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Interview de Me Jean-Jacques Germeau
Jean-Pierre JACQUES (JPJ): Vous avez récemment mis un terme à votre carrière d’avocat après plus de 50 ans de barreau, vous aviez prêté serment le 4 septembre 1962 ? Le métier ne vous manque pas ?
Me Jean-Jacques GERMEAU (JJG): Comme le temps passe... Il est bien exact que j'ai prêté le serment d'avocat le 4 septembre 1962. Après 50 ans de barreau, j'ai décidé d'arrêter et, bien entendu, ce n'était pas sans quelque regret ou nostalgie. Mais, attention : la nostalgie, c'est le plaisir d'être triste, comme j'aime rappeler cette excellente citation de Victor HUGO. Et je n'ai de cesse que de me tourner vers d'autres nombreuses activités : je fais mienne la réflexion de Frédéric LENOIR : "Exister est un fait ; vivre est un art".
JPJ: Vous restez actif et dévoué au barreau notamment en assurant la « petite déontologie », est-ce une manière pour vous de garder un contact avec la profession ?
JJG: Depuis des années, les Bâtonniers successifs m'ont fait l'honneur de m'accorder leur confiance : je fais en quelque sorte partie des vieux meubles dont on ne sépare pas... C'est pour moi un plaisir de rendre service à l'Ordre en assurant la gestion hebdomadaire des dossiers déontologiques soumis à l'arbitrage du Bâtonnier.C'est sans aucun doute une façon agréable de rester en contact avec la profession à laquelle je reste tellement attaché.
JPJ: Me François DEMBOUR, qui a été votre stagiaire (sauf erreur de ma part) a été élu bâtonnier en juin 2015. Vous ne vous êtes, vous, par contre, jamais présenté au bâtonnat. Pourriez-vous en expliquer la raison ? Est-ce un regret dans votre carrière après tant d’années au sein du conseil de l’Ordre ? Son élection, est-ce une forme de « bâtonnat par procuration » ?
JJG: Me François DEMBOUR a effectivement été mon stagiaire et ensuite mon collaborateur. J'ai toujours dit que si la charge du bâtonnat, qui comporte les représentations extérieures, les discours ainsi que les incidents et/ou le suivi quotidien au Palais, pouvait être divisée, j'aurais bien volontiers accepté cette troisième mission et envisagé de me présenter au bâtonnat : mais, il importe d'être lucide et de connaître ses limites sans les dépasser, ce qui aurait été le cas des deux premières missions.
Bien sûr, j'ai eu quelques regrets, l'espace d'un instant, car la charge de bâtonnier est enthousiasmante et enrichissante, mais je me suis vite fait à l'idée de rester ce que je suis et d'être heureux à travers tous les contacts que j'ai pu avoir au sein du barreau, des conseils de l'Ordre où j'ai siégé durant dix années, sans oublier les sympathiques et annuels séminaires de déontologie.
Rassurez-vous : chaque bâtonnier a sa personnalité et je m'en voudrais que vous pensiez, même si je tire quelque fierté du fait que l'actuel bâtonnier était mon stagiaire, que j'exercerais un bâtonnat par procuration...
JPJ: Les fonctions de l’Ordre, les attributions du conseil de l’Ordre ont évolué depuis votre première élection au sein de cet organe : quel regard portez-vous sur ces changements de rôle de cet organe ?
JJG: Il est évident que la mission du conseil de l'Ordre a évolué : si ses attributions sont moins importantes qu'auparavant, il n'en reste pas moins que le conseil de l'Ordre reste un organe ou un rouage bien nécessaire sur le plan interne de l'Ordre. Les PV des différents conseils de l'Ordre sont là pour démontrer les nombreuses questions évoquées et réglées.
JPJ: Depuis la fin de l’Ordre national des avocats, beaucoup prétendent que les ordres locaux n’ont plus beaucoup de raison d’être et que le vrai lieu de pouvoir est l’OBFG. Qu’en pensez-vous ?
JJG: Sur le plan général, il me paraît certain que le pouvoir de décision a été déplacé vers l'OBFG ou ce qu'il convient d'appeler aujourd'hui "avocats.be" : peut-être, au passage, puis-je suggérer que ce vocable quelque peu commun, soit remplacé par un autre mieux évocateur de sa mission.
JPJ: Le métier d’avocat (responsabilité, devoir d’information, connaissance législative, déontologie) a également considérablement changé au cours de ces 50 dernières années. Que pensez-vous de cette évolution ? Est-ce une bonne évolution ? Une mauvaise ?
JJG: Cette évolution est inévitable et la critique serait vaine. Il convient d'en tenir compte et le barreau doit s'adapter et rester à la hauteur.
