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Le mot du bâtonnier: « de la nécessité de se faire entendre »
Dans le courant du mois de mars de cette année, nous avons pris connaissance du plan justice du Ministre de la justice Koen Geens.
Compte tenu de l’importance de ce document, j’ai demandé à tous les membres de mon conseil de l’Ordre de prendre connaissance de ce premier opus qui annonçait divers « pots-pourris » et je désignais quatre volontaires chargés de nous faire rapport.
Je me suis donc mis laborieusement à la lecture de ce document de 116 pages. Lorsque j’arrive page 32, je découvre un titre intitulé : « Le recouvrement de créances incontestées est rendu plus efficient ».
Cela me rappelle les travaux menés sous la présidence de Maître Francis Teheux l’année précédente et qui portaient sur le projet « Laruelle - Turtelboom » sur la procédure d’injonction sommaire de payer.
Notre barreau, sur délégation d’AVOCATS.BE, avait fait un travail d’ampleur, constructif, rencontrant la volonté du législateur et maintenant ce marché au sein de notre profession.
A la lecture de ce numéro 74, je suis saisi d’effroi. Je n’ose pas croire ce que je viens de lire. Je suis sans doute fatigué, je me lève, je vais boire un grand verre d’eau froide, je reviens et je constate que j’ai bien lu.
En toutes lettres, il est mentionné que pour le recouvrement de créances incontestées de débiteurs professionnels que la procédure aurait lieu sans l’intervention d’un juge.
Le projet « Laruelle - Turtelboom » se vantait d’avoir supprimé les avocats. Le projet « Geens » supprimait par la suite le juge.
Le ministre s’exprime en ces termes : « Dans cette nouvelle procédure, l’huissier de justice sera habilité à émettre un titre exécutoire après autorisation, par voie électronique, d’une autorité centrale. »
Mais qui était-ce donc que cette « autorité centrale » qui ne pouvait pas être un juge ?
Le suspens fut de courte durée : dans la version 1 du pot-pourri n°1, cette autorité centrale était la Chambre nationale des huissiers de justice.
Dans l’exposé des motifs, il était bien précisé que les huissiers de justice, quoique officiers ministériels, étaient probablement les mieux placés au monde pour procéder à la récupération des créances professionnelles dites incontestées.
Passé l’étonnement, sinon la colère, je ne pus que, très sportivement, m’incliner devant la qualité du lobbying de cette profession juridique.
Chapeau les huissiers de justice, vous, au moins, vous n’avez pas peur d’être corporatistes et de vous vendre. Vive le lobbying des huissiers de justice !
Le lobbying, avec l’informatique, est l’un des nombreux enjeux majeurs qui devront être pris en charge par les Ordres locaux, par les Ordres communautaires, sinon bicommunautaires.
Cette réflexion, déjà ancienne, portait sur la question de savoir pourquoi notre profession était si méconnue, mal connue ou ignorée.
Notre image de marque n’était-elle pas inversement proportionnelle aux valeurs que véhicule notre profession, celles du désintéressement de l’humanité, de l’assistance à autrui … ?
Enfin, si nous étions si mal connus, n’était-ce pas aussi parce que nous avions de la peine à nous faire connaître ?
Pour étayer cette réflexion à l’occasion de l’année judiciaire 2014-2015, notre conseil de l’Ordre a invité les personnalités politiques à venir nous expliquer leur perception de la profession, les invitant au passage à nous donner quelques astuces pour mieux se faire connaître, en amont comme en aval, de la construction d’une norme législative.
Nous avons eu ainsi le plaisir d’entendre respectivement notre confrère Willy Demeyer, Député-Bourgmestre, notre confrère Jean-Claude Marcourt, vice-Président à la Région Wallonne, notre confrère honoraire Thierry Giet, membre de la Cour Constitutionnelle, Madame Murielle Gerkens, Madame Marie-Dominique Simonet, Monsieur le Président de la commission justice Philippe Goffin, Monsieur le Ministre de la justice, Maître Koen Geens, du barreau néerlandais de Bruxelles et Monsieur le Ministre du budget, notre confrère Maître Hervé Jamar du barreau de Huy.
En fonction de l’état d’avancement des travaux de rapprochement avec les barreaux voisins, nous avons associé à cette démarche le barreau de Verviers, le barreau de Huy et le barreau d’Eupen.
Le 11 mai, lors de la visite du Ministre de la justice, nous avons pu, à l’issue de la visite, et c’est un fait historique, réunir en conseil de l’Ordre des quatre barreaux de notre province.
Ce 8 juin, quatre barreaux de la province ont rencontré à nouveau les représentants des quatre partis politiques pour porter sur les fonts baptismaux un comité permanent de contact entre notre profession et le monde politique fédéral, régional et communautaire.
Pendant de trop nombreuses années, nous avons accumulé un passif de défiance (réciproque) à l’égard du monde politique qui, lui, doit pleinement prendre conscience du rôle que doit jouer le troisième pouvoir qu’est le pouvoir judiciaire, avec la voix du citoyen justiciable que nous représentons en tant qu’acteurs de justice.
Eh bien, ça marche, les femmes et hommes politiques que nous avons rencontrés sont demandeurs : ce lien doit être rétabli afin que l’avocat retrouve son rôle dans la cité et la confiance du public.
Bien entendu, si la fabrication du réseau est de la compétence des Ordres locaux, regroupés sinon fusionnés à l’échelle minimale du nouvel arrondissement judiciaire, l’action de lobbying doit être menée au sein de l’Ordre communautaire, soit conjointement par les deux Ordres communautaires.
Pour cela, il faut dégager des budgets et former nos représentants à cette activité spécifique.
Nous devons être conseillés par des professionnels du lobbying.
Cela impactera nécessairement la capitation que nous versons à AVOCATS.BE.
Pour rester dans le domaine financier, sachez que dégager un budget de 100.000 euros pour faire du lobbying coûterait annuellement à chaque avocat 13 euros.
A 13 euros, y a-t-il place pour le doute avant le choix ? Personnellement, je ne le pense pas.
Car enfin, si nous sommes obligés de multiplier les recours devant la Cour Constitutionnelle, c’est qu’il est porté atteinte à des principes fondamentaux de notre profession tels que l’indépendance et le secret professionnel. Est-ce vraiment une victoire que de procéder ainsi et ne passons-nous pas, en cas de succès, pour des empêcheurs de légiférer en rond ?
Ne serait-il pas plus opportun que nous soyons entendus en amont, au centre des pouvoirs, plutôt que d’être satisfaits par tel ou tel arrêt de la Cour Constitutionnelle, longtemps après les dégâts de la norme abrogée.
Cela suppose une autre réflexion sur la gouvernance des Ordres locaux et communautaires, cela suppose une mise à disposition en moyens humains et financiers et une assemblée générale des bâtonniers convaincus qu’il est nécessaire de défendre la profession telle qu’elle est et non qu’elle devrait être.
Cessons d’envier les huissiers de justice, résistons, #agissons, luttons !
Le Bâtonnier de l’Ordre, André RENETTE.
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