqu’à l’anorexie, on est quasiment à l’os.

En mars de l’année dernière, la salle des pas perdus du Palais Poelaert à Bruxelles était noire de gens de robe, magistrats et avocats, et le premier Président à la Cour de Cassation en appelait à la nation ! Qu’en reste-t-il ?

Ces rationalisations ont pour objet de diminuer le périmètre d’activité de la justice en en sortant le contentieux considéré comme encombrant, et bientôt en supprimant des lieux de justice.

Les réformes sont frappées par l’idéologie selon laquelle un bon jugement est un jugement rapide, quel qu’en soit son contenu. C’est irresponsable.

Toute la société subit ce travers de l’économisme et notre profession n’est pas à l’abri, déjà frappée par des fournisseurs de services juridiques low-cost.

Nous avons fait au Barreau de Liège un important travail de lobbying et de réflexion sur le contenu du lobbying, et je dois saluer le travail du Président d’Avocats.be et de son équipe pour  porter la parole de la profession auprès du monde politique en charge de ces réformes.

On ne s’improvise pas lobbyiste, et c’est un enjeu majeur pour la profession et Avocats.be

Nous devrons à l’avenir, mieux encore, anticiper les réformes au cœur des services « justice » des partis politiques, des responsables de justice auprès des vice-premiers, des membres de la Commission justice, car, avec la magistrature, c’est nous, le Barreau, qui devrons utiliser les outils futurs que nous laissera avec parcimonie un Etat appauvri dans ses fonctions régaliennes, pour que  la justice fonctionne

Pour le surplus, comme d’habitude en Belgique, on fait une loi « ventilateur », la Cour constitutionnelle la nettoie et les lois de réparation suivent.

JPJ: Vous êtes liégeois et attaché au tissu économique de votre région. Quel rôle le barreau en général et l’avocat en particulier peut-il/doit-il jouer au sein de sa cité, de sa région ?

A.R.:  Une partie non négligeable de mon activité d’avocat est consacrée à l’accompagnement des entreprises en difficulté.

BATO-banners-01-291x120Lorsque vous assumez cette charge, notamment dans le cadre d’un mandat judiciaire, celui-ci est guidé, sous le contrôle du Tribunal de commerce, par l’intérêt général : celui de sauvegarder les emplois et les entreprises de notre région en mobilisant toutes les forces vives de celle-ci.

En tant qu’avocat, on est formé à servir et défendre des intérêts individuels avec comme interlocuteur privilégié le juge, à qui l’on demande de trancher.

J’ai toujours considéré que le métier d’avocat était un métier « politique », ancré dans les valeurs de la démocratie, attaché à la défense des libertés, dans le vacarme du rien qui caractérise nos sociétés et dans ce climat de violence haineuse – car je réponds à votre interview ce 22 mars –, l’avocat, quel que soit le service qu’il rend au particulier ou à l’intérêt général, devra à l’avenir reconquérir du terrain perdu auprès de la société civile et politique qui l’ont oublié et  faire entendre les valeurs qu’il défend qui sont celles d’une société apaisée, humaine solidaire et loyale.

JPJ: Le bâtonnat est une charge extrêmement lourde notamment en termes d’obligations sociales et de représentation. Comment avez-vous vécu ces deux années à cet égard ? Est-ce bien compatible avec une vie privée et familiale ?

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A.R:  La représentation, comment dire, ce n’était pas trop mon truc, mais heureusement, Marie-Anne était là pour me soutenir et me motiver.  Mais tout compte fait, malgré les redondances, l’on s’aperçoit très vite que tous les Bâtonniers sont dans le même état d’esprit, qu’ils ne sont pas dans le « bling-bling » mais contents de vous voir et de vous accueillir En définitive, c’est le terreau de belles amitiés, de rencontres intéressantes avec des hommes et des femmes plus encore que vous investis dans la défense de la profession.

La représentation auprès de la société civile, de l’université, du monde politique, c’est un devoir de bâtonnier, bien sur ! Cela fait partie du job.

JPJ: Que pensez-vous du système disciplinaire applicable aux avocats qui laisse l’initiative des poursuites au bâtonnier mais la fixation de la sanction par un conseil de discipline ? N’est-ce pas quelque peu frustrant ?

André Renette-5A.R.:  J’ai eu l’honneur d’être conseiller de l’Ordre sous le Bâtonnat de Maître Vincent THIRY en 2006,  date à laquelle nous avons clôturé les derniers dossiers disciplinaires qui étaient de la compétence du Conseil de l’Ordre avant que la réforme ne soit mise en place et que soit constitués les Conseils de discipline au niveau du ressort et le Conseil de discipline d’appel au niveau communautaire.

