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Interview de Philippe DULIEU, Procureur du Roi
Jean-Pierre JACQUES (JPJ): Vous êtes « super Procureur » depuis le 14 mai 2014, pourriez-vous nous expliquer ce que cette fonction représente dans le concret, le quotidien des gens ou des avocats ?
Philippe DULIEU (PD): Malgré le recours fréquent au titre de « super procureur » ou encore de « procureur provincial », je suis d’abord, encore et toujours, un procureur du Roi et ai conservé le titre et les missions légales bien connus. Pour les avocats, les partenaires (tribunaux, experts, huissiers, polices) et les justiciables, je pense que l’impact de cette « nouvelle » fonction réside surtout dans le changement d’échelle.
Il m’appartient de mettre en place les réformes permettant d’atteindre les objectifs poursuivis par la réforme de la Justice, à savoir l’accélération des procédures, l’augmentation de la qualité et la réduction des coûts. L’exercice de mes missions légales dans le cadre de la fusion de trois anciens arrondissements judiciaires a indéniablement un impact sur le fonctionnement global de la Justice liégeoise. La centralisation de matières au sein d’une division de l’arrondissement, la standardisation des méthodes de travail, la détermination de directives de politiques criminelles uniformes au sein du nouvel arrondissement sont autant de changements qui s’imposent aux partenaires et aux justiciables et induisent des déplacements de lieux de traitement des affaires et de lieux d’audiences.
Les conséquences, au plan des contacts directs avec moi, existent aussi dans la mesure où les procureurs de division ont vocation à prendre en charge diverses missions de première ligne précédemment confiées aux « anciens » procureurs du roi et relatives à la gestion journalière de ce que l’on appelle maintenant une division du parquet. Ces procureurs de division me permettent ainsi de me consacrer pleinement au management de cette grande structure. La fréquence des contacts avec le procureur du roi s’en trouvent donc inévitablement et malheureusement diminuée. En outre, certains partenaires doivent s’habituer à ne plus avoir de procureur du roi en permanence sur leur lieu de travail puisque mon bureau se trouve au palais de justice de Liège.
JPJ: Que pensez-vous, avec le recul, de la réforme du paysage judiciaire qui a vu la création d’un nouvel arrondissement judiciaire regroupant Huy et Verviers ?
PD: Bien qu’il soit un peu tôt pour prétendre avoir du recul, l’augmentation de la taille des arrondissements judiciaires était inévitable pour espérer faire face à la complexité des phénomènes criminels auxquels les parquets sont confrontés. Le choix des arrondissements judiciaires à fusionner n’est cependant pas le fruit d’une étude sociologique et criminologique mais résulte d’une volonté de respecter un agenda politique. La base provinciale a donc été choisie par facilité alors que la question de l’opportunité de fusionner Huy et Liège se pose légitimement.
JPJ: La fonction que vous exercée est une fonction de pouvoir. Comment gérez-vous la pression liée à la fonction ?
PD: Maintenir un équilibre entre vie privée et vie professionnelle et savoir s’entourer de collaborateurs directs judicieusement choisis sont deux conditions indispensables si l’on veut gérer cette pression.
JPJ: Le rôle du procureur est sensible politiquement : nombreux dossiers ont des ramifications avec le milieu politique et les politiciens parfois très importants. Avez-vous déjà eu des pressions de la part du politique et si oui, comment y avez-vous répondu ?
PD: Je n’ai heureusement jamais eu à déplorer de pressions politiques dans le cadre de l’exercice de mes missions.
JPJ: Comment se passe vos rapports avec Mme Reynders à qui vous avez succédé ? Avez-vous gardé de bons contacts étant donné que votre fonction vous amène à diriger la personne qui était votre supérieure antérieurement ?
PD: Le législateur devrait revoir d’urgence le statut du chef de corps en fin de mandat . Actuellement, le procureur du roi est nommé substitut et désigné procureur pour 5 ans, le mandat étant renouvelable une fois. A la fin de son mandat, le chef de corps, s’il ne souhaite pas reprendre les fonctions qu’il exerçait avant sa désignation , reste dans le corps qu’il a dirigé et en qualité de « simple » substitut. Cette situation n’est idéale ni pour l’ancien, ni pour le nouveau procureur.
JPJ: Vous êtes originaire d’Engis et vous vivez à Amay, un ancrage liégeois est-ce important pour vous ?
PD: Une bonne connaissance de l’arrondissement est un plus mais une expérience professionnelle exclusivement Liégeoise n’est pas propice à une bonne capacité de remise en question des méthodes de travail ; or cette démarche est indispensable dans le cadre de l’implémentation de la réforme des arrondissements judiciaires.
Après 21 ans de pratique professionnelle au sein du parquet de Liège, j’ai eu la chance d’exercer les fonctions de procureur à Namur durant 3 ans, de 2011 à 2014, et cette expérience m’est très utile dans le cadre de la mise en œuvre de la fusion de Liège, Huy et Verviers.
JPJ: Quels sont les défis qui vous attendent et que vous souhaitez relever dans le cadre de votre fonction ?
PD: L’augmentation des rendements qualitatifs et quantitatifs , l’amélioration des taux de réponse pénale et la réduction des délais de traitement sont des objectifs centraux. Ceux-ci devraient pouvoir être atteints au moyen notamment :
- de la spécialisation de magistrats dans les matières techniques, à l’échelle du grand arrondissement.
- de l’uniformisation des méthodes de travail.
- de l’élaboration de priorités de politique criminelle claires pour les partenaires.
Le défi consistera néanmoins à maintenir, pour certaines matières, une approche différenciée entre divisions, sous peine d’apporter une réponse pénale déconnectée des réalités locales. Tel serait le cas d’une politique criminelle identique au sein des divisions de Huy et Liège.
JPJ: La justice est actuellement au cœur d’une réforme très importante dont les fondements semblent plus être des restrictions budgétaires que des améliorations du fonctionnement de la justice : quel est votre point de vue sur les réformes actuelles ?
PD: Les diverses restrictions budgétaires qui frappent la justice, au lendemain de l’entrée en vigueur d’une réforme historique, muent les chefs de corps en pilotes de gros porteurs... dont on coupe les ailes au décollage. 8% de déficit des cadres, sans prendre en compte les malades de longue durée et les magistrats détachés, le non remplacement des départs à la retraite, la suppression des imprimantes individuelles des magistrats… ceci n’est qu’un aperçu.
Face à cette situation, la succession de lois « pot-pourri » est un triste pis-aller.
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