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Jan-Henning Strunz
Qu’est-ce qu’un avocat communautaire ? Pourquoi n’y en a-t-il qu’un seul au Barreau de Liège ? Quels sont les avantages et les inconvénients que présente cette situation ? Nous avons posés ces questions au seul avocat inscrit sur la liste B du Barreau de Liège. Il est Allemand, docteur en droit, ancien coureur d’athlétisme et adore le badminton. Il a surtout accepté de répondre à nos questions.
JPJ : Me STRUNZ, vous êtes le seul avocat communautaire inscrit au Barreau de Liège, pourriez-vous nous expliquer ce que cela représente concrètement d’être inscrit sur cette liste ?
JHS : Je suis inscrit au Barreau de Cologne en tant qu’avocat allemand et au Barreau de Liège en tant qu’avocat communautaire.
Le fait d’être inscrit sur la liste des avocats communautaires m’offre la possibilité de plaider également devant les tribunaux belges. Ceci implique bien évidemment une bonne connaissance linguistique et le paiement des cotisations au Barreau de Liège.
Dans la pratique, cela signifie de rédiger également des conclusions en langue française et de travailler dans un autre droit que le droit allemand. Cela étant, je traite et plaide les dossiers « belges » toujours en collaboration avec des avocats belges de notre cabinet (surtout en ce qui concerne les aspects procéduraux qui sont très différents du système allemand). Je suis aussi des formations en droit européen, droit international et droit de la concurrence en langue française en Belgique.
En outre, je suis soumis aux règles déontologiques à la fois belges et à la fois allemandes.
Ce qui est très enrichissant est que j’en profite pour échanger des points de vue avec mes confrères et participer aux événements organisés par le Barreau.
JPJ : Selon vous, pourquoi êtes-vous le seul à figurer sur cette liste ?
JHS : Excellente question. A vrai dire, je l’ignore. La bonne maîtrise du français est un point crucial pour se lancer dans cette aventure. J’ai toujours pratiqué le français à l’école et durant mes études et je me sens très à l’aise dans cette langue.
Je pense aussi que le fait d’être moins à l’aise dans un autre ordre juridique joue un rôle important. A priori, les avocats nationaux ne souhaitent pas quitter leur « terrain connu ». C’est beaucoup plus facile de faire appel à un confrère sur place, à l’étranger, que de s’inscrire soi-même en tant qu’avocat étranger sur la liste d’avocats communautaires dans un pays dont on ne connait ni la législation ni les juridictions.
J’ai longtemps rêvé de pouvoir m’installer à l’étranger et de pouvoir profiter pleinement de mes connaissances en tant qu’avocat international afin de plaider devant des juridictions étrangères. Je concrétise ainsi mon rêve.
Je bénéficie également du fait que le cabinet MATRAY est spécialisé dans les relations belgo-allemandes. Il est le seul cabinet liégeois ayant réussi à s’implanter en Allemagne (à Cologne), et à développer des relations belgo-allemandes, en particulier entre la Cour d’Appel de Liège et la Cour d’Appel de Cologne. Le cabinet MATRAY m’a soutenu dans mon souhait d’être inscrit sur la liste des avocats communautaires au Barreau de Liège.
JPJ : Quelle est la procédure qu’il faut suivre pour figurer sur cette liste ? Est-ce compliqué ?
JHS : Il faut avoir un diplôme universitaire en droit (j’ai le premier et deuxième examen d’Etat en Allemagne: « Staatsexamen ») et il faut avoir presté serment d’avocat dans son pays d’origine. Le diplôme en droit doit être reconnu dans tous les pays membres de l’Union Européenne.
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Il faut ensuite envoyer une demande au Barreau où l’on souhaite s’inscrire accompagnée des pièces justificatives quant à l’obtention de votre diplôme afin d’être inscrit sur cette liste
Je me suis présenté devant le Bâtonnier afin de lui faire part des raisons pour lesquelles je souhaitais figurer sur la liste des avocats communautaires pour, en particulier, développer des relations belgo-allemandes.
Selon l’art. 477nonies du Code Judiciaire belge, après trois ans d’inscription en tant qu’avocat communautaire, on peut demander à être inscrit sur la liste des avocats belges. Il faut fournir la preuve d’une activité suffisante en Belgique (caractère effectif et régulier de l’activité exercée) et présenter toutes informations et tous documents utiles, notamment, concernant le nombre et la nature des dossiers traités. Le Conseil de l’Ordre examinera ensuite la demande d’inscription.