La déontologie, la science des devoirs qui s’imposent à vous, nécessitent, hélas, une sanction en cas de manquement. Une certaine fermeté est indispensable, sinon, cette déontologie ne sera qu’incantatoire C’est souvent ce qu’on entend reprocher aux institutions ordinales avec la question : « Mais que faites-vous avec Untel ? ».

L’un des problèmes de la procédure disciplinaire est celui de son délai, beaucoup trop long. Alors que nous ne disposons pas – si ce n’est en puisant dans les ressources de l’article 473 du Code judiciaire – des outils nécessaires permettant de prendre des mesures provisoires dans l’attente d’une décision au fond. Là est ma frustration.

 

JPJ: Le Barreau de Liège est le plus grand barreau francophone après celui de Bruxelles. Est-ce que le poids du Barreau de Liège est suffisamment représenté au sein de l’AG de l’OBFG ? Les règles de votes applicables ne sont-elles pas problématiques lorsque le vote du barreau de Liège (970 membres) équivaut au vote du Barreau de Marche (52 membres) ?

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A.R.:  D’abord, le Barreau de Marche n’existe plus. Les trois Barreaux du Luxembourg ont fusionné en un seul et disposent actuellement de trois voix au sein de l’assemblée générale de l’OBFG, à titre temporaire.

Chaque Barreau dispose d’une voix par tranche de 200 avocats, ce qui signifie que le Barreau de Liège dispose de cinq voix pondérées, alors que, effectivement, le Barreau du Luxembourg, à titre temporaire, quoiqu’étant en nombre inférieur à 200 avocats, dispose donc de trois voix.

Pour qu’une décision soit votée au sein de l’assemblée d’Avocats.be selon le règlement d’ordre intérieur actuel, il faut que 5 Barreaux votent favorablement la mesure et qu’ils représentent la majorité des voix pondérées.

Un projet de réforme du règlement d’ordre intérieur a été proposé par le Conseil d’administration, mais pour des raisons diverses et regrettables, n’a pas rencontré l’adhésion de l’assemblée générale.

Je participe à un groupe de travail où nous sommes au stade du brainstorming pour tenter de faire évoluer la gouvernance au sein de l’OBFG.

Je compte beaucoup sur ce groupe de travail pour proposer à l’assemblée générale des propositions constructives et urgents de nature à améliorer le contenu du travail titanesque  qui est effectué au sein d’Avocats.be.

JPJ: On parle souvent du « blues du bâtonnier » lorsqu’il termine son mandat. Etes-vous affecté par ce mal. Confirmez-vous cet état d’esprit aujourd’hui ?

A.R.:  Mentalement, je changeais de logiciel au 1er septembre, la fonction étant un CDD, ce qu’il faut savoir dès le départ. Cela ne m’a posé aucun problème.  J’ai cependant, évidemment, eu le regret de ne plus côtoyer au quotidien les personnes de qualité avec qui j’ai passé deux ans de ma vie et avec qui j’ai noué des liens privilégiés. Mais je me suis mis d’autres défis et d’autres lignes d’horizon, des nouveaux projets professionnels et privés, dans lesquels je me suis investi et qui restent à construire.

Pour le surplus, le Bâtonnat est également une épreuve physique, dont il faut se rétablir avec beaucoup de patience.

JPJ: Comment se passe le retour au sein de son cabinet après deux ans de bâtonnat ? Vous avez pu compter sur des collaborateurs au sein de vote bureau, est-ce à dire que le bâtonnat n’est possible que pour un avocat issu d’un cabinet d’une certaine importance ? Ce constat est paradoxal quand on sait que le Barreau est principalement composé de d’avocats individuels ou en très petite association.

A.R.:  Je ne remercierai jamais assez tous ceux et celles qui se reconnaîtront dans ces mots et qui ont dû pallier mon absence pendant ces deux années. Évidemment, et ce n’est pas neuf, l’accessibilité à la fonction est un problème qui n’est pas seulement solutionné de manière financière.

Le débat sur le rapprochement des Barreaux a été l’occasion de réfléchir sur le travail du Conseil de l’Ordre, le travail du Bâtonnier, la constitution d’un Comité de direction ou d’un organe similaire permettant l’accessibilité aux fonctions ordinales à la double condition de la diminution de la charge de travail d’une part et d’autre part de sa dilution sur des organes fondés sur la collégialité et le partage des portefeuilles.