Comme le souligne très bien Me Patrick HENRY dans son dernier message de La Tribune de janvier 2016, le barreau "doit admettre qu'il est légitime de moderniser notre Justice, d'utiliser les progrès de la technique pour faire des économies, de simplifier les procédures qui ne sont plus en phase avec le temps des affaires et le rythme effrené de la vie d'aujourd'hui". Il doit "imaginer des solutions innovantes".
C'est aussi l'idée du Bâtonnier François DEMBOUR lorsqu'il annonce envisager de proposer au conseil de l'Ordre, à l'image du barreau de PARIS, de créer un prix annuel de l'innovation qui récompensera le projet le plus innovant porté par un cabinet d'avocats.
JPJ: Ne pensez-vous pas que le barreau devrait limiter son accès pour garantir de meilleures conditions économiques à ces membres ? 800 avocats et près de 170 stagiaires, n’est-ce pas trop pour un territoire tel que Liège et des services juridiques offerts par d’autres professions ?
JJG: Un "numerus clausus" ? L'éternelle question revient toujours à la surface... Je n'y suis pas favorable car les critères d'admission et/ou de refus revêtiront nécessairement un caractère injuste, abstrait ou subjectif.
Au terme d'une enquête menée par le Syndicat Neutre pour Indépendants auprès de 353 belges exerçant une profession libérale et intellectuelle, "médecins et avocats s'en sortent mieux que les autres indépendants mais certains doivent faire face à une concurrence accrue" (La Libre Belgique, Libre Entreprise du 9 janvier 2016). Et de conclure, quelque peu paradoxalement, "que le nombre de personnes exerçant une profession libérale augmente mais le marché ne s'agrandit pas pour autant. Les revenus doivent être répartis entre beaucoup plus d'acteurs. Les recettes baissent et la pauvreté s'installe".
JPJ: On le sait moins mais vous êtes également violoniste et vous participez à un chœur de l’Université. Que vous apportent ces deux activités dans votre quotidien ?
JJG: Vous êtes presque bien informé... Je taquine effectivement le violon et je fais partie de l'orchestre universitaire CIMI ( Cercle Interfacultaire de Musique Instrumentale) où je suis au troisième rang des seconds violons... C'est assurément un réel plaisir de se retrouver chaque semaine au sein d'une équipe de 40 musiciens amateurs, tous très talentueux et de participer à environ six concerts par an à Liège et environs. La musique est assurément une de mes raisons de vivre.
JPJ: Le travail au sein de l’Ordre est extrêmement important et cependant extrêmement ingrat. C’est un travail de l’ombre qui est méconnu et souvent mal perçu par les confrères : que pensez-vous qu’il pourra être fait pour améliorer la situation ?
JJG: Le travail de nombreux confrères au sein des commissions de l'Ordre est lourd et indispensable. Que ce travail soit méconnu n'est en soi pas important : faut-il qu'il soit révélé publiquement pour "améliorer la situation" ? Je ne le pense pas.
JPJ: La précarisation et la paupérisation du barreau en général et des avocats en particulier sont préoccupantes. Elles le sont d’autant plus qu’elles touchent tous les avocats quelle que soit son ancienneté. Avez-vous rencontré des difficultés d’ordre financier au cours de votre carrière ? Si oui, comment les avez-vous surmontées ? Si non, comment l’expliquez-vous ?
JJG: Votre question est assurément d'actualité : comme vous l'avez souligné ci-avant, le nombre croissant de confrères explique à tout le moins partiellement la précarisation et la pauvreté du barreau d'aujourd'hui. Chacun doit se remettre en question. Je partage l'avis de notre bâtonnier qui, avec tout son barreau comportant 973 avocats au 1.12.2015 "souhaite persévérer avec confiance dans son dynamisme, sa diversité, sa transformation, ses innovations, ses multiples rencontres, son exigence d'excellence".
Pour ma part, j'ai eu la chance d'arriver au barreau à une époque où le nombre d'avocats était peu élevé et plus tard de faire partie d'une équipe dynamique d'avocats, ce qui permettait de présenter à la clientèle des compétences dans différents domaines.
JPJ: Que pensez-vous des jeunes avocats et du futur du barreau en général ? Le barreau est souvent perçu comme un milieu extrêmement conservateur et très réfractaire au changement : pensez-vous que le futur du barreau doit se penser sur la continuité ou la rupture par rapport au passé ?
JJG: Comme je le précisais ci-dessus, le barreau doit s'adapter : je fais entière confiance aux jeunes avocates et avocats dont notamment à l'occasion des rencontres au sein des séminaires de déontologie, j'ai pu apprécier l'ouverture d'esprit et la compétence. C'est toujours avec plaisir que je les retrouve lors des réceptions du barreau et j'apprécie leur volonté d'aller de l'avant, ce qui me permet de rester très confiant dans l'avenir du barreau. Le barreau évolue avec la société et il serait regrettable de vouloir son évolution dans sa continuité.
Je lève mon verre à la bonne santé de l'Ordre des avocats du barreau de Liège et de chacune et chacun de ses membres !
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