JPJ : Avez-vous du passer des examens complémentaires et si oui, dans quelle matière ?
JHS : Non, je n’ai pas du passer des examens complémentaires. J’ai eu un entretien avec le Bâtonnier afin de lui expliquer pourquoi je souhaitais m’inscrire au Barreau de Liège en tant qu’avocat communautaire et afin de connaître son point de vue quant à ce.
Néanmoins, afin de remplir mon obligation de formation permanente en Belgique, je suis, comme tout avocat, des formations en relation avec les branches du droit que je pratique à savoir le droit international, le droit européen et le droit de la concurrence. La même obligation m’est imposée en Allemagne dans les branches du droit allemand que je traite à savoir, outre les trois branches mentionnées ci-dessus, le droit des contrats, le droit des sociétés, le droit commercial international et le droit de la distribution.
JPJ : Pourriez-vous nous parler de votre parcours professionnel et académique ? Qu’est-ce qui vous a incité à venir travailler en Belgique ?
JHS : J’ai fait mes études en Allemagne à Bochum (1992/1993), à Münster (1993-1999) ainsi qu’en France (Université Paris II (Assas- Panthéon) : 1994/1995) et en Espagne (Grenade : 1995/1996). Je suis diplômé en droit de l’Université de Münster. Après mes études en 1999, j’ai passé mon premier examen d’Etat (avec distinction) et en 2003, mon deuxième examen d’Etat (également avec distinction). De 2001 à 2003, j’ai effectué mon « Referendariat » auprès du Tribunal de Première Instance d’Essen en Allemagne. C’est en quelque sorte un stage durant lequel les juristes allemands travaillent déjà en tant que juges, procureurs et avocats.
Après mon premier examen d’Etat, j’ai rédigé une thèse de doctorat intitulée « La libre circulation des personnes en Europe » pour laquelle j’ai obtenu la mention « Magna cum Laude ». Je dispose donc d’un doctorat en droit communautaire.
Pendant mon « Referendariat », j’ai eu l’occasion de travailler pendant quatre mois à la Représentation Permanente de la République Fédérale d’Allemagne auprès du Conseil d’Europe à Strasbourg.
Je suis avocat depuis 2004. J’ai d’abord travaillé dans un cabinet spécialisé en droit des faillites. J’ai travaillé ensuite dans un bureau de conseillers fiscaux afin d’élargir mon horizon et d’approfondir mes connaissances en comptabilité et en droit fiscal. Depuis 2005, je suis inscrit en tant qu’avocat allemand au Barreau de Cologne et en tant qu’avocat communautaire au Barreau de Liège.
Travailler à l’étranger m’a toujours fortement intéressé. Depuis toujours, je suis attiré par d’autres cultures et langues et le côté international du travail d’un avocat me plaît énormément.
J’ai réalisé mon rêve d’étudiant en m’installant à l’étranger, en l’espèce en Belgique. Comme je vous l’ai dit, j’ai toujours rêvé de m’installer à l’étranger afin de connaître une autre culture et essayer, par les connaissances requises, de promouvoir les relations entre différents Etats membres de l’Union Européenne. J’ai un esprit ouvert et j’ai effectué plusieurs séjours à l’étranger durant mes études. J’ai retrouvé le même esprit européen au cabinet Matray, Matray & Hallet.
JPJ : Quels sont les avantages/inconvénients que présente votre situation d’avocat communautaire ?
JHS : Je ne pense pas qu’on peut parler d’ « inconvénients » car on choisit librement de s’inscrire en tant qu’avocat communautaire ou non. Ce statut spécifique implique qu’il faut remplir un certain nombre de conditions, qui au fond, sont tout à fait logiques.
Ainsi, par exemple, il faut s’intégrer dans deux systèmes judiciaires et suivre les formations dans deux pays différents. Il faut, en outre, être à tout le moins bilingue. En tant qu’avocat communautaire, il faut logiquement respecter la déontologie de son pays d’origine et du pays du lieu de travail.
Les avantages sont incontestablement le travail et l’échange des points de vue avec les confrères belges, le fait de pouvoir comparer les deux systèmes de droit et l’ouverture d’esprit tant sur le plan professionnel que sur le plan humain.
JPJ : Ne s’agit-il pas de contourner les difficultés liées à l’exercice de la profession d’avocat en Allemagne ?
