Partager sur
Le mot du Bâtonnier
La justice en faillite.
Le vendredi 16 novembre 2012, à l’occasion de la Rentrée du barreau de Liège, Monsieur le Bâtonnier Eric Lemmens avait dénoncé « la faillite globale du ministère de la justice ».
Mon prédécesseur soulignait à juste titre, outre la faillite permanente de l’aide juridique que « le ministère n’est plus en mesure de payer les traducteurs, les interprètes, les médecins, les dentistes, les soignants qui interviennent dans les prisons, etc… ».
Deux ans plus tard, quasi jour pour jour, le dimanche 23 novembre 2014, même constat, le nouveau ministre de la justice, notre confrère Koen Geens, sur le plateau de la RTBF, invité de l’Indiscret de Mise au Point, relativisant le montant des factures ouvertes dans son département selon la Cour des Comptes qui faisait état de 186.000.000 €, ne reconnaissait qu’un montant « espéré » de 136.000.000 € expliquant par ailleurs que la comptabilité du SPF Justice n’était pas probante en ces termes : « Notre méthode de comptabilité n’est pas à jour, assez moderne, pour saisir ce déficit ».
(136.000 ou 186.000 € c’est beaucoup d’argent, soit respectivement 1,5 et 2 X le budget du BAJ).
Le lundi 24 novembre 2014, le ministre du budget, notre confrère Hervé Jamar, souhaitait connaître les créances certaines et exigibles du ministère de la justice et dégageait quelques 60.000.000 € de la provision interdépartementale pour les honorer.
Le sous-financement chronique de la justice en Belgique est donc une volonté politique communément partagée par tous les partis politiques qui se sont succédés au pouvoir.
L’état de cessation de paiement de la justice est une vieille rengaine qui ne fait plus chavirer personne et ne suscite aucune émotion dans l’opinion publique mal informée et peu disposée à l’être.
A cela ajoutons le fait que, pour un homme politique, il n’est pas porteur sur le plan électoral d’être ministre de la justice : cela fait perdre des voix à chaque titulaire.
Faisons donc contre fortune bon cœur, le candidat au suicide politique est un homme de qualité, connu et reconnu dans le monde judiciaire qui, lorsqu’il était ministre des finances, a marqué de son empreinte nécessaire la directive TVA applicable aux avocats et avec un certain bonheur, doit-on reconnaître, dans la mesure où l’administration ne connaissait rien de rien, à la spécificité et à la diversité de notre profession.
Il faut donc faire au nouveau ministre le crédit et la confiance que l’on doit faire à la nouvelle fonction et à l’homme de qualité tout en conservant la fraîcheur de notre esprit critique et de notre vigilance.
La Rentrée d’un barreau est un moment exceptionnel dans l’année dans la mesure où il permet de parler des préoccupations de la profession, au nord comme au sud de notre pays, mais également avec ses interlocuteurs étrangers.
Le commun dénominateur des problèmes de justice en Europe est celui de l’accès à la justice.
A ce sujet, les chiffres précités, qui donnent le tournis, sont un avertissement sans frais quant à la médiocrité des avancées en matière d’aide juridique alors que voici quelques mois en période électorale, tout le personnel politique en avait la bouche pleine et bombait le torse en matière de propositions rassurantes : il n’y avait qu’à…etc…
YAKA et votez pour moi.
Évidemment, les promesses n’engagent que ceux qui les entendent et nous voilà maintenant avec un gouvernement, un budget, un ministre et la réalité. Que faut-il faire ?
J’ai pu le constater personnellement lors de la rencontre avec les membres de la commission justice de la Chambre, nos Ordres communautaires, l’OVB et AVOCATS.BE parlent d’une seule et même voix et se sont engagés à faire au ministre et aux parlementaires des propositions concrètes, les divergences entre les deux Ordres communautaires étant mineures par rapport à l’essentiel de leur contenu.
Tant l’Ordre communautaire que les Ordres locaux doivent s’investir dans un lobbying de qualité, adapté et professionnel, utilisant les moyens modernes de communication.
Reconnaissons que nous ne sommes pas très bons dans ce domaine, voire même très mauvais et que, tant à l’égard de la société politique que de la société civile, la marge de progression de notre capacité à convaincre et défendre nos principes est très impressionnante.
Cette année, le conseil de l’Ordre, dans le prolongement de la période électorale, a invité à plusieurs reprises des représentants de la société politique à ses séances. Nos confrères, Willy Demeyer et Jean-Claude Marcourt, Monsieur l’avocat honoraires Thierry Giet, Madame la Députée Muriel Gerkens, nous ont donné les descriptions lucides et franches de l’image de notre profession au sein des parlements fédéraux, communautaires et régionaux et aussi nous ont donné quelqu’espoir et remarques sur la méthodologie de la communication et du lobbying.
Plus que jamais, je réaffirme que les valeurs et principes que véhicule notre profession sont d’une totale modernité, contrepoint de l’amoralité de l’économie et de la finance qui fragilisent tant nos sociétés.
Battons-nous jusqu’à la dernière goutte de sang pour ces valeurs et principes et abandonnons la politique effarouchée du drapeau blanc dès que celles-ci sont écorchées.
L’arrêt TVA du 13 novembre 2014 de la cour constitutionnelle en est un exemple. Il ne faut jamais baisser les bras.
Refusons d’être les curateurs de la faillite (tactiquement annoncée) de la justice.
Luttons (copyright Maître Patrick Henry, président d’AVOCATS.BE).
Ajouter un commentaire