La médiation commerciale- interview de Mme F. Bayard

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L’erreur, c’est l’oubli de la vérité contraire – Pascal

Déborah Gol (D.G.) : Avant tout, pourriez-vous nous expliquer pourquoi et comment vous avez mis en place cette politique proactive en matière de médiation commerciale à Liège ?

FBAYARDFabienne Bayard (F.B.) : En tant que magistrat, j’ai eu l’occasion de vivre de profondes frustrations en constatant que des jugements prononcés –aussi bien motivés soient-ils – pouvaient n’apporter aucune réponse adéquate à une situation conflictuelle. Plusieurs raisons à cela : soit que la réalité des choses est difficilement qualifiable en droit, soit que la réalité telle qu’elle se présente aux parties n’est pas relatée de façon suffisamment complète au travers des écrits de procédure, soit qu’il y ait un aspect émotionnel dissimulé derrière la façade du droit. Lorsque je présidais des chambres de fond, c’est au travers des moments d’échange avec les parties elles-mêmes que je pouvais mesurer la distorsion qui existait entre une situation telle que présentée dans le contexte judiciaire et la réalité telle que vécue par les parties.

C’est cette frustration qui m’a amenée à m’informer sur d’autres manières de solutionner des conflits, et à prendre l’initiative de favoriser le processus de médiation.

Mais concrètement, seule, je ne serais pas arrivée à faire grand-chose ; je devais rendre ma frustration (contagieuse). Sensibiliser en interne au sein du tribunal n’a pas été difficile, nous avons beaucoup échangé et j’ai réalisé que certains collègues vivaient la même frustration que moi.

Après avoir fédéré mes collègues magistrats, la deuxième étape consistait à mobiliser le barreau. Pour moi, cela ne pouvait pas fonctionner sans les avocats mais, à la fois intuitivement, et au travers de discussions, je sentais que du point de vue des avocats, il y avait une réticence.  J’ai réuni des avocats médiateurs et non médiateurs pour faire passer l’information. Nous avons abouti à la signature d’un protocole d’accord relatif à la médiation, dans le cadre duquel le barreau s’est engagé à mettre à disposition, gratuitement, deux matinées par mois, des avocats médiateurs pour les permanences organisées au sein du tribunal, ce qui est remarquable. Je dois dire que j’ai aussi pu compter sur un bâtonnier et une « commission médiation » du barreau de Liège.  Ceux-ci ont en effet été réellement porteurs du projet, à travers notamment l’organisation d’un colloque, d’une conférence de presse, etc.

Concomitamment à ces démarches, j’ai rencontré une magistrate qui avait lancé une permanence de médiation au sein du tribunal de commerce de Bruxelles. Je me suis inspirée de ce qu’elle avait mis en place en l’adaptant à la réalité liégeoise.

D.G. : Si le barreau, en tant qu’institution, a réservé un accueil très positif à cette initiative, qu’en est-il des avocats à titre individuel ? Ils pourraient être réticents à l’égard de la médiation, tout simplement parce qu’il s’agit d’un processus de règlement des litiges dans lequel l’avocat est au second plan, du moins en apparence. 

F.B. : Je comprends cette réticence mais elle n’est pas fondée ; elle résulte selon moi d’une méconnaissance du processus de médiation. Je connais ce processus pour avoir moi-même eu l’occasion de suivre une formation pour devenir médiateur, et je peux affirmer que la présence de l’avocat est indispensable aux côtés du médié, a fortiori dans les matières commerciales.

Certes, sa présence apparaîtra à des degrés divers selon les étapes du processus. Il est vrai que lors de la première étape, qui sert justement à permettre aux parties de s’exprimer elles-mêmes par rapport à leur histoire, de vider leur sac, le bon avocat conseil du médié est en retrait complet. Je dirais même que, plus il sera muet, plus il donnera l’occasion à son client de vider complètement son sac et donc des chances d’aboutir, sans laisser de côté des frustrations non exprimées. Mais pour que cette étape fonctionne bien, il aura été nécessaire qu’au préalable, l’avocat du médié ait bien expliqué à son client le processus, les conditions dans lesquelles il se déroule, son caractère volontaire et la possibilité de l’interrompre à tout moment, etc. L’avocat a ici un rôle d’information.

