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Prestation de serment au pays des mille collines
Des paysages verdoyants ainsi qu'une terre rouge et généreuse avec un climat idéal peuvent faire passer ce pays pour un coin de paradis sur terre. Un proverbe local dit « Dieu passe ses journées ailleurs, mais il rentre dormir au Rwanda ».
Pourtant, le 6 avril 1994, une roquette est tirée sur l’avion Falcon 50 ramenant au pays le président Rwandais Habyarimana, ce qui fut le signal déclencheur d’une des pages les plus noires – sans mauvais jeu de mots – de l’histoire de cette magnifique région des Grands Lacs, en Afrique de l’Est. En une centaine de jours, plus d’un million de personnes furent massacrées dans des actes d’une barbarie inouïe...
Et 21 ans plus tard, le 16 avril 2015, un avocat liégeois va prêter serment au Barreau du Rwanda, devant la Haute Cour de Justice.
Que s'est-il passé pour que cet engagement voie le jour ?
Le Barreau du Rwanda a été créé en 1997 sous l’impulsion de différents barreaux étrangers et d’ASF Belgique. A cette époque, ils étaient 37 à prêter le serment d’avocats.
Pour permettre aux mille collines de retrouver la paix, plusieurs confrères européens dont de nombreux liégeois vont se mettre au service de la Justice. Ainsi, certains ont été avocat devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda, d’autres sont intervenus dans le cadre de formations organisées par ASF, ou d’autres confrères ont eu des échanges fréquents avec les avocats rwandais.
Assez rapidement, début mai 2001, le Barreau de Liège et celui du Rwanda vont se rapprocher et signer une convention de jumelage à l’initiative des Bâtonniers André DELVAUX et Jean-Bosco KAZUNGU pour encourager la tenue d'échanges approfondis entre les avocats des deux barreaux.
Et cet engagement est fructueux puisqu’il est à ce jour à la base d’une vingtaine d’échanges entre les avocats rwandais et liégeois, pour la tenue de formations, de stages et autres interactions dans le but de s’enrichir mutuellement de nos expériences parfois fort différentes. [1]
Si l’approche peut paraître à la base un peu déroutante, on s’aperçoit, à l'exercice, que la conviction et la foi en la Justice d’avocats placés dans des circonstances peu confortables nous forcent à davantage d'humilité. Les échanges, notamment avec les quelques avocats plus anciens ayant prêté serment en 1997, et qui sont intervenus dans les dossiers des plus sensibles, sont autant d'occasions de prendre du recul et de la hauteur par rapport à notre profession et à nos engagements au quotidien.
Et aujourd'hui ?
L'année 2015 est à marquer d’une pierre blanche dans le développement des relations entre nos barreaux pour deux raisons.
Tout d’abord, une formation de trois jours a été organisé au mois d'avril dernier à l’initiative du Barreau du Rwanda, avec le soutien du Centre International de Formation en Afrique des Avocats Francophones (en abrégé le CIFAF).
A l'initiative de la Commission internationale de notre Ordre, le Barreau de Liège y a pris une part active en envoyant trois avocats en mission à Kigali (Jean-François Henrotte, Jean-Pierre Jacques et Jean-Philippe Renaud) pour dispenser près de la moitié des onze modules que comptait la formation en matière de déontologie et de Droit international privé.
Le nombre de participants était à faire pâlir tous les organisateurs de formations de notre Barreau (des inscriptions ont dû être refusées faute de place dans les locaux) : jusqu'à 250 participants en provenance principalement du Rwanda, mais aussi de la République Démocratique du Congo et du Burundi.
En outre, par une formation à horaire décalé dispensée en parallèle par Me Henrotte et Me Jacques, un accent particulier a été placé à destination des formateurs et avocats plus expérimentés en vue de développer leur capacité à transmettre leur savoir par différentes méthodes et techniques pédagogiques.
Ensuite, à l’occasion de ce déplacement, il a été organisé la prestation de serment au Barreau du Rwanda de notre confrère liégeois Jean-Pierre Jacques.
