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Pourquoi fallait-il être au Congrès d'AVOCATS.BE du 29 mai 2015 ?
Le vendredi 29 mai 2015… Ce jour fera peut-être date. Les présents pourront dire fièrement « j’y étais ! » à leurs jeunes stagiaires, les yeux embués d’admiration devant ces glorieux anciens qui ont réinventé la profession !
Les liégeois embarqués dans les autocars affrétés pour l’occasion ont dû se lever aux aurores. Leur supériorité numérique - démontrant, si cela était nécessaire, l’implication et le dynamise du barreau de Liège – sera leur récompense.
L’organisation bien rodée du congrès - annoncé à grand renfort de communication, parfois décalée - nous mène au pied des auditoires Socrates de Louvain-La-Neuve.
Notre petit sachet en papier rempli de goodies et de prospectus divers sous le bras, nous prenons place dans l’auditoire bondé pour écouter les différents intervenants.
Introduction
Le président d’AVOCATS.BE, Monsieur le Bâtonnier Patrick HENRY prend la parole pour remercier les présents et introduire cette journée bien chargée.
Présentation du rapport Horizon 2025
Me Françoise LEFEVRE, un des quatre rédacteurs du rapport Horizon 2025, nous présente ensuite les conclusions travaux de son groupe d’expert :
« On ne pourra pas dresser un mur de Berlin autour de la Belgique. »
Le ton est donné ! Les modifications qui apparaissent à l’étranger vont percoler en Belgique, qu’on le veuille ou non. Tôt ou tard, même si notre marché est petit et compliqué, notre métier n’a pas changé depuis des années mais il est amené à le faire à bref délai.
« Qu’est-ce qu’on veut être ? »
À l’unanimité, les experts ont estimé que l’avocat se caractérisait par l’indépendance, qu’il s’agissait du plus petit commun dénominateur d’une profession par ailleurs très diverse. L’avocat est un contre-pouvoir. Par rapport à la puissance étatique bien sûr, mais également par rapport à ses propres clients, l’avocat étant quelqu’un qui doit être en mesure de dire « non ».
Cette indépendance intellectuelle serait évidemment illusoire sans indépendance financière. La stratégie envisagée par les rédacteurs du rapport est à la fois très simple et très compliquée : l’excellence.
Très simple à comprendre, mais très compliquée à mettre en œuvre effectivement.
L’excellence doit, selon les experts, se retrouver à chaque niveau de la profession :
- lors des études, qui doivent s’ouvrir à d’autres disciplines que celles du droit pur : langues, gestion, informatique, soft skills ;
- l’excellence doit être une condition d’entrée dans la profession ;
- les cours CAPA doivent être réformés dans cet esprit, le rapport suggérant la mise en place d’une « école du stage » à la française de quatre mois ;
- au cours du stage, les « mauvais » maîtres de stage devant être écrémés au passage ;
- dans la gestion quotidienne (« apprendre à gérer son cabinet, ce n’est pas apprendre à mettre les correspondances dans la farde jaune et la procédure dans la farde bleue ») ;
- …
La spécialisation permettrait de répondre à cette demande d’excellence. Mais la spécialisation pose immédiatement la question de la survie des « solistes généralistes » (traduction poétique du terme anglais « sole practitioner »).
Si l’existence de ceux-ci n’est pas encore impossible, les experts recommandent toutefois la mise en place de méthode de collaboration « light » entre solistes, voire même à la mise en place de magasin de droit proposant un service total intégré (soliste généraliste, notaire, psychologue,..).
Au niveau de l’organisation de la profession, le rapport Horizon 2025 se veut innovant – mais ne s’agit-il pas là de l’objet même de ce congrès – et suggère la quasi-suppression des ordres locaux, lesquels seraient remplacés, pour l’essentiel, par deux ordres (francophone et germanophone d’une part, néerlandophone d’autre part) disposant de larges compétences. Ces deux ordres communautaires disposeraient ainsi de plus de moyens pour mettre en œuvre les réformes nécessaires à notre profession, notamment l’organisation d’une « vraie » école du stage.
Les deux ex-bâtonniers ayant participé à la rédaction du rapport ont toutefois introduit une concession en sauvant l’existence de leur institution, le rôle de proximité de celui-ci étant indispensable pour gérer les petites querelles locales.
Cette proposition, radicale mais logique vu l’évolution en cours, ne manquera pas de susciter de nombreux débats.
Envoi vers les ateliers
Me Geoffroy CRUYSMANS, co-directeur du colloque, prend ensuite la parole. Après avoir particulièrement remercié les confrères montois ayant sacrifié le doudou pour être présent au congrès et remarqué qu’il était dans la tranche « âgée » des présents, Me CRUYSMANS envoie les participants rejoindre leurs ateliers respectifs.
L’avocat augmenté
En bon technophile (qui a dit geek ?), je ne pouvais manquer de participer à l’atelier consacré à l’avocat augmenté, animé par Jean-François HENROTTE et François COPPENS.
Cet atelier était introduit par une présentation du logiciel d’intelligence artificielle d’IBM, WATSON.
WATSON est une intelligence artificielle dite « cognitive ». En voici une présentation.