C’est surtout dans le cadre des autres étapes du processus que l’avocat reprend son rôle naturel, plein et entier, pour aider les parties à envisager des solutions dans un cadre légal. C’est d’ailleurs lui qui sera amené à collaborer à la rédaction des conventions, susceptibles d’être homologuées par le tribunal.

Il est indispensable que l’avocat ait été présent aux séances qui précèdent, même en retrait, pour qu’il puisse bien cerner l’enjeu, de façon à lui permettre de bien récupérer le client, le recadrer, pour l’aider à s’orienter vers les étapes ultérieures et aboutir à une solution.

C’est clairement une autre façon de faire son métier mais le rôle de conseil de l’avocat est bien présent. C’est un changement de perspective qui consiste à se mettre réellement à la place du client, à continuer à jouer son rôle de conseil tout en se demandant ce qui est le mieux pour son client, au regard de la solution globale à la situation dans laquelle il se trouve, au-delà de la question de savoir qui va gagner ou perdre le procès.

D.G. : La médiation pose aussi la question du coût ; il faut ajouter aux honoraires de son avocat celui d’un médiateur. Vu les restrictions budgétaires actuelles, cette mesure ne participe-t-elle pas d’une volonté de désengorgement des juridictions, à moindres frais pour l’État, en contribuant à la création d’une justice à deux vitesses ?

F.B. : Si on compare le coût d’une médiation à celui d’une procédure judiciaire, celle-ci n’est pas nécessairement moins coûteuse ; il faut payer les droits de mise au rôle, des honoraires d’avocats tout au long de la procédure, exposer le cas échéant des frais d’exécution. Et à l’avenir, il faut s’attendre à des mesures qui augmenteront les frais de justice.

Ma conviction est qu’en réalité, une médiation sera nécessairement moins coûteuse. D’abord parce que les médiations aboutissent dans un délai bien plus rapide que les procédures judiciaires. En moyenne, une médiation prend 6 heures. Ensuite, une médiation qui aboutit va mettre fin définitivement à un litige qui, s’il n’était pas allé en médiation, aurait dû faire l’objet d’une mise en état, d’une procédure d’instance, et le cas échéant d’appel avant d’avoir une décision définitive, qu’il faudra encore exécuter. Cela prend énormément de temps. C’est vrai que c’est coûteux en effet (si on voulait une médiation gratuite, il fallait permettre aux magistrats de devenir médiateurs, or c’est le contraire de l’option choisie par le législateur), mais si vous faites le compte de ce que représente le procès, la médiation est en fait plus avantageuse.

Mais il y aura toujours des dossiers qui n’iront pas en médiation, parce qu’il y aura toujours des parties qui veulent « en découdre », et aussi parce que certains dossiers ne s’y prêtent pas.

D.G. Justement, quels sont les dossiers pour lesquels la médiation vous semble particulièrement appropriée ?

F.B. : Je précise d’abord que, même en matière commerciale, la médiation peut intervenir dans tous types de procédures. Mais il y a effectivement des dossiers plus propices. De manière générale, c’est le cas lorsque l’aspect émotionnel est prédominant, ou lorsque les parties ont un intérêt à poursuivre leur collaboration malgré la survenance du conflit. C’est aussi le cas lorsque plusieurs procédures sont introduites, de part et d’autre, de sorte qu’à un moment donné, les justiciables se demandent dans quelle galère ils se sont embarqués. Dans ce cas,  la médiation peut permettre de dégager une solution globale. De même, les litiges dans le cadre desquels une demande reconventionnelle a été introduite, en présence de parties qui s’opposent des prétentions réciproques.

Pour les petits litiges, je pense que la médiation n’est pas appropriée eu égard à l’enjeu, tandis que les litiges de moyenne importance (disons de 5.000 à 10.000 euros) sont plus propices à la conciliation réalisée par des magistrats.

Les litiges qui posent des problèmes juridiques pointus, qui ne laissent pas beaucoup de place à la subjectivité, sont également peu propices.

Cela étant, lorsque des problèmes techniques interviennent dans un litige, il faut savoir qu’une expertise peut aussi être réalisée, à tout moment, dans le cadre d’une médiation, pour répondre à une question technique lorsqu’elle apparaît nécessaire pour solutionner le conflit.

