Partager sur
46664
46664 était le numéro de prisonnier de Nelson Mandela depuis le début de sa détention en 1964 jusqu'à sa libération en 1990. C'est aussi le titre donné à une série de concerts organisés par la Fondation Nelson-Mandela en faveur de la lutte contre le sida et ayant comme slogan : « Aids is no longer just a disease, it is a human rights issue. » (« Le sida n'est plus une simple maladie, c'est un enjeu des droits de l'Homme. »). Ce numéro est encore utilisé comme référence honorifique à l'ancien prisonnier Nelson Mandela, victime du système de l'apartheid. Ce numéro n'est pas une simple référence, Mandela était le 466e prisonnier incarcéré à la prison de Robben Island en 1964. Je ne voudrais pas imiter Rafael Nadal qui, via son compte twitter, annonçait la mort de Madiba et prends donc toutes les précautions oratoires et d'usage à l'égard de ce prix Nobel de la Paix. Il n'en reste pas moins que la personnalité suscite une admiration et un respect international sans limite et ce, indépendamment de son état de santé préoccupant. Pourtant, lorsqu'il était le leader de l'ANC, Mandela n'a jamais été un prisonnier d'opinion soutenu par Amnesty international dès lors qu'il prônait la lutte armée pour atteindre les objectifs politiques de son mouvement. Et que dire de l'avalanche de critiques auxquelles a du faire face le chanteur Paul Simon lorsqu'il sort son album "Graceland" en 1986. En 1986, l'apartheid battait son plein en Afrique du Sud et l’album est considéré comme politiquement incorrect. Parce qu’il avait été enregistré à Johannesburg. Paul Simon fut notamment accusé de briser le boycott culturel et de cautionner le régime nationaliste autoritaire et ségrégationniste de P.W. Botha. L’hebdomadaire musical anglais NME titrera sur lui : « Le fruit pourri de l'apartheid » (the Rotten Fruit of Apartheid).
Pourtant l’album ne prend aucun parti idéologique (il n’y a pas de chanson anti-apartheid dans le style des protest songs dont Simon était familier dans les années 60 et 70), le comité anti-apartheid des Nations unies a reconnu qu’il n’apportait aucune caution au gouvernement sud-africain tout en permettant aux artistes noirs sud-africains de bénéficier d’une exposition rare et nécessaire. S’il a techniquement violé l’interdiction, le fait de la braver et d’aller au-devant des artistes sud-africains était en soi une prise de position contre l'apartheid. On note aussi qu’il fit venir à New York plusieurs musiciens sud-africains pour enregistrer certaines parties de l’album. Lors de la tournée qui suivit aux États-Unis et en Afrique, Paul Simon s’assura la collaboration de la chanteuse Myriam Makeba et du musicien Hugh Masekela, qui avaient tous deux quitté l’Afrique du Sud dans les années 60 pour des motifs politiques et qui pouvaient difficilement être soupçonnés de cautionner le régime. Avec le recul, il est aujourd'hui incontestable que l'album "Graceland" a laissé un impact durable sur la culture musicale contemporaine par sa volonté de faire se rencontrer des univers musicaux jusque-là étanches. Et c'est là le cœur de toute action politique au sens noble du terme: dépasser les stéréotypes, les barrières morales, élargir la vision sans compromission et dans le respect d'une éthique. Cette action doit encore nous inspirer aujourd'hui plus que jamais à l'heure de la mondialisation. Celle où le vêtement acheté dans cette marque à un prix défiant toute concurrence ne peut nous faire oublier les conditions dans lesquelles il a été fabriqué ni le nombre de morts que le bâtiment hébergeant ses ouvriers au Bangladesh laisse dans ses décombres... L'éthique a un prix. Notre déontologie aussi. Plus élevé demain encore mais garant de notre indépendance et de notre intégrité. Saurons-nous, comme Paul Simon, forcer les portes et braver les interdits ? Jean-Pierre JACQUES, rédacteur en chef
Ajouter un commentaire