La pression économique et financière sur la profession justifie en elle-même la question, et je suis particulièrement heureux des initiatives de notre Bâtonnier à cet égard.

A vrai dire, je suis convaincu que l’on ne peut être avocat qu’en consacrant, à la mesure de ses moyens et de son temps, un peu d’énergie au service de l’Ordre, notamment dans les Commissions. Etre avocat, c’est le seul métier d’individualiste qui ne peut s’exprimer collectivement qu’au sein de son Ordre. Peut-être, si nous sommes plus nombreux à nous préoccuper de l’avenir de la profession, la fonction deviendra plus accessible aux meilleurs d’entre nous.

JPJ: Quel est, selon vous, l’événement le plus marquant de votre bâtonnat ?

A.R.:  Il y en a trop qui m’ont marqué.  Mais si je devais en isoler un, ce serait celui de l’animation du groupe de rapprochement entre le Barreau de Verviers et notre Barreau, rejoint en fin de mon Bâtonnat par le Barreau de Huy.

Les confrères qui ont travaillé loyalement dans ce groupe l’ont fait parce qu’ils étaient animés d’une conviction profonde, qu’ils soient liégeois ou verviétois, celui de proposer aux confrères un nouveau Barreau, une meilleure organisation, un projet exaltant.

Si j’ai pu mesurer certaines déceptions, c’est que, pour faire progresser ces réformes, il faut du temps, de la patience, de l’écoute et de la pédagogie, mais les réflexions que nous avons partagées ensemble étaient visionnaires et porteuses d’un avenir pour la profession et les ordres. Mais lassez moi rêver d’un barreau unique.

JPJ: Beaucoup d’anciens bâtonniers continuent à exercer des fonctions au sein de l’OBFG après leur bâtonnat, avez-vous des projets en ce sens ? et si oui, lesquels ?

A.R.:  Oui, bien sûr, ce serait exaltant de pouvoir s’investir, après l’expérience du Bâtonnat, dans un mandat au sein du Conseil d’administration d’Avocats.be.

Cependant, pour moi, il était trop tôt, au regard d’autres projets, et pour des raisons personnelles, de s’investir immédiatement. Mais j’ai fait savoir que je demeurais disponible à l’avenir.

JPJ: Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui souhaite commencer la profession d’avocat ? A un avocat qui souhaite se présenter aux élections pour le Conseil de l’Ordre ? A un avocat qui souhaiterait présenter sa candidature au bâtonnat ?

A.R.:  Aux jeunes, je donnerais deux recommandations :

1. prenez des risques,

2. apprenez des langues étrangères.

A tous les avocats, sachez que l’exercice de votre profession demeurera inachevé si à un moment donné, vous ne vous investissez pas dans le service collectif de la défense de la profession et du justiciable. Tomorrow’s Lawyer pour la première année et le Congrès « Agissons » pour la seconde ont été, pour la première année et  la seconde des moments forts que j’aurais pu citer également avec le groupe de rapprochement Verviers-Liège.

Sans tomber dans l’anxiété, tous les avocats doivent réfléchir à leur avenir, suivre le train de la modernité, en contester les déviances économistes ou « ubérisantes », et porter la parole de l’avocat dans la cité.

Au confrère qui souhaite se présenter aux élections du Bâtonnat, je le remercie d’abord pour cet engagement, je lui conseille nécessairement d’être le messager de l’avenir de notre profession et, très concrètement, d’avoir une bonne santé.

JPJ: Pour terminer, quels souhaits formulez-vous pour le futur du Barreau de Liège ?

A.R.: Il faut travailler, dans l’unité, à la professionnalisation des structures de l’Ordre, que ce soit un Ordre local, un Ordre d’arrondissement, un Ordre par ressort ou un Barreau unique. En toutes hypothèses, les lignes doivent bouger, les difficultés que nous rencontrons, l’ADN de l’avocat, sont identiques partout, quel que soit le lieu de son inscription au Barreau. Le futur du Barreau de Liège est de s’inscrire dans ces instances qui seront mieux en phase avec les nouvelles structures de la Justice, et une nouvelle structure de l’État fédéral, les nouvelles structures des régions et/ou des communautés.

Dépasser son identité, la conserver en sa spécificité, créer une nouvelle identité, tels sont les avenirs et le futur du Barreau de Liège et des autres Barreaux.

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