Déborah Gol

D.G. : Lorsque les parties recourent à la justice après avoir le sentiment d’avoir tout tenté pour se concilier (par exemple, après de nombreuses tentatives de négociation qui ont échoué), leur réaction, lorsqu’elles reçoivent l’invitation à la médiation du tribunal est parfois de considérer qu’il est « trop tard » désormais pour chercher à transiger. Quel est votre sentiment par rapport à cela ?

F.B. : Ils ne peuvent pas dire qu’ils ont tout essayé s’ils n’ont pas essayé la médiation. Cette réaction témoigne à nouveau, à mes yeux, d’une méconnaissance du processus de médiation, qui est bien différent de la négociation. La particularité de la médiation, c’est l’intervention d’une tierce personne qui va jouer un rôle particulier de par sa neutralité, afin de faire émerger des parties elles-mêmes la solution au litige. A la différence d’un processus de négociation « classique », l’objectif poursuivi est, après avoir permis aux parties de vider leur sac, de cerner l’essentiel pour elles, qui peut d’ailleurs apparaître comme étant totalement différent du résultat recherché dans le cadre de la procédure. Par exemple, certaines parties souhaitent simplement obtenir de l’autre qu’il reconnaisse sa responsabilité, ou bien cesser leurs activités professionnelles et quitter la société, ce qu’elles n’avaient jamais eu l’occasion d’exprimer jusque-là. On aboutit parfois à une solution qui n’est pas du tout celle qu’on avait imaginé au départ, qui est bien plus orientée sur l’avenir que sur le passé, ce qui est toujours plus enthousiasmant.

Donc pour moi, non, il n’est jamais trop tard. Parfois, le déclic se fait même après le prononcé du jugement d’instance. Plusieurs fois, j’ai eu des feed-back d’avocats me disant que suite à une décision défavorable, les parties se sont mises autour de la table.

D.G. : Il arrive que les parties craignent que la position qu’elles prennent face à l’invitation en médiation soit « mal vue » par le tribunal, soit comme une intransigeance de mauvais aloi en cas de refus, soit comme un signe de faiblesse ou de manque de confiance en son dossier, en cas d’acceptation.

F.B. : Le tribunal n’a pas à juger de l’acceptation ou du refus d’aller en médiation. Je peux vous assurer qu’on ne tire aucune déduction de l’attitude du justiciable par rapport à la proposition qui est faite. Cela étant, dans les dossiers dont on garde la conviction que c’est la médiation qui est appropriée, il est très fréquent qu’on la propose une nouvelle fois après les plaidoiries.

Je voudrais rappeler que le jour où une partie viendrait à penser que le magistrat pourrait lui tenir rigueur de la position adoptée à l’égard de la médiation, par exemple parce que ce magistrat s’est beaucoup avancé pour convaincre les parties d’y recourir, il est toujours possible de demander que l’affaire soit fixée devant un autre magistrat.

D.G. : Y a-t-il un message particulier que vous souhaiteriez adresser aux avocats au sujet de la médiation ?

F.B. : Je souhaiterais que les avocats encouragent, ou à tout le moins laissent leurs clients aller s’informer lorsqu’ils y sont invités. Aller prendre l’information, cela n’engage à rien.

C’est parce que nous avons conscience de la nécessité d’avoir une bonne connaissance du processus de médiation pour pouvoir mieux décider de s’y engager ou pas que nous avons mis en place ces invitations. L’idée percole bien au sein du barreau (je constate que de plus en plus d’avocats suivent des formations axées sur le conseil aux parties dans le cadre de la médiation) mais il arrive encore que les avocats ne donnent pas la chance à leur client de venir écouter, peut-être parce qu’ils veulent garder la maîtrise du procès, ou par peur de la réaction du client, qui pourrait douter de leur engagement dans le dossier. Il faut pouvoir dire à son client qu’il est le premier juge de la situation.

D’ailleurs, dans les projets à venir, on va vers l’instauration, dans toutes les juridictions, d’une chambre de règlement amiable comme au tribunal de la famille avec une information préalable obligatoire sur les modes alternatifs de règlement des litiges. On ne peut pas obliger les gens à y aller mais on peut obliger les gens à s’informer, c’est essentiel qu’ils le fassent.

Propos recueillis pas Déborah Gol.

Déborah Gol

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