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Mot du Bâtonnier en direct du "plus bel endroit du monde" (bis repetita placent)
Madame, Messieurs les Bâtonniers,
Chers Confrères,
Si mon prédécesseur plaidait dans la dernière parution de l’Open Barreau pour la nécessité de se faire entendre, il nous serait encore plus agréable d’être écoutés, ce qui, chacun le sait, oblige le cerveau humain à fournir un effort supplémentaire pour décoder l’information.
Mes premières semaines au bâtonnat m’ont confirmé que la gestion de notre Ordre s’appuie non seulement sur les membres d’un personnel de qualité, lequel assure la continuité des services de l’Ordre, mais également sur un grand nombre de nos confrères qui luttent au quotidien pour préserver et améliorer les piliers de notre profession.
L’investissement, le plus souvent désintéressé de ces derniers, reste nécessaire au regard notamment de la récurrence des problèmes rencontrés et des défis quotidiens à relever.
A l’aube de la réforme du paysage judiciaire, le bâtonnier Eric Lemmens posait les conditions à l’efficience de ce qui était encore un projet : d’abord l’évolution des esprits, au même rythme que le cadre institutionnel, pour que la mobilité et la spécialisation des magistrats ne soient pas que des mots, l’informatisation de la justice, et enfin le maintien et l’augmentation du budget de la justice.
La mise en place de l’informatisation est chaotique, lente mais elle est en marche : à titre d’exemple, l’article 32ter de la loi du 19 octobre 2015 prévoit que toute notification ou toute communication ou tout dépôt auprès des tribunaux pourra se faire au moyen du système informatique de la justice désignée par le Roi, à une date à déterminer par le Roi et au plus tard le 1er janvier 2016.
Je persiste à penser qu’il est plus réaliste de mettre en place l’informatisation graduellement, plutôt que de se mettre en quête du Graal…
Dans l’immédiat, nous devrons nous accommoder de pratiques multiples et diverses : mise en place du module e-deposit[1] (Cour d’Appel et Cour du Travail), lequel connaît un grand succès en Flandre ; utilisation de deux boîtes mails fonctionnelles (greffe du Tribunal du Travail de Liège) mais limitées à certains actes (les conclusions, notamment, ne sont pas concernées) ; boîte mail (greffe du Tribunal de Police de Liège, division Verviers), laquelle peut être utilisée pour l’envoi de conclusions ; suppression des fax des greffes du Tribunal de Première Instance de Liège, un privilège étant octroyé provisoirement aux mails, à l’exception des dossiers de pièces, etc…
L’augmentation du budget de la justice reste au centre d’un combat auquel se joignent les magistrats.
Les magistrats et avocats ont fédéré leurs énergies pour que les réformes proposées deviennent « leurs» réformes, pour qu’elles soient imprégnées de leurs convictions, animés par le souci d’une justice de qualité.
Le remarquable numéro spécial du Journal des Tribunaux du 7 février 2015 regorge de propositions novatrices et concrètes…, et pourtant nous avons dû vite déchanter : lors de leur audition par la commission justice de la Chambre, les représentants du monde judiciaire (dont le Président d’AVOCATS.BE) ont constaté qu’ils avaient été tout au plus entendus, mais non point écoutés (refrain connu).
Dans sa lettre du 5 janvier adressée à l’ensemble des acteurs du monde judiciaire, le Ministre Geens réaffirmait que les restrictions budgétaires étaient inévitables, que le système judiciaire devait gagner en efficacité par une meilleure utilisation des moyens qui lui sont alloués.
Je le cite : « j’ai la profonde conviction qu’une fois les réformes nécessaires réalisées, il sera possible de faire mieux avec des ressources inchangées, voire réduites ».
En d’autres termes, et on l’a déjà dit et écrit, faire plus avec moins, et j’ajouterai : « et ensuite avec de moins en moins ».
* * *
Mon esprit divaguait dans ces pensées multiples avant l’aube de ce dimanche 8 novembre.
C’est alors que j’ai rejoint pour quelques minutes d’exception, si pas « le plus bel endroit du monde », à tout le moins l’un des plus beaux (tout est subjectif, je le concède) ; le Jeune Barreau peut en témoigner[2].
A 7h15, au sommet du Hohneck (Hautes Vosges, 1366m), je distinguais au loin le mythique et triangulaire Cervin (4478m), mais aussi la beauté intemporelle du Mont-Blanc (4873m).
Après quelques instants, la contemplation de cinq chamois (les cirques glacières des Vosges en abritent un millier) et la quiétude du lieu m’ont ramené imperceptiblement à une réalité que je souhaite ambitieuse et innovante.
Nous devons nous inscrire dans le cadre des réformes qui nous sont imposées, et optimaliser les compétences et la volonté de ceux d’entre nous qui travaillent au respect de notre profession.
Le regroupement des différents barreaux est à mon sens indispensable et inéluctable : je rêve d’un seul Ordre communautaire composé des plus compétents, justement indemnisés pour leurs prestations à l’aide des économies réalisées.
Je rêve qu’au moment de payer vos cotisations, vous soyez assurés de ce que vos intérêts sont dans les mains des meilleurs professionnels, lobbyers, juristes, spécialistes de l’image, bibliothécaires, informaticiens, etc.
Imaginons le poids de 7.000 avocats qui négocient et parlent d’une seule voix : il est plus que jamais crucial que nous parlions avec la force de l’union.
Cette union, à côté de la saine gestion de notre Ordre, constitue un défi.
C’est unis et forts que nous devons être entendus et ….écoutés.
C’est pourquoi, en cet automne, je forme le vœu que chacun de nos Ordres mettra rapidement en veilleuse les craintes que tout changement peut générer relativement aux spécificités et aux intérêts personnels pour enfin parvenir à une union forte et constructive.
* * *
Ce vendredi 20 novembre, je vous rencontrerai avec plaisir lors de la rentrée de la Conférence Libre du Jeune Barreau de Liège.
A cette occasion, à l’initiative des commissions de déontologie et barreau-entreprises, l’Ordre vous convie à son traditionnel colloque, sous la direction scientifique de Maître Philippe Culot.
Nous vous proposons de débattre de la réalité factuelle immédiate de l’ « avocat œconomicus », mais aussi de son « intelligence ».
Ce qu’on appelle « intelligence » n’est pas une faculté unique, mais bien un ensemble de compétences innées ou acquises, qui nous demande à la fois de savoir et d’ignorer, de s’émouvoir et de se détacher, de questionner et de répondre.[3]
Même au 21è siècle, je ne me transforme pas en partisan du système Watson[4]…
Bien confraternellement,
Le Bâtonnier de l’Ordre,
François DEMBOUR.
[1] Vous pouvez directement visionner une vidéo de présentation du module e-deposit sur la page de connexion au système : https://e-services.just.fgov.be/edeposit.
[2] Voir le « Sous la Robe » du 24 décembre 2014, article « Le plus bel endroit du monde ».
[3] Luc de Brabandere : « Il n’y aura jamais d’intelligence artificielle », La Libre Belgique, 16/10/15, page 52.
[4] Voir notamment l’article d’Alexandre Cassart « Pourquoi fallait-il être au congrès d’AVOCATS.BE du 29 mai 2015 ? ».
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