La déontologie devant les juridictions pénales internationales: un colloque fondateur

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 width=Je dois bien le confesser sans fierté aucune : les colloques, séances de formation et autres conférences, ça m’assomme. Un vrai supplice. La dernière chronique de jurisprudence relative à l’application dans le temps de la nouvelle loi sur les substances hallucinogènes, ceux qui aiment ça, pour moi, ce sont des héros. Non, vraiment, je n’aime pas. Je n’ai pas le temps. C’est trop pour moi. Francis TEHEUX ne me ratera pas mais tant pis…

Sauf…

Sauf si c’est bien fait. Si on sort des sentiers battus. Si on est là pour réfléchir à l’avenir du Pays ou du Monde, en tant que juristes, dans tel ou tel domaine particulier. Si, à cette occasion, on rencontre des gens venus d’autres horizons, d’autres pays, d’autres continents. S’il y a de la réflexion commune et du désir construction de quelque chose de meilleur. S’il y a tout cela, c’est différent bien sûr : je ne dis plus rien, je cesse de maugréer et je m’inscris.

Tombe sur mon Outlook, courant janvier dernier, un  message original :

« Le Barreau de Liège et le Barreau Pénal International présentent :

LA DEONTOLOGIE DEVANT LES JURIDICTIONS PENALES INTERNATIONALES

ETHICS BEFORE INTERNATIONAL CRIMINAL COURTS (ce qui, on le voit tout de suite, veut dire la même chose)

28 FEVRIER ET 1ER MARS 2013 - LIEGE (BELGIQUE) »

Eh bé !

L’expéditeur du mail s’est même fendu  d’une introduction :

« Les questions déontologiques relatives à la profession d’avocat sont parmi les plus grands défis auxquels vont être confrontées les juridictions pénales internationales dans les prochaines années. En effet, le nombre croissant d’affaires examinées par celles-ci ont démontré combien ces questions se posent avec une acuité particulière. Confrontés aux pratiques judiciaires issues des différents systèmes juridiques, les avocats ont dû construire une éthique de la profession sur des bases essentiellement empiriques (…) L’essence même des questions envisagées transcende cependant la profession et n’est donc pas l’apanage des pénalistes ou des internationalistes. La déontologie est l’affaire de tous car elle nous concerne tous »

Il n’y a pas à dire : celui qui a écrit cela sait écrire…

J’en parle à Sibylle (GIOE), qui revient de Kigali, auréolée de sa victoire au concours de plaidoirie du 27ème Congrès de la CIB. Enthousiaste !

Allez, hop ! On s’inscrit…

 width=Et le 28 février 2013, nous y sommes.

Nous ne sommes « que » quatre vingt mais nous venons de partout : sont là, outre quelques Belges, des Français, des Espagnols, des Burkinabés, des Anglais, des Nigérians, des Congolais, des Hollandais, des Suisses, des Espagnols, des Canadiens, des Rwandais, des Italiens, des Gabonais, des Guinéens, des Luxembourgeois, des Maliens, des Roumains, des Sénégalais, des Iraniens.

La plupart ne sont venus à Liège que pour ce colloque : ils ont pris l’avion hier et ils le reprennent après-demain.

Pourquoi un tel engouement ? Parce que l’introduction que j’avais lue en janvier ne mentait pas : l’internationalisation du droit pénal pose d’énormes difficultés, au quotidien, en termes de déontologie. La Cour pénale internationale, de même que les tribunaux spéciaux, fonctionnent sur base de principes parfois antagonistes : le système anglo-saxon et le nôtre ne se marient pas facilement, en matière de preuve notamment. Comme on le sait, les avocats relevant du modèle anglo-saxon effectuent leurs propres investigations, contactent les témoins, préparent les audiences avec eux tout naturellement. Pour nous, c’est inacceptable. Pour eux, c’est l’ABC du métier. Comment concilier de tels systèmes ?

C’est sur de telles questions, et sur bien d’autres, qu’entendait se pencher le colloque.

 width=Sous la présidence de Maître Luis del Castillo, ancien Bâtonnier du Barreau de Barcelone et Président du Barreau Pénal International,  ainsi que de notre propre Bâtonnier, Eric Lemmens, de nombreux intervenants se sont succédés, en français et en anglais (avec traduction simultanée) à la tribune : la liberté d'expression de l'avocat, le droit au procès équitable, la place du Barreau Pénal International,  la pratique du Comité de discipline de la Cour pénale internationale, ou encore, avec un Jean-Louis Gilissen passionnant, la représentation légale des victimes, sont quelques uns des thèmes qui ont été abordés.