Elle analyse des énormes quantités de données non-structurées (des articles de doctrine ou des jugements par exemple), en tire des signaux utiles (les faits, les concepts de droit, les décisions,…), fait des liens entre ces informations, formule des hypothèses de travail, les teste et propose ensuite des stratégies pour atteindre le résultat souhaité.
Il ne s’agit pas de science-fiction ou de projets expérimentaux qui ne sortent pas des laboratoires. IBM commercialise déjà cette technologie, qui est appliquée en médecine dans le traitement de certains cancers, en analyse financière, dans le support client – le logiciel peut converser avec un humain - , et même dans les enquêtes policières.
Pour l’heure, le secteur juridique ne semble pas être sur la feuille de route de cette entreprise. Mais la technologie s’ouvre et elle va de plus en plus vite. Il ne s’agit probablement que d’une question d’années avant que des applications concrètes soient proposées, même dans un petit marché comme le nôtre.
Me François Coppens introduit ensuite le débat menant aux propositions concrètes. Il part du principe – peut-être optimiste – que l’avocat et le juge ne vont pas être remplacés par des « robots »
Il identifie quelques moteurs technologiques utiles :
- Assemblage de documents ;
- Big Data, soit l’analyse d’énormes quantités de données afin d’en tirer des motifs statistiques permettant de faire des liens inédits entre différentes informations, notions ou concepts ;
- Conseil juridique en ligne ;
- ODR (Online Dispute Resolution) ;
- Intelligence artificielle ;
- Analyse sémantique et métadonnées.
Il prévient que ces technologies ne nous sont pas réservées. D’autres acteurs peuvent intervenir, comme les éditeurs juridiques qui ont la main mise sur la connaissance, et prendre différentes parties de notre marché.
Afin de lancer le débat, il met en avant quatre axes de réflexion :
- Déontologie
- Formation
- Financement
- Aide juridique
Les participants prennent ensuite la parole. Deux positions émergent dans un premier temps : ceux qui estiment que « cela ne marchera jamais, pas en Belgique, nous sommes trop petits et pas assez intéressants » et ceux qui demandent « combien ça coûte ? ».
Rapidement, le débat s’élargit sur les nécessaires compétences techniques de l’avocat et sur la répartition de l’information. Comment les avocats pourraient-ils maitriser des logiciels aussi complexes que WATSON alors que la grande majorité n’utilise leur traitement de texte qu’à 10% de ses capacités ? Comment les avocats pourtant créateurs majoritaires de doctrine et de jurisprudence pourraient-ils se réapproprier cette production et éviter que les éditeurs juridiques ne la récupèrent à leur profit, éventuellement pour alimenter une intelligence artificielle juridique qu’ils revendraient ensuite... aux avocats ?
La cloche sonne, trop rapidement, la fin de la récréation et nous devons interrompre ce passionnant échange pour nous sustenter.
Les rapports de clôtures
Le Congrès se conclut par la présentation des rapports des 10 ateliers. Ceux-ci ont été enregistrés et sont disponibles sur Youtube.
Chaque rapporteur, à l’invitation de Me Jean-François HENROTTE, second co-directeur du colloque, relate le cheminement suivi par les groupes de travail, aborde les problèmes identifiés et discutés (comme le syndrome du diadème ou encore le syndrome du sol collant ;-) et expose ensuite les propositions concrètes : la suppression de l’obligation de disposer d’un cabinet physique, la mise en place d’un projet pilote pour des « avocats d’État », la mise en place d’un contrat de collaboration type,…
Dominique MATTHYS, président de l’OVB, prend ensuite la parole. Il en ressort que nos confrères du Nord partagent les mêmes préoccupations que nous ainsi que, finalement, les mêmes pistes d’action.
Monsieur le Ministre GEENS félicite l’organisation du congrès et la vitalité des ordres qui cessent de pérorer et de réfléchir en alcôve pour agir sans tabou. Il déroule son – excellent - discours sur cinq points :
- la déontologie comme garante de la loyauté économique indispensable au marché ;
- l’importance du généraliste, à tout le moins dans le cadre de la formation initiale, l’idéal étant le généraliste spécialiste dans tous les domaines ;
- l’association comme moteur d’avenir, pour répartir les coûts et les compétences ainsi qu’aider à la féminisation ;
- L’assurance pour couvrir, spécialement, l’aide juridique avec, comme condition, une standardisation des honoraires ;
- La concurrence, qui se fera sur les valeurs : dévouement, qualité, excellence,…
Et de conclure en conseillant aux avocats de se comporter, vis-à-vis de leurs clients, comme un ami, le meilleur ami.
Monsieur le Président Patrick HENRY clôture cette riche journée en introduisant son discours par une anecdote personnelle, reflétant l’absurdité quotidienne de certaines pratiques judiciaires. L’objet du congrès est de développer dix propositions pour faire en sorte que nos règles nous permettent, à nouveau, de rendre un service compatible avec les exigences et les besoins légitimes des justiciables. Il reprend ces propositions en leur donnant, de son propre aveu, un tour encore plus volontariste. Ces résolutions formeront le cahier des charges de la modernisation de notre profession, indispensable au maintien de notre État de droit.
#Luttons ! #Agissons ! Et maintenant, #appliquons !
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