JHS : Non, pas du tout. Étant inscrit au Barreau de Cologne, je dois dès lors me soumettre à la fois aux règles de la profession d’avocat en Allemagne et en Belgique. J’exerce la profession d’avocat en Allemagne et dispose d’un bureau à Cologne en plus de celui à Liège.
De toute façon, la plus grande partie de mes dossiers sont traités en droit allemand et je suis donc directement « en concurrence » avec mes confrères en Allemagne. Je dirais même qu’il est plus difficile (mais également plus intéressant) de travailler en droit allemand à partir de l’étranger que de pratiquer uniquement en Allemagne.
JPJ : Conseilleriez-vous à des confrères liégeois de s’inscrire également comme avocat communautaire dans les pays voisins ? Et pourquoi ?
JHS : Oui, je conseillerais fortement à mes confrères liégeois de s’inscrire également comme avocat communautaire dans les pays voisins.
Au regard de ma propre expérience, je peux vous confirmer que franchir ce pas ouvre votre horizon. Vous allez connaître un autre ordre juridique ce qui, en soi, est très intéressant si on travaille en tant qu’avocat international.
Un autre avantage est la possibilité de pouvoir comparer les deux droits et les deux ordres juridiques différents.
Les dossiers qu’on est amené à traiter sont plus intéressants (parfois aussi plus complexes) que dans un contexte uniquement national.
JPJ : Que pensez-vous de la profession d’avocat en Belgique quand vous la comparez avec celle en Allemagne ?
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JHS : En Belgique, la profession d’avocat est déontologiquement plus réglementée qu’en Allemagne. J’ai été surpris de constater que la première fois qu’on plaide devant un juge, on doit lui être présenté. En outre, un contact direct entre les avocats et le juge est en principe interdit en Belgique. En Allemagne, au contraire, les contacts sont usuels et émanent même souvent du juge lui-même (par exemple, pour arriver à une transaction). En Allemagne, il est courant de discuter à la barre de l’affaire avec le juge afin d’arriver plus facilement à un accord qui est souvent proposé aux parties par le juge. La procédure en Belgique est beaucoup plus formalisée qu’en Allemagne.
Le contact écrit avec les magistrats se déroule d’une manière très différente.
En Belgique, la coutume est que les justiciables s’adressent à leur avocat en disant « Maître », ce qui n’est pas le cas en Allemagne.
En résumé, la profession d’avocat en Belgique et en Allemagne est très différente.
JPJ : Les conditions de rémunérations sont-elles identiques ? Comment expliquez-vous ces différences ?
JHS : Non, les conditions de rémunérations ne sont pas identiques. En Allemagne, les avocats sont en principe des employés sous contrat de travail de leur cabinet. En principe, seuls les avocats travaillant individuellement ou en association de frais ou encore les associés des cabinets d’avocats ont le statut d’indépendant. Par ailleurs, l’activité d’avocat est soumise à la TVA.
L’avocat allemand a la possibilité de facturer selon un taux horaire (à convenir à l’avance) ou selon le barème légal relativement compliqué qui est fonction de la valeur du litige. Les honoraires d’avocat ainsi que les frais de bureau et les autres frais sont fixés de manière forfaitaire (et très basse) par le barème allemand. A cet égard, je me permets de faire référence au colloque relatif à « La répétibilité des honoraires » organisé par la Commission Internationale de l’Ordre des avocats du Barreau de Liège le 21 novembre 2008. Dans les actes du colloque, j’y ai expliqué la manière dont fonctionne la répétibilité des honoraires d’avocats en Allemagne.
JPJ : Quelle est l’image qu’a le justiciable allemand de l’avocat ? Est-ce la même que celle du justiciable belge ?
JHS : Au niveau des honoraires, il existe un barème légal en Allemagne. Dès lors, les justiciables connaissent davantage les honoraires des avocats fixés selon le barème allemand ainsi que les frais de justice qui sont également fixés selon un barème (à moins bien entendu de convenir d’un taux horaire). Etant donné que les frais engendrés par une procédure judiciaire sont connus par les justiciables, j’ai l’impression que la crainte du justiciable « d’aller en justice » est plus élevée en Belgique qu’en Allemagne. En outre, les assurances protection juridique jouent un rôle beaucoup plus important en Allemagne qu’en Belgique.
La profession d’avocat est cependant toujours considérée comme une profession honorable.
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