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Le mot du bâtonnier
Madame et Messieurs les Bâtonniers,
Chers Confrères,
L’année judiciaire 2012 – 2013 pourrait bien être, pour l’institution judiciaire, celle de profondes réformes.
Réforme du paysage judiciaire d’abord, puisque le nombre d’arrondissements devrait être de douze au 1er janvier ou au 1er avril 2014. Au sein de chaque arrondissement, tous les juges de paix et de police devraient être mobiles en fonction des besoins et des choix d’un magistrat qui en présiderait l’ensemble. De même, certaines matières requérant du magistrat comme de l’avocat une haute spécialisation (les droits intellectuels par exemple) devraient-elles être centralisées en un lieu unique au sein de chaque arrondissement. Par contre, les lieux d’audiences décentralisés seraient maintenus et assureraient la proximité entre la justice et les justiciables, tandis que les magistrats eux-mêmes seraient de plus en plus spécialisés et mobiles au sein de chaque nouvel arrondissement. Enfin, les nouveaux chefs de corps de ces arrondissements devraient être proposés par le Conseil Supérieur de la Justice dans le courant du deuxième semestre 2013.
Tout cela sera fort bien, et le service public de la justice pourra – acceptons-en l’augure – s’en trouver amélioré. Il n’en ira ainsi qu’à trois conditions.
D’une part, il faudra que les esprits évoluent au même rythme que le cadre institutionnel, pour que mobilité et spécialisation ne soient pas que des mots. Tous les magistrats et les chefs de corps que j’ai rencontrés sont animés de cette volonté sans laquelle rien ne sera possible, et nous ne pouvons que nous en réjouir.
D’autre part, il faudra que, à l’instar de la France notamment, l’informatisation de la justice devienne enfin une réalité. Il y a beau temps qu’en France les avocats déposent leurs actes de procédure et leurs conclusions signés électroniquement par mails dans tout le pays. Il n’est plus ni compréhensible ni admissible que notre petit pays s’en montre aujourd’hui encore incapable, et que l’informatisation de la justice en soit encore trop souvent à l’âge de la pierre. Si de réels progrès sont réalisés, comme la numérisation des dossiers répressifs ou la transmission de certaines décisions par mail, ces progrès ne sont possibles que par le travail et la volonté de certains, magistrats et greffiers, qui y consacrent du temps et de l’énergie, là où cette tâche devrait reposer sur l’ensemble de l’institution judiciaire et son administration. Que dire par ailleurs de l’immobilisme consternant du législateur, qui n’a pas encore été capable de rédiger et d’adopter un texte de loi pourtant simplissime permettant le transmis par mail de toutes les décisions, pénales et civiles ?
Enfin, si le Gouvernement doit encore réaliser 4,6 milliards d’économies lors de la confection du budget 2013, il ne convient pas que cet ambitieux projet devienne prétexte à des coupes dans le budget de la justice, déjà insuffisant et sinistré de longue date. Il convient au contraire, à l’instar encore de la France, que le budget de la justice soit préservé des économies que la crise requiert, et sans doute même augmenté, car la justice est au cœur du (bien) vivre ensemble. Sans elle, l’Etat ne peut assurer ni la dignité ni la sécurité de chaque citoyen, conditions essentielles pourtant à l’exercice de toutes les autres libertés que la Convention européenne des droits de l’Homme, et tant d’autres conventions internationales, ont pour objet de garantir.
A ces trois conditions, mais à ces trois conditions seulement, la réforme envisagée se donnera les moyens d’atteindre les objectifs de qualité, d’humanité et de professionnalisme qu’elle vise.
Réforme des barreaux ensuite, dès lors que diverses études commandées par l’OBFG (avocats.be) auprès de spécialistes universitaires, du barreau, et de la magistrature, démontrent de manière quasi unanime qu’ils doivent suivre le sort des nouveaux arrondissements, et que dès lors l’article 430 du Code Judiciaire ne devrait pas être modifié.
Les professeurs de Leval, Georges et Boularbah écrivent :
« Ce renouveau - ou cette rationalisation – pourrait conférer aux barreaux un renforcement de leurs tailles critiques ainsi qu’une plus grande visibilité et favoriser l’harmonisation dans l’application de l’aide juridique, de la déontologie (quotidienne) et, de manière générale, des pratiques professionnelles des avocats. Il convient de rappeler qu’une telle rationalisation s’est déjà opérée en ce qui concerne l’organisation de la formation professionnelle (quatre centres de formation professionnelle) et, dans une certaine mesure, la discipline (un conseil de discipline par ressort de cour d’appel).
Il nous semble utile de signaler également que l’agrandissement des ordres serait de nature à éradiquer toute suspicion d’excessive proximité entre les ordres et les avocats au sein des barreaux de taille réduite, notamment dans l’exercice des poursuites sur le plan disciplinaire, et rendre plus efficace le traitement des incidents entre avocats éloignés ».
Si, ici et là, des résistances demeurent, gageons que le dialogue permanent que nous entretenons au sein de l’OBFG notamment permettra de les réduire.
Je voudrais dire un mot enfin du barreau de Liège.
Toutes autres choses étant égales, nous serons bientôt 1.000, et nous serons bien au-delà de ce chiffre si, comme je l’appelle de mes vœux, la réforme des arrondissements conduit à une réforme parallèle des Ordres.
Le barreau de Liège est, et doit rester, l’un des moteurs des nombreuses réflexions relatives à l’avenir de la profession, à son équilibre économique, à ses conditions d’exercice, en Belgique et en Europe. Ces jeudi 18 et vendredi 19 octobre, le barreau de Liège est fier d’accueillir au Conseil économique et social de la Région Wallonne (Vertbois), le Comité Permanent du Conseil des Barreaux Européens (CCBE) et ses nombreux membres issus de tous les barreaux d’Europe.
Avant d’être reçu à l’Hôtel de ville par notre Bourgmestre et confrère Willy Demeyer, le Comité Permanent tiendra des travaux importants, relatifs notamment au soutien des avocats victimes de violations des droits de l’Homme, au droit d’accès à un avocat dans les procédures pénales, au blanchiment de capitaux ou à la responsabilité sociale des entreprises.
N’est-ce pas là la vocation et la condition de l’efficacité du barreau que d’assurer sa présence à travers les ordres aux côtés du justiciable et d’être un interlocuteur du juge au niveau local, d’être au travers de l’OBFG un interlocuteur du gouvernement au niveau communautaire, et d’être un expert régulièrement consulté à travers le CCBE au niveau européen et international ?
Le programme de l’année est chargé, je n’en ai abordé aujourd’hui que l’essentiel et l’immédiat, abandonnant le reste à un prochain éditorial.
La page est blanche, toujours, et l’histoire est à écrire. C’est tant mieux.
Je vous prie de croire, Madame et Messieurs les Bâtonniers, chers Confrères, à l’assurance de mon dévouement entier et résolu.
Le Bâtonnier de l’Ordre,
Eric LEMMENS.
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