Ce geste dépasse son simple engagement personnel à poursuivre des interventions ponctuelles en qualité de formateur ou d’avocat devant les juridictions Rwandaises mais il a davantage été reçu comme le symbole du réel engagement du Barreau de Liège aux côtés de nos confrères Rwandais.
Les bâtonniers et membres du conseil de l'Ordre du Barreau du Rwanda ont tenu par leurs nombreux témoignages de sympathie et par leur présence, malgré un agenda aussi chargé que le nôtre, à s'associer à cette étape marquante.
Et demain ?
Kigali a construit un mémorial du génocide. Dans sa dernière salle, très sobre, une dizaine de belles grandes photos d’enfants avec un bref commentaire : nom, prénom, âge, ce qu’il aime manger, un trait caractéristique de sa personnalité, la dernière chose qu’il a vue et comment il est mort.
Il est difficile de rester insensible, et d'empêcher la gorge se serrer ou les yeux s’embuer. Ces quelques photos sont plus poignantes que toutes les images que l'on peut garder du massacre.
L'exposition nous rappelle que nous avons en tant que Belges une part de responsabilité dans ce qui s’est passé.[2]
Et les problèmes sont loin d’être résolus. Des tensions persistent encore. Les échauffements au Burundi voisin, d’apparence paisible, démontrent qu’il en faut peu pour mettre le feu à la poudrière.
Chacun peut œuvrer à sa mesure, à sa portée et selon son charisme pour une paix durable au pays des mille collines (à lire par exemple les entretiens avec le Dr Denis MUKWEGE, invité spécial du cycle des grandes conférences liégeoises le 28 mars dernier, par Collette Braeckman, parus aux éditions du GRIP, L’homme qui répare les femmes).
En 2014, le pays présentait une croissance de 7,1 pourcents provenant en partie des minerais présents au Kivu qui transitent par la « capitale la plus sûre du monde » (le coltan, qui contient le tantale, métal très résistant et conducteur, présent dans les processeurs des téléphones portables, attise bien des convoitises). Cette croissance a des répercussions sur le nombre d’avocats inscrits au tableau de l'Ordre : 1.056 en janvier dernier, dont près de 60 pourcents ont prêté serment en 2013 et 2014.
Les paysages magnifiques, grands lacs, volcans et gorilles ne sont donc pas les seuls attraits du pays : la richesse des rencontres et des échanges attendent les avocats liégeois !
Ce petit article peut donc sonner comme un appel aux volontés des jeunes et plus anciens désireux de perpétuer cet engagement de notre Barreau. Qu’il s’agisse de stagiaires désireux de tenter une expérience du métier à l'étranger, de patrons de stage acceptant de contribuer à la formation de stagiaires rwandais voulant parfaire leur connaissance du monde judiciaire, ou tout simplement de confrères prêts à mouiller leur toge dans un projet qui dépasse notre Barreau, on en ressort grandi, avec autant de peps pour retrouver ses dossiers restés au frigo dans notre bureau.
[1] On peut noter entre autres la représentation au fil des années des Bâtonniers Delvaux et Henry, ou d’autres membres du conseil de l’Ordre (Mes Pichault, Mabeth Bertrand, Verjus) notamment aux journées de commémoration du génocide et pour les vingt ans de la création du barreau ; quatre vagues d'accueil de stagiaires rwandais à Liège ; la présence de Me Gioe ayant remporté le concours de plaidoiries lors la conférence de la CIB à Kigali en décembre 2012.
[2] Pour mémoire, l’Allemagne va initier une différentiation ethnique entre hutu et tutsi sur base de critères morphologiques ; et sous la période du protectorat, la Belgique va instituer les cartes d’identité ethniques, alors que les distinctions sont à l’origine essentiellement claniques ou sociales et non culturelles ou linguistiques. Voir à ce sujet les travaux de l’historien français Jean-Pierre Chrétien qui présente la distinction préexistante davantage comme socioprofessionnelle, un hutu pouvant devenir tutsi et inversement.
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