Retient aussi l’attention, au niveau de la CPI, une institution tout à fait particulière : le Bureau du Conseil Public de la Défense (OPCD), financé par le Budget de la CPI, qui dépend administrativement du Greffe mais fonctionne en (relative ?) indépendance. L’OPCD n’est pas à confondre avec l’avocat de la défense, librement choisi par le prévenu. Sauf commission d’office ou mandat exprès du client lui-même, son rôle est notamment de veiller de façon préventive, à tous les stades de la procédure, depuis l’enquête préliminaire jusqu’à la phase de jugement, au respect des droits de la défense et à donner aux conseils des prévenus des informations juridiques pointues sur tel ou tel aspect de la procédure.

 width=Notre confrère, Maître Xavier-Jean Keïta, chef de l’OPCD nous a exposé les difficultés que rencontrait son Bureau. Alors qu’il est lié administrativement avec le greffe, le mandat de l’OPCD a été adopté par les Juges de la Cour eux-mêmes et figure au sein du Règlement de la Cour. Ce mandat précise qu’il est en charge des droits de la défense au stade préliminaire, et qu’il assiste les équipes de défense et les Conseils, ainsi que tous suspects ou accusés comparaissant devant la CPI, sans distinction de moyens ni de revenus. Le Bureau peut être commis d’office par les juges ou choisi parmi les Conseils de permanence. Me Keïta a ainsi été le premier Conseil de Germain Katanga en Octobre 2007 (2ème suspect de la CPI). C’est aussi sur commission d’office que Me Keïta et sa collaboratrice ont été désignés par la Chambre en décembre 2011 pour assister Saif Al Islam Gaddafi, le fils du dictateur libyen. Dans l’organigramme de la Cour, le Bureau n’en demeure pas moins un appendice, non un organe à part entière.

Son homologue au Tribunal Spécial pour le Liban, Maître François Roux, est venu expliquer en quoi son bureau représentait une évolution notable dans la conception du travail des avocats depuis la création de la Cour pénale internationale en 1998. Créer un Bureau de la défense en tant qu’organe indépendant, sur le même pied que le greffe, le Procureur et les chambres était un défi colossal qui a été relevé lors de la mise en place du Tribunal Spécial pour le Liban. Détaché du greffe et donc totalement indépendant tant administrativement que financièrement, le Bureau de la défense dirigé par Me Roux apparait  comme l’évolution la plus significative quant à la place des avocats devant les juridictions pénales internationales contemporaines.

Une résolution a été prise, lors de la clôture des débats, portant le nom de “résolution de Liège”. Elle affirme le soutien des participants à l’existence d’un Bureau indépendant sur le modèle du Bureau de la Défense du Tribunal international spécial pour le Liban et promeut l’idée de la création d’un cinquième organe au sein de la CPI dédié à la Défense.

Cette résolution, issue d’un débat qui s’est avéré sur ce point plus laborieux que prévu, n’est bien sûr que le point de départ d’une réflexion plus large sur le fonctionnement des juridictions pénales internationales, ainsi que  sur les règles du vivre ensemble, qui sont les plus importantes de toutes en définitive, au sein de cette Justice à l’échelle de l’Humanité.

Le plus important était d’initier ce débat, couronné le jeudi d’une réception à l’Hôtel de Ville et le vendredi au Palais Provincial, soulignant ainsi l’importance de l’événement en terres liégeoises.

Que le Barreau de Liège ait attiré chez nous, venus de tous les coins du monde, des individus désireux de l’entamer, dans une ambiance aussi studieuse que chaleureuse et confraternelle, est  tout simplement magnifique.

L’on rendra grâce au directeur scientifique de ce colloque, Jean-Pierre JACQUES, à notre Bâtonnier et à Muriel BOELEN de l’avoir si bien mis sur pied, et de nous avoir ainsi donné  une nouvelle occasion d’être fiers de notre Barreau.

Didier GRIGNARD

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