Le mot du Bâtonnier

Bâtonnier

 src=Sans flagornerie pour les organisateurs, il y aura dans ma vie d’avocat un « avant » et un  « après » le colloque Tomorrow’s Lawyer, qui s’est tenu ces 20 et 21 février au Palais des Congrès.

La très haute qualité des interventions était malheureusement inversement proportionnelle à la présence des jeunes confrères à qui ce colloque était dédié.

Pourrais-je entretenir la naïveté de croire que tous visionnaient la conférence en streaming sur leur tablette ou smartphone, instruments techniques qu’ils maîtrisent mieux que nous ? Non, la réponse est non, et je ne vais pas me vautrer dans ce wishful thinking.

Dans 20 ou 30 ans, qui se souviendra encore de ces mots et, moi-même, serais-je toujours en mesure de me souvenir de vous ?

Dans 20 ou 30 ans, le monde en général, le monde judiciaire et notre profession auront changé dans une radicalité dont la prévision nous a été annoncée.

Nous sommes au balbutiement de la révolution informatique.  Demain, la délivrance de l’information sur le droit, qui est encore une de nos activités rémunérées, aura disparu au profit de bases de données colossales, beaucoup plus intelligentes que nous, et accessibles à tous.

Certaines existent déjà qui délivrent à leurs consommateurs le pourcentage des chances de succès de la défense de leur thèse juridique en justice, bien évidemment dans un système de common law où le précédent est roi.

Un clic et hop vous apprenez que vous avez 75 % de chance de gain dans votre procédure.

Les marchands de droit ne nous attendent pas, et ils ne nous demandent pas l’autorisation, poliment, de nous tirer des croupières sur ce que nous croyons être le précarré de notre marché, que nous érigeons en forteresse illusoire, et qui s’avère être une maison de papier.

Assurément vous allez vous ruer sur l’ebook mis en vente par Larcier, et accessible gratuitement pour ceux qui se sont inscrits à ce colloque.

Ce que je veux retenir comme un des nombreux enseignements de ces deux journées, c’est que la profession d’avocat est la seule profession individuelle et/ou indépendante qui ne peut s’exercer que collectivement.

Notre indépendance est non seulement garantie, jusqu’à ce jour, par des décisions de la Cour de Justice de l’Union Européenne, mais elle l’est essentiellement par le biais de la solidarité professionnelle et la défense de la profession qu’exercent les ordres locaux et communautaires.

J’aimerais un jour trouver un mot plus fort que le simple « merci » pour gratifier les confrères qui s’impliquent sans compter dans un travail intense au service de la collectivité de notre barreau.

Je n’ai pas la prétention de les connaître tous, mais je puis vous assurer que l’attention que le conseil de l’Ordre leur porte me permet de vous dire, hélas, que ce sont souvent les mêmes, et qu’ils peuvent être comptés dans un barreau qui totalise 933 âmes aujourd’hui.

Constat amer : celui du nombre de ceux qui s’impliquent dans le service aux autres.   Ils sont trop peu nombreux.

Ce 14 mars au séminaire résidentiel du centre de formation permanente, face aux stagiaires de 1ère année des barreaux de Liège, Marche-en-Famenne, Eupen, Arlon et Verviers, j’ai tenu ce discours qui peut se réduire en deux mots : « engagez-vous ! »

L’ultralibéralisme qui nous conduit à la marchandisation du service juridique n’a besoin que d’un petit moteur, monocylindre : l’individualisme. C’est la fatuité de notre époque moderne que d’entendre rabâcher la phrase : « ici et maintenant, tout, tout de suite, satisfaisons nos besoins ».

Mais que nous ont-ils dit ces brillants orateurs les 20 et 21 février pour sauver l’avocat : faites l’avocat, remettez votre robe ainsi que le précisait François Ost, partez à la reconquête de vos valeurs, et principalement celle du désintéressement.

André RenetteOsez affirmer que le métier d’avocat est fondé sur l’intégrité, l’empathie de l’autre, le besoin d’humanité, la reconquête d’un lien social auquel se heurte une situation de conflit permanent et la collision perpétuelle des intérêts contradictoires.

Oui, nous avons besoin de l’historien, du philosophe, de l’anthropologue pour nous ouvrir les yeux, nous réveiller, métaboliser nos inquiétudes, notre anxiété nombrilique.

De grâce, évitons au barreau que le seul lien social soit une relation client-fournisseur entre ceux qui, parmi nos confrères, attendent un service et la minorité de ceux qui les délivrent.

Avocats.be c’est nous, l’Ordre c’est nous, le Barreau c’est nous.

Si le temps nous est compté, il y a un temps à partager en commun, au service de la collectivité du barreau, un temps qui échappe à tous les time-sheet et qui rapporte autant en terme de satisfaction personnelle et de bénéfice aux autres.

On n’y perd donc ni son temps ni son argent, on s’enrichit d’un enthousiasme contagieux.

« Engagez-vous ! »

C’est par cet échange transgénérationnel, c’est par un désir de partage de nos valeurs, de la défense de celles-ci, par cet engagement qui fait appel à nos « âme et conscience » selon notre serment d’avocat, que nous pourrons demain, dans nos cabinets, dans notre individualité, rendre le meilleur service qui soit aux justiciables.

C’est par ce réveil de notre conscience éthique en tant que profession, que débute le chemin de l’avenir car, la connaissance technique et la technique de la connaissance, d’autres que des avocats peuvent se l’accaparer, et se l’accaparent.

Le Bâtonnier de l’Ordre,

André RENETTE

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